Partie 3 - 3
En rejoignant le transport, je passe par d’autres couloirs, quitte à faire un assez long détour. Avec mon arrestation d’hier, je risque d’avoir plusieurs regards appuyés assez désagréables pendant un bon moment. Je n’ai ni l’envie, ni le courage de les affronter. Cependant, je vais chercher une nouvelle fois à me placer près d’un hublot pour tenter de voir l’Autre. Je vais lui lancer un regard où il pourra comprendre que je ne suis pas dupe de son petit jeu.
Je débouche sur la grande salle d’accès au transport. Je joue un peu des coudes et remonte les rames vers celles de tête. Je repère une masse moins compacte de passagers. Je me rends compte que je m’agglutinais d’habitude comme eux sur le centre du transport. Quelques Verts et Rouges sont déjà prêts à pénétrer dès l’ouverture des portes. Je me cale derrière eux en les imitant. En attendant l’ouverture des sas, je balaye les dernières informations remontant sur mon PIM Perso. Je fais défiler les gros titres ayant tous plus ou moins un lien avec TerMarTer ou une de ses filiales. C’est la prospérité à ce que je vois. Les ressources tirées de la ceinture d’astéroïdes ne cessent d’inonder les entrepôts de Mars. Un titre retient mon attention.
« TransMars revient sur les deux pannes des transports de la veille. »
Des pannes ! Ils se moquent de qui ? Je vous assure que les PoTerr n’avaient pas la douceur de mécaniciens. En y repensant, j’en ai encore des frissons.
Les portes s’ouvrent, les habitués se jettent sur leur place tant convoitée. Je me glisse derrière un Vert qui met un peu trop de temps à mon goût pour s’installer. Je repère une place avec un hublot. Je m’installe et plonge dans mon PIM Perso. Quelques secondes plus tard, dans ma vision périphérique, je remarque un Rouge qui s’arrête un instant. Semble hésiter, puis repart. J’ai l’impression que mes oreilles vont siffler pendant une partie du trajet.
En attendant le départ du transport, je lis d’autres informations. Aucune ne fait mention des « Hommes de Mars ». Le logo que le Blanc m’a montré est lui aussi totalement absent. Pourtant, j’ai parcouru plusieurs jours. Je ne tente pas une recherche avancée. Je n’ai toujours pas envie de me faire trop remarquer.
La rame est silencieuse. Je guette à mon hublot l’instant du croisement des transports. L’affaire est un peu plus complexe cette fois-ci. Une fine poussière le recouvre presque en totalité. J’aiguise mes sens. Le moment est proche. Les parois extérieures défilent, les trois spots lumineux s’enchainent et rien. Pas de « clac ». Je suis étonné mais j’arrive à centrer de nouveau mon attention. Les transports se croisent. Je suis déçu. J’ai à peine réussi à distinguer les passagers. Pas de Bleu au hublot.
Je peste intérieurement. En revanche, je suis heureux de ma découverte. Le « clac » semble être de l’histoire ancienne. Je pensais que toutes les rames étaient sujettes à ce bruit. Encore une certitude qui saute.
Arrivé à mon entrepôt, dans le sas d’équipement, je remplace mon PIM Perso par Pupy. Je ressens presque du plaisir à le retrouver. Au moins, lui, il vérifie ses infos. D’ailleurs les nouvelles ne sont pas si bonnes que je l’aurais souhaité. Mover se sentait l’âme farceuse et Packer qui ne se fait presque jamais remarquer est lui aussi de la partie. Je termine de m’équiper de ma ceinture d’outillage et enfile sur mon dos le sac contenant tout le nécessaire aux opérations de maintenance les plus basiques. Pour résumer, je suis prêt à en découdre avec les facéties de l’Autre. Je suis d’autant plus remonté que ma note a baissé, de peu, mais sa progression n’avait pas été infléchie depuis assez de sessions pour que j’arrête de les compter.
