Chapitre 1 :

9 minutes de lecture

—Vous êtes sûr que c’est ici ? demanda le chauffeur sous son épaisse moustache.

—Oui, enfin j’espère.

Léonard descendit tendit deux billets au conducteur et le remercia en descendant du taxi. Il l’avait déposé juste devant le portail qui menait à un immense manoir délabré, enfin portail, la grille de fer pendait lamentablement sur le côté, elle grinçait bousculée par le vent.

La voiture démarra avant de s’éloigner rapidement.

J’aimerais bien faire de même, songea Léonard.

Il resserra les lanières de son sac et sortit la lettre qu’il avait plié en quatre dans sa poche. Il voulait la lire encore un fois, foutue anxiété.

Monsieur,

Nous vous invitons à participer à la soirée de célébration du décès de votre arrière-grand-père, Monsieur Andross Regnivir.

L’adresse ainsi que la date vous est indiqué sur un document qui sera joint à cette lettre.

Votre présence est requise et nécessaire, nous devons répartir l’héritage de votre ancêtre, ainsi que ses dettes. Si par malheur vous ne pouvez pas être présent, la totalité des dettes vous incombera.

Nous nous réjouissons de vous rencontrer.

Katarina Estrel

Léonard avait d’abord cru à une mauvaise blague, depuis quand pouvait-on forcer quelqu’un à prendre les dettes d’un autre ?

Apparemment c’était possible, un de ses collègues à la banque l’avait appelé affoler pour lui montrer l’état de ses comptes. On le menaçait de prélever dix milliards sur ses comptes, rien que ça.

Trente-sept ans que son collègue travaillait dans le secteur bancaire et il n’avait jamais rien vu de tel.

Le pire dans cette histoire était que Léonard avait déjà un arrière-grand-père, et il ne s’appelait pas Andross machin chose Et le voilà maintenant bien loin de sa campagne du centre de la France, face au manoir le moins accueillant des Bouches-du-Rhône.

J’ai très envie d’en finir.

Il rangea machinalement la lettre avant de se mettre en route. Le vent froid qui s’infiltrait sous sa veste constituait une excellente motivation. Le jeune homme voulu tirer la grille pour passer, mais elle se détacha avant de tomber au sol dans un grand fracas.

Léonard pénétra à l’intérieur de la cour, une longue allée en gravier blanc le menait tout droit jusqu’à la vieille bâtisse. Autour de lui des jardins qui autrefois étaient sans doute magnifiques, finissaient d’être envahie par les mauvaises herbes. Personne n’était venu ici depuis un moment, c’était sûr.

Mais qu’est-ce que je fous là.

Il prit son téléphone et remarqua qu’il avait pourtant une bonne demi-heure de retard, ce serait-il trompé d’adresse ? Impossible.

Il gravit les quelques marches le séparant de la porte d’un bond, et appuya sur ce qui ressemblait à une vieille sonnette.

Rien, aucun bruit provenant de l’intérieur.

La plaisanterie commençait à sérieusement l’énerver.

Léonard toqua, deux coup lent, sept rapide puis trois lent, un rythme qui l’avait toujours détendu. Personne n’allait lui ouvrir de toute façon.

Contre toute attente la porte se mit à bouger, laissant apparaître un homme en smoking.

—Bienvenue monsieur, lança-t-il d’voix monocorde. Nous n’attendions plus que vous.

—Euh… oui désolé, bonjour ?

L’homme ne dit rien, se contentant de tenir la porte en le regardant sévèrement, une fine moustache sur son visage carré. Léonard rentra dans une sorte de sas froid et triste, tout comme le reste du bâtiment.

—Je verrouille la porte et je vous ouvre la prochaine, dit le majordome.

Il s’exécuta, et Léonard ne put s’empêcher de laisser échapper un « wow » de surprise.

Derrière l’autre porte se trouvait un immense hall d’entrée, dans lequel trois lustres projetaient leur éblouissante lumière partout. Le carrelage blanc était recouvert de tapis rouges qui menaient jusqu’au portes sur les côtés, et jusqu’au grand escalier au fond de la salle. Il flottait dans l’air une superbe odeur de bougie parfumée.

L’intérieur du manoir n’était en rien comparable à son aspect extérieur.

Léonard était si surpris qu’il n’avait pas remarqués tous les regards braqués sur lui. Plus d’une centaine de personnes le fixaient sans rien dire. La plupart d’entre eux étaient bien habillés, portant des costumes ou des robes devant sans doute couter un mois de son salaire. Son jean et son t-shirt sous sa veste faisaient bien pâle figure à côté.

