Chapitre 2
Paris, Rue des Saussaies
Pour les médias, le ministère de l’Intérieur est situé Place Beauvau, à un jet de pierre de l’Elysée, un palais derrière une grille dorée. Pour les fonctionnaires, l’entrée se situe rue des Saussaies et l’accès est plus discret.
Charles Ségafredi, grand flic proche de la retraite, connaissait bien les locaux et disposait d’un laisser-passer permanent. Ne goûtant guère les privilèges de sa fonction, il se fit déposer sans sirène ni gyrophare devant le portail et présenta sa carte au planton qui le salua respectueusement.
Il se dirigea directement vers le bureau du conseiller en charge des relations Presse, se demandant bien ce que ce jeune énarque pouvait bien avoir à lui demander. Il n’avait que peu d’affinités avec ce genre de jeunes prétentieux qui ne connaissaient rien aux affaires de police, mais qui avaient malgré tout un accès direct au bureau du Ministre.
À six mois de sa fin de carrière, Charles Segafredi venait d’être nommé Commissaire Général, mais n’avait plus de véritable compétence opérationnelle, tout au plus jouait-il le rôle de mentor et occasionnellement de « consultant » dans des situations complexes ou délicates, où son sens du terrain et son expérience étaient encore fort appréciés.
Comme il arrivait devant le bureau du conseiller, Charles reconnut Dominique Favelli, le Directeur Central de la Police Judiciaire, corse comme lui, et ami d’enfance.
- Doume, pourrais-tu me dire pourquoi je suis ici ?
- Hélas, je n’en sais pas plus que toi, on m’a juste convoqué, comme toi à ce que je vois.
Les deux hommes n’eurent pas le temps de discuter plus longtemps car la porte s’ouvrit et une secrétaire les invita à entrer.
- Entrez, Messieurs, le Conseiller vous attend.
Charles sentit une pointe de mépris dans la façon dont la femme, qui en avait sans doute vu passer beaucoup d’autres, prononça son titre.
- Voici nos grands flics ! entrez Messieurs, dit l’homme en leur désignant deux sièges sans se lever de son bureau. Vous devez vous demander pourquoi vous êtes ici, tous les deux, ce matin. Je vais vous l’expliquer tout de suite. Nous n’avons pas beaucoup de temps car je dois voir le Ministre à dix heures, mais vous allez vite comprendre.
Les deux fonctionnaires se regardèrent sans rien dire, pendant que le jeune homme se lançait sur un long développement sur la mauvaise image de la Police auprès de la population et des médias et sur le désir du Gouvernement de remédier à cette situation. Il avait donc été décidé en haut-lieu de redorer l’image de l’institution, et tout particulièrement de la Police Judiciaire. Le but était d'offrir à une équipe de journalistes la possibilité de vivre au quotidien la vie d’un groupe de police. Les accompagner sur le terrain leur permettrait ainsi de rapporter une image positive et vanter les mérites des hommes et femmes ne comptant pas leurs heures pour traquer les grands criminels.
Favelli était directement concerné puisqu’il était le chef ultime de toutes ces forces. Ségafredi avait été choisi pour aider au choix et faciliter l’insertion sur le terrain de l’équipe de presse.
- Nous avons choisi un média écrit, plutôt qu’une équipe télé, ce qui devrait éviter l’effet « télé-réalité », mais je compte sur vous pour que tout se passe au mieux, sans conflits ni fausses notes.
- Etes-vous pleinement conscients des risques que comporte cette opération, tenta Favelli, tant pour la confidentialité des enquêtes que pour l’intégrité physique des journalistes eux-mêmes ?
- C’est pour gérer ce genre de détails que nous avons choisi Ségafredi, le Ministre lui fait confiance. Ne le décevez pas. Voici les détails et les différents contacts compléta le jeune homme en poussant vers eux deux exemplaires d’une mince chemise cartonnée. Prenez directement contact avec le rédacteur en chef.
Moins de quinze minutes après être entrés, les deux hommes étaient de nouveau dans le couloir.
- Veux-tu prendre un café dans mon bureau, proposa Favelli ?
- Avec plaisir, je crois qu’il faut que l’on réfléchisse un peu à tout ça, répondit Charles.
Favelli demanda à un planton de leur apporter deux cafés serrés et invita son ami à prendre place sur un canapé de velours.
- Je ne supporte plus ces jeunes coqs qui prétendent faire la pluie et le beau temps au nom du pouvoir. Je ne suis pas fâché de prendre ma retraite.
- Je te comprends, répondit Favelli, moi non plus je ne les apprécie guère, mais que veux-tu, le système est ainsi fait. C’est pour ça qu’on a encore besoin de nous pour amortir les décisions et faire fonctionner la machine. Au fait, je ne t’ai pas demandé de nouvelles de Chiara, elle va te voir plus souvent, ça doit lui faire plaisir.
- Chiara est en pleine forme, je te remercie, elle est déjà en train de préparer notre retour au pays. Dans six mois, nous quitterons Paris pour Porto-Vecchio, sans regrets.
- J’espère que vous aurez le temps de venir dîner à la maison avant votre départ.
Une jeune femme au sourire avenant entra dans la pièce et déposa deux tasses dans laquelle elle versa le café fumant.
- Service à l’ancienne, pas d’une infame machine. Merci Juliette, dit Favelli.
Lorsque la-dite Juliette eut refermé la porte, Favelli demanda à Charles :
- Comment vois-tu les choses ? Tu as déjà une équipe en tête ?
- Non, pas encore, mais j’ai quelques points qui me viennent à l’esprit. Je ne crois pas qu’il soit possible, ou même souhaitable d’impliquer un grand service comme la Crim’ ou la BRI. Il faut quelque chose d’un peu plus discret, sans s’éloigner trop de Paris, pour des raisons de commodité.
- La DRPJ de Versailles, proposa Favelli. C’est bien là que ton fils est en poste ? Sur quoi est-il en ce moment ?
- On vient de lui confier une enquête sur une série de crimes curieux. Le procureur des Yvelines a retiré l’affaire aux gendarmes pour la confier à la PJ, trois meurtres similaires, dans un cercle de 50 kilomètres.
- Ça me parait bien ça, je vais appeler Moreau, à Versailles, pour le prévenir. Je te laisse gérer les contacts avec le journal et prévenir ton fils. Faisons vite et sans vagues. Je me doute bien qu’Ange ne va pas apprécier, tu n’auras qu’à lui dire que c’est moi qui l’ai choisi.
- Entendu, répondit Charles en se levant, merci pour le café. Je te tiens au courant.
- Embrasse Chiara de ma part, et n’oublie pas pour le dîner.
- Je n’y manquerai pas.
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