Chapitre III. L'océan, à perte de vue !

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L’océan, à perte de vue comme unique paysage, une étendue infinie s’étendait devant lui. toutes les nuances de bleus, azur, lavande, cyan, opaline, pastel, saphir, turquoise… qui se rejoignaient sur le fil de l’horizon, pour épouser un ciel délavé,camaïeu de bleu également, ponctué de quelques nuages moutonneux. Il se pencha un peu plus, par-dessus le bastingage, il apercevait l’étrave du navire qui brisait les petites vagues, les unes après les autres. À ce qu’il lui semblait, l’allure devait être rapide. D’après le capitaine, un génois qui parlait un français très correct et qui plus important encore, comprenait le provençal. Ils seraient à New York dans deux jours au plus tard. Les oiseaux, des mouettes et des goélands qui traversaient le ciel à grande vitesse en étaient les précurseurs. Quand on apercevait les oiseaux, la terre n’était jamais loin. C’était comme cela d’après le capitaine , qu’un certain Christophe Collomb, un Génois également avait compris qu’ils allaient accoster en Inde.

Il se sentait bien aujourd’hui. Il n’était plus envahi par une indicible nausée qui ne l’avait pas quitté depuis qu’ils avaient doublé le détroit de Gibraltar. Au début ç’avait été terrible les boyaux tordus par d’affreux haut-le-corps les jambes flasques, jamais de sa vie il n’avait été autant malade, il en avait presque eu l’envie de se jeter par-dessus bord pour que ça cesse. Mais fort heureusement il n’en avait pas eu la force. Même si ça avait été moins terrible par la suite, la traversée n’avait rien eu d’agréable.

Il respirait maintenant, à plein poumon l’air iodé, un petit vent frais et vivifiant lui fouettait le visage.

Il avait mangé de bon appétit aujourd’hui. Un marin ligure hilare se moquait de lui gentiment.

— Tu as le pied marin maintenant, tu peux signer, devenir marin!

Un autre, se mêla de la discussion et rajoutait.

— Il ne te reste qu’à apprendre le pot au noir, le passage de l’équateur, les galettes moisies, le lard aux asticots, l’eau empoisonnée et cerise sur le gâteau, le Cap Horn par grande tempête, là tu seras devenu un vrai marin.

Tous s’éloignèrent en riant

Jean Tomas lui aussi riait, une petite main s’était glissée dans la sienne, une fine main féminine. Il se retourna, la jeune femme en profita pour l’embrasser, elle déposa sur ses lèvres salées un rapide baiser sucré. Bêtement il lui souriait, lui aussi.

Maureen, s’installa à côté de lui , tout contre lui, il était à elle dorénavant. Elle lui avait fait comprendre l’autre nuit qu’elle était vierge , qu’il était le premier et qu’il devait être doux !

La jeune Irlandaise, posa la tête sur l’ épaule de son amoureux, les cheveux noirs et roux s’emmêlèrent, ensemble, ils regardaient dans la même direction. New York, la nouvelle Angleterre, ce ne sera qu’une étape pour eux. Elle lui avait montré sur une carte, la route à prendre, soit par le canal de l’Hudson, les Grands Lacs , Chicago…ensuite, les prairies, les montagnes, les Indiens cruels !

Il ne se lassait pas de l’entendre parler, cette façon qu’elle avait d’escamoter le son R, d’Oregon ou de Californie. Il se moquait gentiment d’elle, de son accent qu’il trouvait charmant. Elle lui donnait des cours d’anglais, alors qu’il ne savait pas même parler le français correctement !

Mais elle avait une patience avec lui, elle ne se départissait jamais de sa bonne humeur et arborait en toute occasion un large sourire. L’avenir semblait leur appartenir !

Maureen passa la main dans la chevelure ébouriffée de son compagnon, elle se rappelait sa première fois avec son amoureux alors qu’ils croisaient au large des Baléares, il y avait un mois de ça!

Elle s’en souvenait avec gourmandise, à chaque fois qu’elle y pensait c’était la même sensation, des bouffées de chaleur envahissaient son corps les jambes molles tremblaient, ses seins devenaient durs…

Abigaël l’avait mise en garde alors que les bouleversements de l’adolescence pointaient leur nez.

Elle n’en avait fait qu’à sa tête bien sûr, elle ne suivait plus depuis longtemps déjà les conseils de la sœur de sa mère. Mais elle gardait en mémoire ce prude sermon :

— Maureen, le jour ou, que, enfin…

— Oui, ma tante !

— Je te le souhaite en tous cas, tu rencontreras un garçon, j’espère qu’il sera gentil et prévenant comme l’a été Murray ! Oh ! avec lui, ça a été magique, j’ai toujours su… Dès le premier regard, ses yeux brillaient, il avait un peu bu, il n’aurait pas pu sinon demander ma main à mes parents.

Enfin ce sont de beaux souvenirs, d’ailleurs c’est toujours aussi fort entre lui et moi, mais cela ne te concerne pas, tu as le temps, tu es si jeune… mais si

— Ma tante, de quoi veux-tu me parler ?

