Chapitre 9
Achères
Demange conduisit ses collègues en un temps record au travers de la forêt de Saint Germain jusqu’à la bretelle menant à Achères. Ils contournèrent le plan d’eau pour rejoindre la zone de la déchetterie où un gendarme barrait l’accès de l’unique route. Le commandant se présenta et se fit préciser le chemin.
— Continuez sur quelques centaines de mètres jusqu’au ferrailleur. Vous ne pouvez pas manquer la zone, il y a plusieurs véhicules sur place.
Le brigadier roula à vitesse plus modeste jusqu’à l'endroit où stationnaient déjà deux véhicules de gendarmerie et une camionnette de techniciens de la Police.
— Demange, restez dans le secteur et attendez Ivo et les journalistes. Quand ils arriveront, vous ne les lâchez pas d’une semelle, surtout le photographe, et vous les empêchez d’approcher trop près. Vous demandez au capitaine de nous rejoindre.
— À vous ordres, Commandant.
— Venez Assami, allons voir ce que nous avons là.
Les deux officiers se dirigèrent vers les hommes en uniforme qui arpentaient la rive de l’étang. Plusieurs techniciens en tenue blanche photographiaient la zone. Un corps reposait sur le dos, totalement dévêtu, dans quelques centimètres d’eau. Il s’agissait d’une femme, visiblement encore assez jeune, ne présentant pas de blessures apparentes. Sega se fit conduire auprès du responsable du dispositif.
— Adjudant-Chef Mauduit, de la gendarmerie de Conflans. Je suppose que vous êtes de la PJ ?
— Commandant Ségafredi de la DRPJ. Nous agissons, en effet, sur la requête du Procureur de Versailles. Vous ne le savez peut-être pas encore, mais c’est la quatrième femme que nous retrouvons dans des circonstances similaires dans la région.
Le gendarme eut un instant de stupeur.
— Vous voulez parler d’un tueur en série ?
— Nous ne sommes qu’au début de l’enquête, mais à chaque fois, la victime a été retrouvée nue, au bord de l’eau, dans une zone peu fréquentée. Que pouvez-vous nous dire sur celle-ci ?
— C’est un employé de l’entreprise de ferrailles qui nous a prévenus. Il est venu fumer une cigarette au bord de l’eau pendant sa pause et a découvert le corps, exactement comme vous le voyez. Il devait être à peu près dix heures ce matin. Nous avons relevé ses coordonnées et enregistré son témoignage, mais il est encore sur son lieu de travail. Nous n’avons trouvé ni vêtements, ni chaussures, ni aucun effet personnel dans le secteur.
Le commandant s’approcha du corps sur lequel était penché un homme. Salma était à ses côtés.
— Je suppose que vous êtes le légiste. Commandant Ségafredi de la PJ de Versailles.
— Docteur Legal.
— Un nom prédestiné, mais je présume que je ne suis pas le premier à vous le dire.
— En effet, répondit le médecin. Vous voulez sans doute avoir un premier avis sur la mort de cette malheureuse.
— Je vous en serais reconnaissant, concéda Ange.
— Cette femme est morte il y a quelques heures, probablement durant la nuit, sans doute pas ici. Le corps a ensuite été porté et lâché au bord de l’eau. Il n’y a pas de traces dans le sol. La cause de la mort est sans nul doute la strangulation, à l’aide d’une cordelette, les traces sont nettement visibles sur le cou. L’assassin se tenait derrière sa victime. Cette femme me semble assez jeune, mais je vous en dirai plus après l’autopsie. Je ne serais pas surpris qu’elle soit originaire d’Afrique du Nord, du fait de sa carnation et de ses cheveux.
— Une Marocaine, interrompit Selma. Elle a des tatouages au henné sur les mains.
— En effet, c’est tout à fait plausible confirma le médecin. Il n’y a pas d’autres traces de coups ou de lutte. Je vous en dirai plus dans quarante-huit heures.
