Chapitre IV. Le départ du King William III
Malgré la douceur de la température Maureen grelottait, l'instant d'avant elle brulait, elle n'était pas tirée d'affaire, loin de la. Elle avait tenu à être présente sur ce quai, pour rien au monde elle n’aurait raté ce départ. Le King William III n’était plus qu’un point à l’horizon désormais , bientôt il aura disparu. Elle rajusta le plaid et s’en recouvrit, elle ne voulait plus voir ce bateau qui quittait les iles britaniques et qui emportait les siens loin d'elle. Elle avait été forte, elle pouvait se relâcher.Les reverra t'elle un jour ?
Elle n'était même pas sûre d'être encore vivante à la fin du mois. Elle priat pour que la route leur soit douce, si elle ne pouvait pas les rejoindres dans ce bas monde, elle les retrouverais au ciel
Murray, à jeun pour une fois, se montra presque tendre. Il serra la main de la jeune fille , lui sourit et soupira :
– Rentrons, tu es gelée Maureen ! S’il t’arrivais malheur, mon Abigael ne me le pardonnerai jamais.
Il l’aida à s’asseoir dans la vieille charrette, la borda d'une couverture, et cala sa tête pour qu'elle ne se blesse pas lors des cahots. Ces mains douces et fines qui s'occupaient d'elle lui rappelait les larges mains calleuses de son pére, elle s'imagina courir avec lui dans les champs bordés de murs de pierre, ce rêve éveillé lui redonna l'envie de sourire. l'instant d'aprés elle se vit courrir dans la neige avec sa soeur jumelle, elle avait froid, elle claquait des dents, le gel lui pénétrait les membres, engourdissait son cerveau, puis ce fût le trou noir de la derniére demeure de sa chére Cathy dans laquelle elle se laissa choir à son tour.Elle sombra dans un sommeil sans joie et sans rêves. L’épreuve avait été trop dure pour elle. Elle n’avait plus aucune envie de vivre.Elleles attendra donc la haut !
Murray tira sur la bride du cheval. Le colosse, un Shire pur sang enleva son attelage comme s’il s’était agi d’un simple fétu de paille. Ils tournaient le dos à la Mersey désormais, ils s’éloignaient des docks. Pauvre petite, pensait-il, que va-t-il lui arriver maintenant ? Va-t-elle survivre à cette fièvre ? Il en doutait fortement, la vie était injuste quelquefois. En passant devant l’église irlandaise, il fit un vœu. Si Dieu le voulait, si la gamine s’en sortait, alors il ne boirait plus une goutte d’alcool.
Ils n’avaient pas pu avoir d’enfants, ce n’était pourtant pas faute d’essayer. Petit à petit il s’était laissé glisser…
Il pria avec ardeur !
– Jésus ! Marie ! J’élèverai cette gosse, comme si elle était mienne, amen !
Après George’s dock, commençait le quartier pauvre de Squalid Liverpool. Scotland Road en était son artère principale. La majorité des habitants y étaient des immigrants de l’ile maudite. Murray était fier d’avoir pu éviter cela aux O’Brien à leur arrivée dans la ville. Les enfants en haillons erraient dans les immondices pieds nus, ils couraient derrière la charrette la main tendue. Il ne pouvait donner, la misère était trop grande, il aurait été dépouillé en deux temps trois mouvements. Il pressa le pas, il lui tardait de sortir de ce ghetto. Dimanche, il ouvrirait sa bourse. Le prêtre apprécierait. Il soulagerait ainsi sa conscience.
*
Maureen se réveillait enfin, cela faisait presque une semaine qu’elle dormait. Elle avait une faim de loup. Elle tenta de se lever, sa tête tournait. Elle était trop faible. Abigael, sa tante l’avait entendu bouger, elle accourut dans la chambre.
– Mon Dieu, Maureen, tu es revenue !
Elle s’approcha et lui toucha le front.
– Alléluia, Dieu est amour ! Tu n’as plus de fièvre, ma petite, le seigneur, loué soit son nom à voulu que tu guérisses !
Elle se réveillait avec une force de vie inouï ,la mort n’avait fait que la froler, elle en était heureuse. Le christ, Colomban, Patrick, Marie...Ce n’était peut-être pas eux qui étaient responsable de sa guérison ! Aprés ce qu’elle avait vue...Elle se posait tant de questions. Dieu, elle n’y croyait plus vraiment, Mais sa petite voix intérieure lui conseillait de n’en parler à personne. Elle gigota, se releva à la force de ses bras. Sa tante lui soutint la tête et posa un coussin pour la maintenir assise.
– J’ai faim ! J’ai une faim de loup !