Je monte sur le tapis qui me met sur le chemin de Mover. J’analyse le problème et anticipe ses réactions. Il présente sa panne devenue un classique mais qui reste toujours complexe à régler. J’ai la ferme intention d’en profiter pour jeter un coup d’œil dans les composants formant son noyau neuronal pour y rechercher l’étrange routine. J’essaierai d’en garder une partie en mémoire pour ne pas soulever trop de soupçons. Ce n’est pas le moment de contrarier LaSup. Avec ces deux pannes, on ne se trouve pas loin d’une rupture de chaîne. Et ça, elle sait le faire comprendre qu’elle n’aime pas ça, LaSup.
Je rejoins le tapis jaune amenant sur la chaîne où se trouvent nos deux collaborateurs mal lunés. J’arrive rapidement au chevet de Mover, il ronchonne comme à son habitude dans ces moments-là. Les conteneurs qu’il transporte d’ordinaire avec une certaine grâce, se frottent, s’entrechoquent dans un ballet ridicule. Je pose mon contacteur sur la partie dédiée aux diagnostics poussés. Je suis la procédure à la lettre. Aussitôt les ronchonnements de Mover cessent et l’harmonie de la danse des conteneurs est de retour. Je profite de me trouver dans ce mode de maintenance pour entrer dans la cervelle synthétique de Mover. La routine est bien là. Encore, la première fois et sûrement auparavant, elle m’avait échappé. Mais cette fois, on ne me la fera pas. Je l’ai repérée direct. Je stocke sa structure et quelques bribes dans ma cervelle naturelle. LaSup et TerMarTer n’y ont pas accès et encore moins l’Autre. Je remballe mon matos et rejoins le tapis jaune en direction de Packer.
On ne le voit pas. Pourtant, on sait déjà que l’on approche. Sans Packer et ses semblables, l’entrepôt serait aussi silencieux qu’une tombe. Il se charge de protéger hermétiquement les conteneurs avant leur envoi sur la zone finale.
« Tchack, Pack ! Tchack, Pack ! Tchack, Pack ! Tchack, Pack ! Tchack, Pack ! Tchack, Pack ! »
De près, sans protection, ça vous cisaille les oreilles, écrase les tympans. Mais LaSup, elle ne vous laisserait pas faire. À croire qu’elle tient un peu à nous, cette ingrate. Quitte à arrêter Packer. Mais là, je ne donne pas cher de votre note. Bien équipé, je ressens les vibrations des coups musclés de Packer. Une vraie brute celui-là. J’effectue ma maintenance et passe à l’analyse rapide de son cerveau. Je suis déçu. Pas de trace d’une routine semblable à celle de Mover. Puis, au détour d’une pile de sauvegarde, je repère une suite de trois caractères dans un commentaire qui rompt la phrase. « HdM »
Ça n’a rien à faire là. Ça ne veut absolument rien dire. Soudain, comme surgi d’outre-tombe, le visage bien coiffé du Blanc me fait face du fond de ma mémoire. Cette fois, ça me saute aux yeux. « HdM » « Hommes de Mars » c’est tellement évident que j’étouffe un rire. Ensuite, je comprends, il s’agit d’une balise destinée à un humain, pas à une machine. D’un seul coup, la journée de la veille sonne comme bien réelle. J’en ai la chair de poule. L’Autre fait partie de cette faction qui semble donner des sueurs froides aux Blancs, des ennuis aux Terriens et des bonnes raisons de malmener du « Marchien » aux PoTerr. J’hésite à supprimer la balise, à effectuer un rapport complet sur mes trouvailles et balancer le tout à LaSup. Et puis, l’odeur de ma pisse de trouille me remonte au nez, la violence des PoTerr me secoue de nouveau, le stoïque milicien et le Blanc me donnent envie de vomir, et tous ces Terriens dans leurs bulles à boire des bulles et spéculant sur les bulles des marchés de minerais me rient au nez.
Je n’ai rien vu. Je clos mon rapport de maintenance par un attendu.
« Contrôle Respot Terminé. »
Annotations