Partie 2 - 3
Dans les transports, les bleus, on n’est pas tant que ça. Ce que je viens de vivre défie toutes les probabilités. Sans compter que ma cervelle se charge d’enrober le tout de doutes. Le visage de l’Autre exprimait la surprise. Son faciès s’apparentait au mien. À vrai dire, je suis tellement abasourdi qu’il serait préférable que je m’occupe l’esprit à autre chose. Si j’avais mon PIM Perso, j’aurais plongé mon nez dedans comme le vert. Mais, j’ai l’esprit libre et ça s’affole dans ma caboche. De toute façon, il va falloir que je répète l’opération pour en avoir le cœur net.
Un transport qui s’arrête, c’est rarissime. Pourtant, on a bien senti la décélération. Les lumières ont clignoté un court instant. Certains passagers font part de leur surprise par des regards interrogateurs. Même mon vert a levé le nez de son pupitre un court instant. Un signal sonore d’information retentit. Puis un message automatique de TransMars est diffusé dans la rame.
« Un exercice de contrôle est en cours. Merci de votre compréhension. »
Déjà, ce n’est pas une panne. Je ne devrais pas avoir trop de retard pour débuter ma session. Dans ces cas-là, de souvenir, notre note n’est pas impactée. Il faudra que je vérifie. Du coup, ça me fait penser à LaSup. Il faudrait que je tente de glaner quelques infos sur l’Autre. Je pense aussi fureter un peu dans les entrées de maintenance des collaborateurs. Je devrais pouvoir trouver quelques pistes.
J’entends le sas au bout de la rame venir de s’ouvrir. Je vois le vert jetant un œil sur le côté qui se raidit. Je me redresse un peu. La PoTerr ! Qu’est-ce qu’ils viennent faire là ?!
Ils sont faciles à reconnaître. Déjà, la combinaison blanche et bleu, et surtout, le masque. En bon Terrien, ils sont comme tous les autres, obligés de le porter en permanence. La composition de l’air reconstituée, même proche de celle de la Terre, diffère trop. Nous, les descendants directs de colons, on a été acclimatés à coups de bistouri génétique. Sur Mars, on forme l’humain. Il y a un terme pour ça mais ma mémoire me fait défaut. De toute façon, on ne sort pas de nos espaces de vie commune, ce n’est pas pour aller faire un tour sur Terre.
Les quatre policiers commencent à vérifier un à un les passagers. Le vert à côté de moi est raide comme un piquet. Il a laissé tomber son PIM qui reste allumé sur sa cuisse. Un navet tourne dessus. Une de ces multiples productions des studios de la plus grande firme d’audiovisuel martienne. Tout y est synthétique, du scénario aux acteurs.
La PoTerr ne compte pas dans ses rangs les plus tendres. Je préfère de loin la milice martienne, plus proche de nous. Ces Terriens sont sur Mars, signe qu’ils cherchent l’aventure ou que leurs actions passées sur Terre les y ont rendus indésirables. D’ailleurs, le terme « Marchien » vient d’eux et s’est ancré dans les esprits à coups de bâton étourdisseur.
Les quatre se positionnent différemment. Un des PoTerr a fait un léger signe de tête. La personne qu’ils contrôlent semble plus les intéresser cette fois-ci. Je vois un des PoTerr poser sa main de façon préventive sur sa trique électrique. Ça risque de remuer. Un officier, sa plaque ne laisse pas de doute là-dessus, demande au passager de se lever.
Marlo ? C’est Marlo ! J’ai dû penser trop fort ; le vert me jette encore un regard glacial. Marlo est debout devant les quatre policiers. Soudain, sans prévenir, il bouscule l’officier et attrape sa matraque. Il balance un coup direct dans le masque de celui qui s’apprêtait à sortir sa trique électrique. Il se glisse vers le sas. Peine perdue, un autre PoTerr sort son arme et tire. Marlo s’écroule sous la violence du choc électrique. Je ne le vois plus. Je suis sous le choc, comme tous les autres passagers.
Un PoTerr s’occupe de son collègue dont le masque ne sert plus à rien et le lui remplace. L’officier et le tireur relèvent Marlo avec une facilité affolante. Leurs muscles ne sont pas encore atrophiés par la pesanteur de Mars. Ça confirme une chose : ce ne sont pas des membres de la Police Terrienne classique. Au passage, ils lui balancent quelques noms d’oiseaux et un sale « Marchien ».
Ils repartent comme ils sont venus. Quelques secondes plus tard, un message retentit :
« L’exercice de contrôle est terminé. Merci pour votre collaboration. »
Ils n’ont pas tort, on n’est pas loin de soixante dans la rame. Pas un seul ne s’est levé pour aider Marlo, surtout pas moi. Le transport redémarre. Le vert, lui, a repris son navet.
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