Secteur Nu-R13 (1/2)
Quand Nadia ouvrit les yeux, son sixième sens était en alerte. D’habitude, quand elle sortait de cet état de semi-coma suite à une rupture brutale de la connexion neuronale, Clothilde se trouvait à ses côtés à son réveil, avec ce ridicule petit air inquiet sur le visage. Cette fois, elle était seule dans sa cabine. La lumière des rares diodes lui transperçait la rétine.
« Bon, des migraines ophtalmiques cette fois ? Super… » maugréa-t-elle.
Elle se leva difficilement de son lit, et fut immédiatement assaillie de vertiges. Elle mit quelques minutes à s’en remettre. Elle alluma son exovision, mais l’intensité lumineuse lui fit instantanément regretter cette décision. À tâtons, elle trouva son pistolet M-0 Flare sous sa couche. La gravité sous ses pieds n’était pas artificielle. Elle ouvrit la porte de sa cabine. Elle n’entendait aucun bruit.
« Capitaine ? Mouss' ? Ed ? » tenta-t-elle.
Ses appels restèrent sans réponse. Elle se dirigea vers la cabine de pilotage.
« Clothilde ? » insista-t-elle.
Elle savait qu’ils ne l’auraient pas laissée seule sur l’Airedale. Son instinct initial se confirmait. Elle se dirigea vers la sortie. Quand le sas s’ouvrit, elle fut assaillie par la lumière pourtant tamisée par d’épais nuages d’un soleil bleu. Elle reconnut immédiatement l’odeur sulfurisée d’une mégapole trop peuplée. Elle fouilla sa mémoire, Les installations humaines importantes autour de soleils bleus étaient rares. Elle comprit qu’elle se trouvait sur Wasp, une planète récemment colonisée par les scientologues du Secteur Nu-R13. Primo Humanis et l’Eglise de la Scientologie étaient en conflit depuis plus de cinquante ans. Elle avança sur le quai. Elle mit sa main en visière sur son front, et distingua un paysage urbain en face d’elle.
« Ça va, madame ? demanda un docker.
— J’ai la tête qui tourne, mais… ça va aller.
Elle trébucha sur banc et manqua de se retrouver au sol. Elle cracha une insulte.
— Je vais vous accompagner à la capitainerie. L’individu s’approcha d’elle, mais fut accueilli par une grimace antipathique.
— Dites-moi juste où c’est. »
* * * * *
Tous les sens de Nadia accueillirent avec plaisir le calme et l’obscurité relative du petit bâtiment. Une injonction sur le mur lui indiquait d’attendre en salle d’attente le temps qu’æn conseiller s’occupe d’elle. Elle pénétra dans la petite pièce. Trois sièges en piteux état, une pile de publicités sur une table taguée, et une machine à café dont la plupart des options étaient en rupture de stock. Un sourire illumina le visage de Nadia. Elle se sentait presque à la maison dans ce genre de décor. Elle éteignit le néon et s’installa la tête posée sur le distributeur.
Une heure plus tard, æn Neutre la réveilla. Prise par surprise, Nadia eut un mouvement de recul. Les Neutres étaient le résultat de longues années d’expérience sur l’Homme. Un cocktail à la composition tenue secrète d’acides et d’alcools, injecté au premier mois de grossesse, détruisait toute trace de testostérone et d’œstrogène dans l’embryon. Naissaient alors des êtres humains appelés Neutres, qui pouvaient atteindre jusqu’à un mètre cinquante à l’âge adulte, sans caractéristique sexuelle apparente. L’intérêt des Neutres pour les scientologues était qu’æls étaient bien plus concentrées sur le travail, qu’æls ne perdaient pas de temps en conquête amoureuse, ni à l’éducation des enfants. Æls gardaient, comme tout être humain, une forte indépendance et individualité. Sur Wasp, æls représentaient quatre-vingt-cinq pour cent de la population. Les Neutres ne commettaient presque aucun crime. Toute personne qui passait sur une planète scientologue se voyait offrir la possibilité de devenir un Reproducteur, si son patrimoine génétique se révélait intéressant.
« … apparence extérieure peut parfois être choquante, pour ceux qui ne sont pas…
— C’est bon, c’est bon, je sais ce que vous êtes. Désolée, ça faisait des années que je n’avais pas vu l’æn d’entre vous, je ne voulais pas être offensante.
— Ce n’est pas grave. Je suis Camille, læ responsable de la capitainerie. Qu’est-ce qui vous amène sur Wasp ?