Elle avala goulument la grosse écuelle de bouillon qu’on lui avait apporté. Alors qu’elle en réclamait une seconde assiette, sa bienfaitrice, riant aux éclats, refusa.
– Cela fait belle lurette que ton ventre est vide. Tu n’as bu qu’un peu d’eau. Depuis tout ce temps… Il faut que ton corps s’habitue à nouveau. Demain, je te donnerai un peu de viande ! Pour aujourd’hui, c’en est assez ! Par contre, je peux te lire la lettre, que ta mère a laissée à ton intention.
Maureen, aux anges, battit des mains. Elle n’était encore qu’une fillette de onze ans.
Abigael extatique, elle aussi, ouvrit un tiroir et délicatement, s’empara d’un rouleau de feuillets attachés par un ruban mauve. Ce texte n’était pas écrit, bien entendu, par Alaina, mais par un prêtre catholique écossais, le père Archibald.
Les yeux humides, elle s’humecta les lèvres et laborieusement déchiffra le message de sa sœur
Mon cher enfant, ma fille, la chair de ma chair.
À cette heure, je ne sais si je te reverrais sur cette terre, c’est avec une tristesse infinie que je ne te dis pas adieux ; mais à bientôt, en Amérique, mon cœur de mère….
La suite était raturée.
Elle buta sur un mot et annone à nouveau
Dieu ne nous a peut-être pas abandonnés malgré tout. À l’aube de ce départ, je regarde derrière moi. Notre chère Irlande, nous y avons été heureux et malheureux tout à la fois. Mais ne parlons plus de ce passé. Tournons-nous plutôt vers l’avenir. Cette terre promise nous attend. Si Dieu le veut, nous serons à nouveau tous réunis.
J’ai laissé aux bons soins d’Archibald, le prêtre qui nous a confessés et bénis avant notre exode la somme d’argent qui te sera nécessaire pour prendre un bateau et vivre quelque temps.
Dès notre installation à Baltimore, je te communiquerai notre nouvelle adresse.
Suivaient un court mot signé par le père, puis un texte plus long écrit en Gaélique par sa sœur Dana. Il commençait ainsi :
Que Dieu maudisse L’Angleterre. Que le ciel me venge de ce jour néfaste. Sur cette route, mon pauvre Nolan a été assassiné par les soldats d’une reine qui n’est pas la nôtre…
Maureen se souvenait de ce drame. Les images qu’elle avait enfouies au plus profond de son cerveau, revenaient à la surface. Elle quitta le récit, la morne voix de sa tante devint inaudible. Elle cheminait. Elle marchait. Elle était affamée et avait peur. La colère, le chagrin, la haine et le désespoir habitaient son être…
C’était à la sortie de Mullingar, à mi-chemin entre Galway et Dublin. La famille O’Brien venait d’ensevelir cette chère Birghit, morte d’épuisement. Maureen était très proche de sa grand-mère. Elle avait vécu ce décès supplémentaire comme une injustice de trop. Le corps de la vieille dame n’était pas plus lourd que celui d’un oiseau à sa mise en terre.
Ils cheminaient sur cette route boueuse depuis si longtemps déjà. Ils ne pouvaient aller vite, la voie pourtant assez large était encombrée par une formidable migration. Une foule de malheureux maigres et loqueteux comme eux se dirigeaient vers l’est. Tout un peuple convergeait vers Dublin. Un détachement de l’armée britannique leur intima l’ordre de se serrer et de laisser passer un convoi de blé de viande séchée et salé et de légumes frais. Toute cette nourriture produite sur l’ile sur les domaines des Landlords était destinée à l’exportation. Les crevards qui peinaient sur cette route le ventre creux depuis si longtemps criaient leur colère. Les soldats, tout de rouge vêtus, ricanaient bêtement. Pour eux ce ramassis de pauvres hères n’était rien de plus que des animaux. Ils méprisaient cette piétaille et l’auraient volontiers sabrée si l’ordre avait été donné.
Le convoi avançait gentiment, les marcheurs rangés sur le bord de la voie lorgnaient cette manne qui ne leur était pas destinée. Tout se passa très vite. Personne après coup ne pu expliquer ce qui avait déclenché une bousculade suivie d’une fusillade. Le bilan fut très lourd. Une dizaine de morts gisaient à terre. Nolan en faisait partie. La colonne continua sa route, comme si rien ne venait d'arriver. Dana était inconsolable, elle perdit son enfant peu après.
Maureen se secoua, sécha ses larmes et sourit à sa tante qui était si bonne avec elle. Elle voulait oublier tout cela. Un jour, elle rejoindrait ses parents. Pour l’instant, elle était vivante, cela lui suffisait. Toutes ses émotions l’avaient fatiguée, elle s’endormit. Elle n’était encore, qu’une fillette.
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