Partie 1 - 1

3 minutes de lecture

 Je passe mes journées avec toutes ces machines, seul.

Un Respot par session et par entrepôt. C’était la règle. Ça évite les temps perdus de la parole. Ça évite la jalousie. Ça évite la contagion, selon eux. Du coup, c’est à Pupy que j’exprime mes états d’âme. Quand j’en ai le temps, sur le tapis roulant.

 Il m’envoie là où l’on m’attend. Une fois de plus, Seeker n’avait pas tenu le choc. Pour le rejoindre, j’en ai pour cinq bonnes minutes. Durant le trajet, je passe en revue les différents éléments de diagnostic. Sur l'affichage, les lignes s’accumulent. Je les balaie une à une, puis groupe par groupe. L’air fouette légèrement mon visage. On a l’impression de respirer en plein air. En dehors des tapis, on ne sent pas de mouvement d’air. On a l'impression d'étouffer au bout d'un moment. Mon pupitre d’information mobile m’indique enfin la panne. Tout le monde les appelle PIM, ces énormes bracelets de métal sombre. Mais pour moi, c’est Pupy. Et Pupy est particulièrement lourd en ce début de session de travail. Je dois le supporter encore quelques heures. Je pianote et parcours les entrées concernant Seeker. Pas de surprise de sa part, le dysfonctionnement est le même que la dernière fois : une erreur d’alignement sur les cellules optiques. Je ne suis pas opticien, mais je vais lui redresser les mirettes, à Seeker.

 « Tenez-vous à la rambarde de sécurité ! »

 La voix du superviseur tonne dans l’immense espace. Elle pourrait laisser croire à une voix féminine provenant d’une lointaine caverne. Mais elle sait toujours vous atteindre, où que vous soyez, LaSup. Elle n’a pas tort. Les tapis de transport permettent de traverser en un temps record les grands espaces de l’entrepôt TerMarTer 18VL. Il vaut mieux se tenir, ça défile.

 Ces centres de stockage avaient poussé comme des champignons dans le sous-sol à mesure que les femmes et les hommes s’installaient à la surface de Mars. Ces immenses hangars stockent tout et n'importe quoi, du plus futile au plus vital. Malgré leur complexité, ils ne nécessitent qu'une seule personne pour fonctionner : un responsable d'entrepôt ou Respot. D'autres m'ont précédé, plusieurs générations. Une lignée, comme il était d’usage de le dire à la grande époque. Pour sûr, ça devait être terrible de vivre les premiers sur Mars. Mais chaque génération semble se diluer dans un tout sans saveur. Je me souviens de mon grand-père qui annonçait toujours fièrement au sujet des tapis :

 « En tant que Respot, à l’époque, on n’avait pas de tapis, on utilisait nos gambettes. »

 Gamin, ça m'impressionnait autant que les premiers colons. Mais plus maintenant, il omettait de dire que ses entrepôts, à lui, ne mesuraient qu’un dixième du mien et encore le mien n’est pas le plus gros. Les entrepôts de minerai, eux, courent sur des kilomètres. C’est dire que le tapis fait gagner du temps et évite aux Respot des balades improductives.

 LaSup, elle n’aime pas ça, que l’on se perde dans le dédale des rangées de matériels et d’autres produits stockés. Pourtant, il y a de quoi voir dans le mien. Tout un tas de babioles de haute technologie. Des rangées bourrées à craquer d’engins dernier cri. Mon entrepôt a tout le nécessaire pour faciliter la vie de la Haute terrienne sur Mars. Tous ces trucs-là, nous les « Marchiens », comme ils nous appellent, on n’en a pas besoin. En même temps, ils n’ont pas vraiment tort. Que faire d’un pupitre taille XXL ou d’un robot d’entretien polyvalent dans mon quatre sur quatre, mon foyer de quatre mètres sur quatre ? Et encore, je ne me plains pas. Je vis seul. 

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