Chapitre VIII. Triste retour

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La neige s’était arrêtée de tomber. La température avait brusquement chuté. Un levant mesquin soufflait maintenant en petites rafales assassines. Il avait froid, il était gelé jusqu’aux os. Les lourds nuages noirs s’effritaient lentement. Un mince croissant de lune baignait ce décor sibérien d’une lumière pâlichonne.

Sa faible lueur était suffisante pour éclairer cette vaste plaine. À sa main droite, il entrevit une miraculeuse cabane de pierre sèche. Elle se dressait, fière d’elle, sur son petit mamelon. Deux genévriers engoncés tels des fantômes dans un suaire immaculé veillaient sur elle.

Il s’en approcha. La porte était défoncée, il entra, ce n’était pas un palace, loin de là ! Ce n’était qu’une famélique borie, juste faite pour abriter, un berger, d’un orage d’été. Il s’en contenta. Dans sa besace presque vide, il découvrit des trésors un quignon de pain et un bout de lard. Il se dépêcha de les engloutir, comme si quelqu’un pouvait les manger avant lui !

Il avait été si fier de participer à cette aventure. Il s’était senti brave parmi ces hommes. La réalité avait été grotesque.

Inévitablement, il songea à ses frères, l’un au diable vauvert, l’autre en prison. Ses pensées allèrent également à son père souffrant. Les reverra-t-il ?

Il avait enfin trouvé une bonne position, ses yeux se fermaient. Il était presque bien, il allait dormir quelques heures, il avait besoin de se reposer un moment avant de repartir. Alors que son cerveau lâchait prise… Il se remémorait Martin couché au bord de cette route, jeté à terre par ses bourreaux !

Il avait encore la vision de ce héros, prostré, protégeant sa tête avec les mains, alors que les soldats le rouaient de coups. Il avait été sabré, frappé, torturé… quelle souffrance avait dû être la sienne !

Et pour finir, le préfet, qui accompagnait la troupe l’exécuta d’une balle à bout portant. Même s’il était à peu près certain de la mort de Martin, il aurait dû aller voir ! Peut-être, par sa faute, Martin avait agonisé de longues heures… peut-être n’était il que blessé…

Il lui fallait chasser ces réflexions absurdes, Martin avait vécu.

Personne ne pouvait survivre à de tels traitements. Il devait reposer là où on l’avait exécuté, sans sépulture chrétienne, à la merci des bêtes sauvages.

Il aurait dû retourner sur ses pas !

Cette pensée l’obsédait. Tous ces remords se bousculaient dans sa tête, l’empêchaient de dormir. Il chassait une idée noire, une autre lancinante lui succédait, c’était à devenir fou.

Il se rappelait également ces histoires, que racontait grand-père, vétéran des guerres d’empire. Il avait vécu le cauchemar russe et la longue retraite à travers les steppes glacées de ce pays immense. Il lui avait décrit ces grognards qui tombaient dans la neige et ne se relevaient plus. Qu’à s’endormir dans le froid on risquait la mort ! Et les camarades à moitié dévorés par les loups. Ses frères et lui en avaient ri à l’époque, ils pensaient que le vieux radotait ou pire, qu’il se vantait.

Alors sans regret il renonça à ce sommeil qu’il sentait improbable et à cette cabane trop austère pour être accueillante. Il se leva, remonta son col et quitta ces lieux. Marcher, sans s’arrêter, jusqu’à arriver à domicile, quitte à mourir d’épuisement, il n’avait pas d’autres choix. Il poussa la porte. Le levant avait tourné en tramontane, c’était une bonne nouvelle, avec ce vent glacial, la perturbation filerait vers le sud. Tout en regardant autour de lui, il ne savait où se diriger, partout était la même blancheur immaculée.


Une petite voix dans sa tête lui disait :

— Quand on ne sait quelle voie prendre, on se tourne vers le ciel ! Souvenir de catéchisme... ensuite, son père, jacobin buté, se fâcha avec le prêtre.

Son regard machinalement obéit à cette injonction, le Levant avait déblayé tous les nuages, la voute céleste brillait de mille feux, c’était magnifique.

Il lui fallait d’abord trouver l’étoile Polaire. Elle indiquait toujours le nord. Il se rappela la grande et petite ourse avec le serpent entre eux. Il l’avait enfin repérée, elle était une des plus brillantes du ciel, après l’astre du berger.

Il avança toute la nuit d’un bon pas sans faiblir. Il savait qu’au terme de cette longue route, ce chemin sinueux qui serpentait entre des bosquets de chênes verts et rouvres, de chênes kermès aux feuilles coriaces et des genévriers tortueux, il allait le voir. Il arrivait au bout du plateau, un dernier bosquet de pins bouchait l’horizon, il le contourna. Son cœur battait la chamade, il avait les jambes molles la gorge sèche.

Sur son rocher, couronné par un imposant château, Saint-Martin était là, il l’attendait. L’énorme boule rouge du soleil l’éclairait déjà, alors que les bois des Pallières en arrière-plan étaient encore plongés dans la pénombre.

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