Chapitre IX .Thé noir et marmelade d'oranges amères
Abigaël allait enfin pouvoir se coucher, elle tenait à peine debout.
Derrière elle Maureen se raclait la gorge. Maintenant qu’elles étaient seules, elle pourrait causer, lui dire, ce qu’elle avait sur le cœur. Elle savait qu’elle allait faire mal, mais elle n’avait plus le choix. Elle prit une grande goulée d’air et se lança !
— Ma tante ! Je ne te remercierai jamais assez de ce que tu as fait pour moi ! Avec Murray, vous avez été des parents de substitution formidables. Que serais-je devenue sans vous ? Je serais probablement morte, à l’heure qu’il est.
Elle se déroba quand cette dernière essayât de la serrer dans ses bras, elle n’avait pas fini de parler et avait besoin de tout son courage pour continuer !
— Mais même si tu m’as toujours considérée comme ta fille, tu n’as jamais été ma mère. Il est temps pour moi désormais d’aller retrouver mes compatriotes irlandais, je suis désolé, je ne suis pas une Anglaise, je ne l’ai jamais été. J’ai pris ma décision dans la montagne, avec ou sans ton accord j’irais bientôt à Gêne. Mes parents sont-ils encore de ce monde-là ? Pourquoi, avez-vous tenté de me dissimuler la vérité ? J’avais le droit de savoir pour ce naufrage ! Si Murray avait caché cette lettre dans ce livre c’est qu’il voulait que je l’apprenne cette vérité, il me connaissait, j’avais toujours le nez dans ses bouquins… pourquoi ...
Abigaël accusait le coup, elle s’affaissa plus qu’elle ne s’assit sur le sofa le plus proche, le visage baigné de larme, que croyait-elle, elle s’était bercée d’illusions. Maureen n’avait pas tort ! Courageusement elle s’appuya sur l’accoudoir du canapé et se redressa un peu. Elle se mouchât, bruyamment, et répondit, enfin !
— Oui, Maureen, tu as raison ! Jamais je ne pourrais te retenir contre ton gré. Je faisais taire Murray autrefois quand il disait qu’un jour tu partirais… Murray, mon amour, tu me manques ! Je pleure ma très chère Maureen, car c’est dur pour moi. Mais, je m’y attendais en fait, et tu sais quoi ? Je te demande de me comprendre un peu ! Je dois t’avouer… je compte t’accompagner à New York, nous irons ensemble rechercher tes parents, je suis une Irlandaise moi aussi, même si je l’avais oubliée… et puisque nous ne dormirons pas cette nuit… Je voulais te faire lire la lettre que j’ai reçue de ton frère Sean !
À ces derniers mots, Maureen bondit comme un animal furieux, les yeux mauvais elle cracha
— Mon frère Sean ! Avait écrit ! Tu comptais m’en parler ? Il y a d’autres choses que tu me caches…
— Je comprends que tu sois furieuse. J’attends le rapport du cabinet de détective privé que Murray avait dépêché en Amérique. Je ne voulais pas te donner de faux espoirs…
— Mais c’est à moi de choisir, c’est ma vie, tu n’as pas à décider à ma place !
— Écoute, la nuit est foutue ! Je vais nous faire du thé, bien noir, on va en avoir besoin… Une chose est sure, j’ai des torts, mais je t’aime comme ma fille !
Maureen fougueuse et rebelle la coupa !
— Mais tu n’es pas ma mère, tu ne le seras jamais, si toi et Murray vous n’avez pas pu avoir d’enfant, je m’en moque… et je ne veux pas de ton British tea, servi dans des tasses Wedgwood du Staffordshire, je préférerai du chocolat chaud, je le boirai dans les mêmes tasses que les paysans d’ici !
***
Maureen avait déplacé sa chaise en osier à l’extérieur, là entre les bigaradiers les citronniers et autres cédratiers elle était à son aise ! Les odeurs d’agrumes provenant du verger l’enivraient ! Dire qu’elle voulait quitter ce paradis, quelle tristesse !
Avec les oranges amères, les mandarines du jardin, et les citrons de Menton, sa tante confectionnait une Marmelade divine. L’âcre et le sucré étaient délicatement dosés, c’était vraiment un régal. Généralement, la généreuse coupelle, posée nonchalamment sur la table du petit déjeuner, ne durait pas bien longtemps.
Maureen s’ébroua, s’enroula dans une couverture, fit le vide autour d’elle et à la lueur d’une lampe à huile, entreprit la lecture de la lettre de son frère. Elle venait de l’arracher à la veuve Baxter, sa tante.
Très chère petite sœur,
J’ai connu de forts chagrins et de cruelles désillusions.
Le Pedro Suarez, le bateau qui a secouru le King Guillaume III vient d’accoster ce matin, malheureusement je n’ai pas pu m’approcher du quai ou le vaisseau était amaré, je n’ai qu’aperçu de loin une myriade d’émigrants se déversant dans les rues de la ville. Je n’ai pas pu voir si mère père et le reste de la famille étaient là ou si les flots amers et glacials de l’océan les avaient emportés. Les autoritées portuaires n'ont pas l'information, l'armateur à simplement refusé de me recevoir. Il à menaçé devant mes insistantes questions de m'envoyer la police. Ici, Comme à Londres, Un Irlandais n'est rien !