— Y a-t-il une chance que ça aille un peu plus vite ? Le Parquet souhaite des éléments rapidement.
— Je pourrai vous donner mes premières conclusions demain soir, mais pour les examens biologiques, il faudra un peu plus de temps.
— Merci Docteur.
Ivo Bratanic était arrivé entre-temps et regardait le corps sans vie.
— Il nous faut coincer le salopard qui fait ça et s’il cherche à s’échapper, je pourrais avoir l’idée de l’arrêter d’une balle.
— Je te le déconseille, Ivo. J’ai besoin de toi dans l’équipe.
— Bien sûr Sega, c’est juste que ce type de criminels me dégoute au plus haut point.
— Une clandestine, dit Salma pour elle-même, il faut chercher par là.
— Qu’est-ce que tu dis ? demanda le commandant.
— Je repense à ce qu’a dit Marie l’autre jour. Ces femmes sont peut-être des immigrées illégales, ce qui expliquerait pourquoi personne n’a signalé leur disparition.
— C’est une direction possible, admit Ange. Comment vois-tu les choses ?
— On peut faire le tour des associations d’aide du secteur avec des photos.
— Si ce sont des migrantes, on a une chance, répondit Ivo, mais si elles sont arrivées par un réseau mafieux, ça ne donnera rien.
— On peut quand même essayer, valida Ange. Salma, tu te mets là-dessus avec Marie. Ivo, tu demandes à Boris de chercher du côté des réseaux sociaux. Vous pouvez vous mettre au boulot tout de suite, je vais voir où en sont nos amis.
Ange revint vers les voitures. Il entendit quelques éclats de voix. Le brigadier avait visiblement du mal à contenir la frustration de Julie Delmas.
— Ah, vous voilà enfin. Pourquoi nous avez-vous amenés ici, si c’est pour nous tenir à distance ?
— C’est une scène de crime, on ne peut pas y pénétrer comme ça.
— Vous y étiez bien vous et vos adjoints ?
— Nous sommes Officiers de Police Judiciaire, saisis par le Parquet, mais rassurez-vous, je vais vous dire ce qu’il faut savoir.
— Je n’aime pas que l’on me dise ce que je dois écrire.
— Je n’ai pas l’intention de vous dicter votre texte, juste de vous expliquer ce que nous avons ici. Au fait, où est votre ami britannique.
— Je crois qu’il est allé faire quelques photos dans le secteur, puisqu’il ne pouvait pas s’approcher.
— Rappelez-le, on rentre à Versailles, je vous donnerai les détails dans la voiture. Jacques, tu peux nous ramener au bureau à une vitesse raisonnable ?
Sur le chemin du retour, Ange rappela les faits, quatre femmes retrouvées mortes, non identifiées, mais semblant toutes d’origine étrangère.
— Pourquoi n’en a-t-on pas parlé avant, demanda John ?
— Nous n’avons fait le lien qu’à partir de la troisième victime, il y a quelques jours. Nous ne voulons pas faire de publicité à l’assassin ou donner des idées à un imitateur.
— En publiant les photos de ces femmes, vous auriez une petite chance de les identifier. En les gardant cachées, qu’espérez-vous ?
— Il ne m’appartient pas d’en décider, je vais en parler au Procureur.
— S’il est d’accord, je veux l’exclusivité, dit Julie.
— Nous en reparlerons le moment venu.
La journaliste prit cette dernière phrase pour une approbation et se détendit un peu.
— Qu’allons-nous faire à Versailles ?
— Je vais réunir le groupe et partager les informations. Vous verrez que nous ne travaillons plus comme Jules Maigret.
— J’aimerais interviewer les membres de votre équipe, un à un, ce sera possible ?
— Sur le principe, je n’y suis pas opposé, mais vous devrez d’abord les convaincre, eux, et ne pas nous faire perdre de temps, c’est une course contre la montre qui commence.
— Je pourrais commencer par vous, suggéra la jeune femme.
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