— Si tu crois que c’est facile ! Le jour où tu rencontreras un garçon, il faut qu’il soit gentil comme Murray l’a été avec moi dès le départ.

— Oui, mais.. ?

— Les hommes sont toujours prévenants au début. Ils te disent que tu as tout ton temps, ils te disent des mots vides de sens avec leur bouche et d’autres choses avec les mains, les yeux et le bas ventre. Une jeune fille de bonne famille ne s’abandonne pas à la luxure lorsque les… les… les caresses deviennent trop précises. La chaleur s’empare aussi de ta peau, de ton sang, à ce moment-là, il ne faut surtout pas ! Une femme honnête doit arriver entière au mariage !

Sa tante ne lui avait rien expliqué en fait, Maureen n’y avait rien saisi à ce charabia.

Plus tard, elle avait demandé a son amie, celle qui était encore sa confidente avant… Cette gourgandine d’Antonietta !

— Il paraît que lorsque tu rencontres un homme pour la première fois, tu peux perdre un morceau de ton corps.

— Je ne comprends rien à ce que tu racontes !

— Ma tante m’a dit qu’il fallait faire attention, qu’on devait arriver entière au mariage !

Antonietta commença à se moquer d’elle. Puis lui narra son expérience personnelle. Elle l’avait déjà fait, avec un garçon plus vieux pendant qu’elle gardait les moutons lors d’une moite après-midi d’été.

Ce qu’elle avait perdu, alors, c’était son pucelage, une petite peau qui protégeait les chairs secrètes, ça saignait un peu. Au début elle n’aima pas trop, ce n’était pas si agréable. Elle voulait faire plaisir sans plus, elle était comme cela Antoniétta, généreuse et spontanée. Mais quand la jouissance arrivait, enfin, la deuxième fois, on ne pouvait plus s’en passer. Maureen n’avait pas tout compris, là non plus, elle avait même dit, et cela la fit sourire, que ça la dégoutait, qu’elle ne ferait jamais la chose.

La niçoise avait payé au prix fort, sa généreuse spontanéité. Le grand-père l’avait punie frappée et enfermée quand il avait su qu’elle frayait avec un vaurien, lui avait prédit un bel avenir, une carrière de prostituée, de fille à marins ou a militaire ! Si elle devenait grosse, il la chasserait de sa maison. Plus tard le vieux s’était radouci. Il l’avait emmenée dans les profondeurs du comté, dans un hameau isolé d’Utelle, chez des cousins lointains et l’avait proposée, vendue presque, à un paysan qui puait comme un sanglier !

Si son grand-père la forçait à copuler avec ce satyre (mi-homme, mi-bouc !), elle s’enfuirait en France, dans le Piémont… elle préférerait cent fois se jeter d’une falaise, qu’épouser ce porc ! On disait de lui qu’il forniquait avec des animaux, n’avait jamais connu de femmes, tant il était laid…

Maureen pensait avec une pointe de nostalgie à son amie, qui aurait aimé ce nouveau départ dans un pays inconnu. Après tout, tant pis, elle n’allait pas la plaindre cette catin, qu’elle aille se faire voir chez son caprin nauséabond !

Quand elles avaient vu, Jean-Thomas, pour la première fois, elles s’étaient disputées. Toutes deux étaient déjà sous le charme de ce beau brun aux regards de chien battu.

Antoniétta espiègle avait lancé comme un défi

— En amour c’est la plus garce qui gagne, à ce jeu-là je suis meilleure que toi !

Elle n’avait plus parlé à la belle lavandière depuis, c’était dommage qu’une amitié comme ça finisse ainsi. En y pensant, elle eut un sourire mauvais.

Elle avait gagné la deuxième manche, elle n’avait pas eu son pucelage, mais lui avait offert le sien, au beau brun aux yeux tristes.

Juste après avoir perdu ce petit morceau, celui qu’on ne devait pas donner avant le mariage, elle fanfaronna

— Tu es à moi maintenant, Jean-Thomas Icard. Promet moi ! Promets-moi que c’est terminé maintenant les brunes aux grosses fesses, les bergères callipyges et les cariatides campagnardes ! Jure-le-moi !

Elle minauda pour finir :

— Quand nous serons à terre, tu me passeras la bague au doigt ?

Et ce grand benêt acquiesça !

— Oui, je le jure !

Dans la moiteur de ce coin puant, entre les ancres, les drisses, les tonneaux, il se releva précautionneusement, faisant attention à ne pas se cogner la tête aux poutres basses garnies de pointes, il l’aida à se lever à son tour et solennellement lui demanda !

— Veux-tu, Maureen O’Brien, veux-tu devenir Maureen Icard ?

Elle ne répondit pas tout de suite. Elle le fit basculer sur un rouleau de cordage et relevant à nouveau sa robe tachée de graisse ou de goudron jusqu’à la taille, l’enfourcha comme un vulgaire canasson !

— Oui ! Oui ! Oui à Madame Icard ! Et gare a toi si tu courtises encore une greluche aux fesses monstrueuses et aux mamelles bovines, je t’arracherai les yeux, mon amour.

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