Des hommes habillés comme des gardes du corps, vestes noires et lunettes,étaient postés un peu partout.

Il toussa par reflexe et les conversations reprirent comme si de rien n’était. Il cru reconnaître un des hommes à sa droite, le footballer star de Paris, Noel Noa.

Mais que quelqu’un me dise ce que je fous là par pitié.

Comme pour répondre à sa demande, une femme apparue en haut du grand escalier, vêtu d’un chemisier ainsi que d’une jupe cintrée. En étant habillé comme une femme d’affaire elle détonnait tout autant que lui.

Ses longs cheveux blonds tombaient en cascades sur ses épaules, et même à une telle distance Léonard vit ses yeux bleu briller sous une monture noire.

—Bonsoir à tous, dit-elle d’une voix forte. Je me présente, Katarina Estrel, je suis heureuse de voir que vous avez tous reçu ma lettre.

—Oui, et on aimerait tous savoir pourquoi vous nous avez menacés pour qu’on vienne en Italie dans ce trou paumé ! J’ai mieux à faire, et je ne suis pas le seul.

Léonard ne pu s’empêcher de sourire, le Noel Noa de la télé était le même que celui de la vraie vie vraisemblablement. Impatient et arrogant.

D’autres voix s’élevèrent et Katarina Estrel les fit taire d’un geste. Le majordome qui avait ouvert la porte à Léonard l’avait rejoint à présent.

—Vous aurez bientôt la réponse à toutes ses questions, mais d’abord veuillez bien me suivre.

D’autres plaintes s’élevèrent mais déjà Katarina montait les marches avec assurance. Obligé de s’y résoudre, les invités se lancèrent à sa suite.

Léonard allait se mettre en route lui aussi, quand une main se posa sur son épaule. Il sursauta et se retrouva face à face avec un blonds aux cheveux bouclés. Il devait être un peu plus jeune que lui, vingt cinq ou vingt six ans, et souriait comme fier de sa petite blague. Il portait une chemise blanche ainsi qu’un pantalon brun. Ses yeux bleus brillaient d’un éclat malicieux.

—Tu ne trouves pas que tout ça est bizarre toi ? demanda-t-il directement.

—Euh… oui un peu, pas toi ?

—Un peu ? ironisa l’inconnu. Dis-moi il était ou ton manoir toi ?

—Mon manoir ? Comme tous les autres à côté de Marseille ?

—Marseille tu dis ?

Le jeune homme se prit le menton comme pour réfléchir tout en se mettant à marcher.

—Quoi ? C’est quoi le problème avec Marseille ? s’impatienta Léonard.

C’est quoi son problème à celui-là.

Le blond leva les épaules.

—Tu n’as pas entendu Noel Noa ? Il a pourtant clairement parlé de l’Italie.

—Attends…

Je n’ai pas fait attention.

—Moi le mien était en Allemagne, pas loin de Berlin.

—Ça n’a aucun sens, toi aussi tu es là pour ton arrière-grand-père ?

—Bien sûr, mais mon vrai grand papy est bien vivant lui, et ne s’appelle pas Auguste.

—Tu comprends ce qu’il se passe toi ?

L’inconnu haussa les épaules une seconde fois, avant de se diriger vers l’escalier.

Léonard mit quelques secondes avant de le suivre, il ne comprenait plus rien.

Guidés par Katarina, enfin par le groupe qui la suivait, Léonard arriva dans une salle encore plus grande que la précédente. Cette fois pas de grands lustres, des torches étaient bougies étaient accrochés aux murs et disposés sur des sortes de pupitres éparpillés de manières circulaires dans la pièce. Il faisait quand même assez sombre et Léonard ne pouvait même pas voir le plafond.

Katarina, la majordome ainsi qu’une autre femme habillée comme une servante avec une longue robe, se tenaient en plein milieu de la salle.

—Prenez chacun place derrière un autel, demanda-t-elle. Il y en a cent trente-six, un chacun pour chacun d’entre vous.

—Non, tonna un barbu. Expliquez-nous ce qu’on fait là d’abord !

—Dès que vous serez en position cela sera fait.

—Hors de…

—Assez ! ordonna Katarina. Nous avons assez perdu de temps.