Nadia essaya de se relever, mais fut prise d’un nouveau malaise. Læ Neutre la rattrapa tout juste.
— Ça va, madame ? Vous voulez que j’appelle une ambulance ?
— Oui, s’il vous pl.. S’il vous plaît. J’étais sur l’Airedale, je crois que mon Vaisseau a été volé. Elle essaya d’allumer son exovision une seconde fois, mais la lumière trop agressive lui fit regretter son empressement.
— Je n’arrive pas à joindre mon capitaine. Il vous reste des cabines matérielles en ville ?
— Il y en a une à l’arrière de la capitainerie. Je vais appeler æn de mes collègues, pour m’aider à vous déplacer jusque là. »
Læs deux Neutres la trainèrent difficilement jusqu’à la cabine. Le rapport entre leurs deux petites carrures et la taille imposante de Nadia, rendait la situation presque comique. La femme se balançait de gauche à droite et læ Neutre qui devait alors supportait son poids.
« Aidez-moi, s’il vous plaît, j’ai vraiment mal à la tête. Est-ce que vous pouvez composer l’identifiant suivant ? »
* * * * *
Une heure plus tard, le PowderPuff se posa sur le spatioport de Wasp. Un taxi autonome attendait Clothilde, Ed et Mouss' pour les mener à l’hôpital. À l’intérieur Camille était installée à l’avant gauche.
« Et donc, nous avons immobilisé l’Airedale, et une patrouille surveille les accès au quai, expliqua læ responsable de la capitainerie. Votre vaisseau est en sécurité.
— Merci, dit sincèrement Clothilde. »
Il avait eu peur de l’avoir perdu définitivement, si peu de temps après l’avoir retrouvé. Le véhicule autonome les déposa devant l’entrée arrière de l’hôpital. Camille les guida jusqu’à la chambre de Nadia. Clothilde referma la porte derrière lui, laissant læ Neutre derrière eux. Nadia était allongée sur un lit, de nombreux instruments non invasifs surveillaient ses constantes vitales. Son teint pâle était préoccupant, tous comme les hologrammes rouges qui flottaient autour d’elle.
« Comment ça va, Nadia ? demanda Clothilde
— C’est de pire en pire à chaque fois, mais je tiens le coup, assura-t-elle. Elle vit l’inquiétude dans le regard de ses amis.
— J’vais pas crever, alors rangez-moi ces larmes !
— Tu sais où elles sont parties ? demanda Clothilde pour changer de sujet. Je veux dire, Tanya et Clarinetta.
— Non, quand je me suis réveillée, l’Airedale était vide.
— Deux femmes, dont une avec des prothèses sous-cutanées de cornes, ça ne va pas passer inaperçu sur cette planète de Neutres, réfléchit Mouss' à voix haute.
Clothilde invita Camille à entrer dans la chambre.
— Dites, si je vous donne le portrait-robot de deux suspectes, vous pourriez le faire tourner à vos agents ?
— Oui, bien sûr, » dit-elle en ouvrant un canal de communication courte portée.
Clothilde transféra les photos des deux femmes. Dix minutes plus tard, ils furent contactés par æn agent du spatioport public. Il annonça que les deux suspectes venaient de monter sur une navette en direction de Вl -17. Un sourire apparut sur le visage de Clothilde. Alors qu’il demandait à un fauteuil roulant à æn membre du personnel soignant, un autre appel indiqua que Tanya et Clarinetta avaient été aperçues en centre-ville. Les alertes s’enchaînèrent avec des signalisations multiples, aux quatre coins de la ville.
« Elles cherchent à couvrir leurs traces, hein ? rumina Clothilde en grattant sa barbe qui déjà redevenait sauvage. C’est bien joué de leur part.
— Désolé, je.... Je verrai à ce qu’ils soient tous sanctionnés.
— Peu importe. Quelqu’un a une idée pour les retrouver ?
Clothilde parcourut les présents de son regard inquisiteur, les challengeant d’un hochement de tête. Quand il passa devant Mouss', les yeux du jeune ingénieur s’illuminèrent.
— Je sais ! J’ai remarqué qu’il y avait une caméra dans le taxi. Si nous parvenons à obtenir les images de tous ceux qui sillonnent la ville…
— Nous allons avoir besoin d’un mandat pour ça. Ça dépasse ma jur...
— On s’occupe de tout, maintenant. Ed, on ramène Nadia à l’Airedale. Mouss' tu sais quoi faire.
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