J’ai reçu, juste avant le naufrage, une missive, dictée probablement à un prêtre orgueilleux. Le paternel ne doit toujours pas savoir écrire. Il n’a pas eu ma chance. Son analphabétisme est surement la cause de son obscurantisme, il m’a interdit, lui l’homme fort fier et droit, de m’approcher d’eux, quand ils seront dans le Nouveau Monde. Plaise à dieu ! Enfin s’il existe ? Qu’ils y soient arrivés. Il m’interdit, tu m’entends moi le pervers, le déviant, le pédéraste de polluer sa famille, moi qui n’en fait plus partie puisqu’il m’en a banni ! Comme un vieux patriarche d’autrefois… Tu dois me trouver bien amer, je ne t’ennuie plus avec ces histoires qui ne te concernent pas.
S’ils sont en Amérique, ils y seront soutenus. les catholiques d'Erin sont si nombreux et si bien organisés maintenant. S’ils sont encore de ce monde-là... Tant que nous n' avons aucunes certitudes sur leur sort on a le devoir de les considérer comme encore vivants. s'ils sont en Amérique, ils seront sûrement acceuillis par des amis. New York, Boston, Baltimore, Philadelphie… leur communauté est très soudée, cadenassée par des prêtres fidèles à Rome. Elle fait peur aux gens du cru qui sont restés anglicans.
Le racisme anticatholique est trés présent dans ce pays, presque autant qu'a Londres ou Liverpool (même si j’ai été chassé de ma communauté pour coutumes déviantes, je suis toujours un Irlandais catholique), je suis donc un double paria,Je ne me sens plus à ma place dans ce monde trop civilisé, dans cette société puritaine aux préjugés d'un autre âge. Malgré leur guerre d’indépendance, les américains sont demeurés de stupides Anglais !
Maureen, tu auras des centaines d' endroits ou aller si tu décides de quitter cette vieille Europe qui n'a plus rien à nous offrir. Dana que j’ai vue et qui a été séparé des parents pendant le naufrage de leur bateau t’écrira-t-elle aussi, à moins qu’elle l’ai déjà fait, elle est prête à t'acceuillir. Ainsi nous trois sommes peut-être les seuls survivants de cette grande famille dont je ne voudrais pas citer le nom de peur d’en salir la réputation.
Quant à moi, n’essaie pas de me contacter, je pars à l’autre bout de cet immense pays, dans une terre de cocagne aux hautes montagnes et aux forêts giboyeuse, le paradis sur terre à condition de conserver ses cheveux car les sauvages locaux adorent arborer les tignasses des blancs à leur ceinture, ils appellent ça des scalps. Celui qui en a le plus est considéré comme un héros . Mais au bord de la Willamette des terres d'une rare fertilité dorment depius toujours. Bienheureux sera celui qui les cultivera .
Nous reverrons-nous ? Je n’ai de toi que des images d’une petite fille courant pieds nus dans les landes fleuries… Malgré le fait que tu dois avoir beaucoup changé, je suis certain de pouvoir te reconnaître le jour où enfin tu seras devant moi !
Je donnerais de mes nouvelles à Dana quand je serai installé. Mais ces contrées sont si lointaines… il me faudra presque une année pour m’y rendre !
Je t’embrasse petite sœur, prend soin de toi…
Sean.
PS, voici l'adresse de Dana,
Quartier de Five points à New-York,
Angle Cross Street, Mulburry Street !
Chez la veuve Flaherty !
Elle m'a prévenue que ce n'était pas le meilleur coin de la ville, c'était le Burroughts habité par les plus pauvres, les irlandais et les négres !
Il avait une belle plume ! Il avait dû apprendre à lire et à écrire lorsqu’il était chez les frères. Mais il en avait été chassé, cela n’avait pas étonné son père autrefois. Quelle souffrance parcourait ces lignes. Elle ne saisissait pas vraiment ce qu’on lui reprochait qu’avait-il fait de mal? Elle ne savait pas ce qu’était un déviant un pervers et un pédéraste !
Elle demandera à sa tante, qui devait connaître ces mots, elle ! Maintenant qu’elle s’était calmée, elle comprenait qu’elle avait encore besoin de cette femme. Qu’elle ne pouvait partir au bout du monde sans le pécule de la veuve de Murray !
Par contre, l’Orégon, cette terre que se déchiraient Russes, Anglais et Américains, elle la situait à peu près.
Son oncle fin lettré, lui avait depuis longtemps ouvert sa bibliothèque, les atlas n’avaient pas de secrets pour elle, mais elle pressentait cet endroit dangereux infesté d’Indiens sanguinaires de fauves et de serpents.
Mais elle savait aussi qu’ils n’étaient peut-être plus que trois frères et sœur et que tôt ou tard, elle voudrait serrer Sean sur son cœur même s’il était un déviant, un inverti et un pédéraste.
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