L’homme resta interdit, comme s’il venait de se faire gifler. Personne d’autre n’osa dire quoi que ce soit et tous prirent place. Léonard se retrouva entre une femme le dépassant de deux têtes et un homme qui lui faisait fortement penser au ministre de la Justice.

—Vous avez tous été réunis ici car Andross Reignivir a vu en vous de grandes possibilités, vous avez tous assez de potentiel pour qu’aujourd’hui il vous considère comme un de ses petits-enfants.

—Mais qu’est-ce qu’elle raconte cette cinglée, grommela un homme derrière Léonard.

—Malheureusement notre maître n’a pas la possibilité d’accorder à chacun d’entre vous le temps nécessaire.

Quoi ? Il n’est plus mort maintenant ?

—Alors il nous a chargé de sélectionner les meilleurs d’entre vous. Au travers d’un jeu qui fera ressortir toutes vos meilleures qualités, et éprouvera tous vos pires défauts. Il ne sera pas sans danger vous vous en doutez bien.

Des murmures d’incompréhension passèrent entre les rangs, l’histoire que la femme racontait était sans queue ni tête.

—Vous n’êtes forcés à rien, si vous décidez de partir maintenant votre dette sera effacé immédiatement. Comme si rien ne s’était passé.

Katarina Estrel leva le bras et les autels s’illuminèrent tous, révélant une plaque de métal sur laquelle une main était dessinée.

—Pour tous les autres, sachez que la récompense est plus grande que tous ce que vous avez pu désirer au cours de votre vie. Il ne s’agit pas de d’argent ou d’influence, celui ou celle qui parviendra à devenir le petit fils idéal pour Andross Reignivir obtiendra bien plus que tout cela. Cette personne s’élèvera au-dessus de tous les autres humains de ce monde. Cet individu exceptionnel obtiendra un pouvoir dépassant l’entendement.

A-t-elle perdu l’esprit ?

Léonard regarda autour de lui et fut choqué de voir que tous étaient comme subjugué par le discours de Katarina Estrel. Ils étaient comme aspirés par les promesses de son cours pourtant sans aucun sens.

—Que tous ceux qui veulent participer pose leur main sur l’autel devant eux, que les autres s’en éloignent.

Toutes les mains autour de lui se posèrent en un instant. La lumière des pupitres redoubla d’intensité et la pièce entière fut illuminé. Des volutes de fumées sortirent du sol avant de tourbillonner pour se rassembler au milieu de la pièce.

Bientôt une immense sphère commença à se former, puis des traits plus humains se dessinèrent peu à peu.

Léonard plissa les yeux.

Non les traits n’avaient rien d’humains.

Un rire sinistre retentit dans la salle, glaçant le sang du jeune homme.

Le visage d’un démon flottait au milieu de l’immense pièce, le regardant droit dans les yeux. Ses orbites étaient dévorées par des vers et sa peau semblait pourrir aussi rapidement qu’elle se régénérait.

—Je le répète une dernière fois, cria Katarina Estrel pour couvrir le vacarme. Retirez votre main si vous ne vous sentez pas prêt, laissez là si vous êtes prêt à mettre votre vie en jeu pour obtenir la puissance d’un dieu.

Léonard se rendit compte que sa main était posée sur l’autel, ses doigts rentraient parfaitement dans la forme gravée sur la plaque de fer.

Il ne l’avait pourtant pas posé.

Putain !

Il essaya de retirer sa main mais c’était impossible. Léonard avait beau mettre toute sa force sa paume restait collé à l’autel.

La tête de démon devenait plus grosse chaque seconde qui passait, son regard parfaitement fixé sur le jeune homme.

—Ta décision est prise, élu ?

Ce n’était pas Katarina qui avait parlé, le démon s’était directement adressé à lui, son énorme gueule à moitié arraché se déplaçait lentement.

—Non ! hurla Léonard en forçant encore davantage.

—Je vais te donner un premier avant-goût de la puissance que tu recherches, continua le démon, sa voix semblait provenir de partout à la fois. Prends cette fraction de pouvoir et façonne-la comme tu le souhaite, sois prudent et choisis bien. Cependant rappel toi, la puissance ne vient pas sans contrainte, à toi de faire les bons choix.

—Ferme là !

Léonard sentit quelque chose lui percer la main et du sang s’écoula de l’autel. Il sentit ses jambes faiblir et manqua de tomber. Toute son énergie était comme aspirée.

Il leva les yeux pour voir la gueule du démon se refermer sur lui, le plongeant dans le noir.

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