1. D'une divinité et d'un autre

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Nul ne connait l'histoire de la Divinité Suprême avant qu'elle ne devienne la Divinité Suprême. Toujours est-il qu'elle existait bien avant les Deux Cotés et que bien des choses existaient avant elle. Mais de ce monde d'antan personne ne connaissait rien car elle l'avait abandonné et ne voulait pas en parler. Puis un jour elle se réveilla et Jumistelle passa sa première éternité à établir son domaine divin, ce qui ne fut pas bien compliqué au vu de sa personnalité.

Quand elle se réveilla, Jumistelle, la Divinité, la Grande Créatrice, la Sang d'Encre, elle ne vit rien d'autre que du vide. Elle détestait le vide et prit le seul objet qu'elle avait emporté dans son sommeil. Elle empoigna son morceau de charbon et griffona une clémentine dans le vide. Puis de sa main sale, elle la prit et arracha la peau à coup de dent avant de plonger une tranche du fruit dans sa bouche. Quand elle fixa ses doigts poisseux, elle remarqua le liquide fruité, sombre comme l'encre. Elle prit alors le reste du fruit dans sa main et le pressa jusqu'à ce qu'il n'en reste plus une goutte. Puis elle redessina le fruit et le pressa, la tâche d'encre devenant mare puis lac puis océan sur lequel flottait la Divinité.

Lorsqu'elle fut lassé du fruit, Jumistelle fit lever les vagues noires et les fit danser dans les airs. Avec la première vague d'encre, elle traça les arabesques du vent, avec celle-ci les traits rugueux d'une forêt. Puis la déesse leur ordonna de se colorer et le vide passa du noir et blanc à une infinité de couleur.

Jumistelle se revela bientôt d'un ego surdimensionné, maintenant doté de cette toile qu'il ne tenait qu'à elle de peindre ou d'effacer. Cet ego se mélangeait avec une immaturité d'éternelle enfant et donc il lui parut impérieux qu'il lui fallut à elle, Grande Créatrice de ce monde autrefois si morne et vide, un endroit où vivre à la hauteur de sa personne et de son imagination. Il fallait que ce sanctuaire soit à la hauteur de sa grandeur si fabuleuse.

Mais avant tout elle se créat une couronne et un trône puis contempla son monde du haut de ce siège divin.

Puis elle créa le Monde.

Toujours convaincu de n'en avoir jamais assez, la Divinité Suprême avait paradoxalement réussi à allier sa grande simplicité de vie faite de pensées, de lecture et de nourriture avec une superficialité déconcertante de par sa grandeur. Ainsi créat-elle le Royaume des Îles Infinies où elle emplie chacune d'une chose qu'elle désirait mais dont elle ne voulait pas spécialement dans son palais. Et parce que la superficialité ne mène à rien de solide, la déesse voyait ses désirs changer sans cesse de sorte à ce qu'un jour, elle considéra l'île des Idylles trop proche de son palais à lui en donner la nausée et l'Île des Mathématiques, pourtant tenue à l'écart depuis plusieurs siècles, outragesement éloignée. Ainsi décida-t-elle que les Îles flotteraient dans les airs, de sorte à pouvoir changer leur position sur n'importe quel coup de tête.

Mais parmi les Îles certaines ne changèrent jamais de place, celle des Amours de Vie resta toujours un peu plus bas que le Palais afin que la Divinité puisse toujours contempler sa famille et les autres êtres qu'elle chérissait. De même pour l'Île des Haines Sans Plus De Dettes, où elle n'avait jamais mis les pieds mais sur laquelle étaient tourmentés sans relâche ceux qui avaient osé la froisser, un spectacle qui ne devait selon elle qu'être regardé de haut depuis le balcon du Palais en dégustant les mets les plus délicieux. Parfois il lui arrivait d'interpeller ses prisonniers pour leur servir un sourir aussi innocent que sadique, puis elle détournait assez rapidement car ceci l'ennuyait assez vite. L'Île aux Fictions Infinies était constamment à portée d'aile de même que celle des Nectars et Délices. En revanche certaines n'étaient là que pour être possédée - en cas d'une soudaine lubie nouvelle - comme l'Île des Vers aux Nombreuses Rimes ou celle des Automates Absolus.

Quand à son Palais, il fut plus merveilleux et rocambolesque que n'importe quelle création ayant jamais vu le jour et n'abritait qu'elle. Nul n'y entra jamais et à l'exception des souffles mystérieux chargés de répondre à tous ses désirs et ses adorables créatures qui égayait son jardin, nul esprit ne pénétra dans cette prouesse imaginative.

Quoiqu'un autre pénétrait souvent...

La chose n'avait pas de nom, dusse-t-elle pouvoir vraiment être considérée comme une chose. La seule raison de son existence, puisque celle ci ne disposât ni de nom, ni d'état qui font l'existence de toute chose, était sa déplaisante habitude de ne pas obéir à la Divinité.

Quels qu'étaient les ordres ou la volonté de la déesse absolue du monde, cela n'obtempérait jamais, ça vivait mais jamais dans l'ordre voulu par Jumistelle. Ceci était assez gênant mais la déesse ne fit pas plus d'histoire du fait que la chose - ou que diable fusse cela - ne dérangeait pas grand chose qui mérite contrariété. Elle créa même un certain lien avec et observait avec une certaine curiosité et patience de quelle manière sa volonté ne serait pas faite.

Jumistelle passa sa première éternité ainsi, parfois visitée par ce qu'elle ne désirait pas, maugréant mais contemplant ce qui ne lui obéissait pas.

Vers la fin de la première éternité, elle ne savait plus quoi penser de la chose. Elle ne pouvait nier son intérêt pour elle et pourtant elle avait le don de la déranger. Qu'était cette chose ?

"Est-ce que ce n'est pas moi ?"

Lorsque sa volonté fut à nouveau perturbé elle demanda :

"Qui de toi ou de moi est ma volonté ?"

On ne lui répondit jamais. La chose se posait la même question.

Cette question resta longtemps une énigme pour la Divinité. Jusqu'au début de la deuxième éternité où l'autre devint véritablement une épine dans son pied....

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