Chapitre 24
Mantes la Jolie, Le Val Fourré
Salma avait rappelé Karim Sayed à l’issue de la réunion du groupe. Il avait obtenu l’accord attendu et lui avait donné rendez-vous devant le local de son association. Des ados, copie carbone de ceux de l’après-midi, palabraient autour d’un scooter. Elle les interpella en arabe, leur expliquant qu’elle était une amie de Karim. Celui-ci sortit aussitôt et rassura tout le monde.
— On va prendre ma voiture, la votre est trop repérable.
— Ok, je vous suis.
Le sociologue la guida jusqu’à une vieille Peugeot. Ils parcoururent quelques centaines de mètres avant de s’arrêter au pied d’un immeuble qui avait encore bonne allure.
— Nous allons rencontrer la famille Mansour. C’est eux qui ont recueilli Nawal. Je leur était dit que vous étiez algérienne, je me trompe ?
— Je suis née en France, mais mes parents ont émigré en 1962.
— Votre père était Harki ?
— Non, mais il n’aimait pas trop le FLN.
— Quoi qu’il en soit, ils ont accepté de vous recevoir chez eux. Vous verrez, ce sont des gens très généreux.
L’ascenseur fonctionnait correctement et les amena au 12ème étage.
Karim sonna et une femme à l’allure sportive leur ouvrit immédiatement, en leur faisant signe d’entrer.
— Bienvenue, je suis Myriem Mansour, dit-elle, et voici mon mari Khaled.
— Enchantée, je suis Salma Assami, police judiciaire de Versailles. Je viens pour vous parler de Nawal Asmudi.
— Elle est morte n’est-ce pas ? demanda Myriem.
— Oui, nous avons découvert un corps dans la forêt et Karim pense en effet que ce pourrait bien être votre amie. Nous allons devoir vous demander de venir l’identifier.
— Bien sûr, répondît Myriem, bouleversée. Quand ?
— Demain, ce serait bien. C’est possible pour vous ?
— Il faut que je prévienne mon employeur, je travaille dans une entreprise pharmaceutique, mais je pense qu’ils comprendront.
— Merci. Pouvons-nous parler un peu de votre amie ?
Khaled Mansour, qui était resté en retrait, prit la parole pour les inviter à s’asseoir dans le salon. La pièce était un curieux mélange de modernité et de tradition, grand écran plat, enceinte connectée d’un coté, canapé d’angle en bois découpé et tapis kilim de l’autre.
— Je suis technicien qualité chez Renault à Flins, dit l’homme. Nous nous considérons plutôt comme privilégiés et bien intégrés. Il nous paraît naturel d’aider ces pauvres qui débarquent à notre porte. Voulez-vous du thé ?
Salma considéra ce couple avec bienveillance, en se demandant ce que disaient d’eux les habitants des quartiers voisins.
— Oui, avec plaisir. Que pouvez-vous me dire sur Nawal ? Auriez-vous une idée de qui aurait pu lui en vouloir, au point de la tuer ?
— Elle a beaucoup souffert dans son pays. Elle m’a raconté des choses affreuses, répondit Myriem dans un sanglot. Ici, elle avait retrouvé un peu de paix, même si on ne peut jamais oublier. Je lui ai appris un peu de français et elle commençait même à lire et écrire.
— Que faisait-elle quand vous étiez au travail ?
— Au début, elle restait ici, elle n’osait pas sortir seule, puis elle a commencé à rendre service pour quelques familles. Elle faisait un peu de ménage, elle s’occupait des enfants. Le quartier est difficile, mais il y a beaucoup de solidarité entre nous.
— Est-ce qu’il lui arrivait de sortir le soir ? Est-ce qu’elle voyait quelqu’un ?
— Un homme ? Oh, non, je ne pense pas, elle en avait encore bien trop peur. Elle avait conservé les traditions de son village. Nous, on ne va pas souvent à la mosquée, juste pour le Ramadan, mais elle m’avait demandé de l’accompagner. Je l’ai fait au début, puis une autre femme a pris le relais.
— Pensez-vous qu’elle ait pu s’éloigner du quartier, croiser d’autres personnes moins bien intentionnées ?
— Je ne lui demandais pas de me raconter ses journées, mais je crois que ces derniers temps, il lui arrivait d’aller vers le centre de Mantes, de marcher au bord de la Seine. Vous savez qui a fait ça ? Vous allez les retrouver ? C’était une immigrée sans papiers, mais elle était devenue un peu comme ma sœur.
— Je compatis sincèrement, Myriem, et nous avons vraiment l’intention de mettre la main sur ceux qui ont fait ça. Je vous le promets.
— Merci.
— Je vous laisse mes coordonnées, dit Salma. Appelez-moi demain matin pour me dire quand vous pouvez reconnaître votre amie.
Dans l’ascenseur, Karim remercia l’enquêtrice.
— Je vais être honnête avec vous. Des flics, j’en vois souvent ici, ils viennent en nombre, jouent les cadors, mais en réalité ils ont la trouille. Et ils ont sûrement raison. Vous, vous êtes venue seule, et vous les avez écoutés. C’est la première fois que je vois ça.
— Peut-être parce que je suis un peu comme eux ?
— Vous ne voulez pas vous faire muter au commissariat de Mantes ? demanda Karim en souriant.
— Je ne crois pas que j’aimerais l’ambiance… Confidence pour confidence, j’admire ce vous essayez de faire ici.
— Merci. Si je peux me permettre, vous avez le temps de prendre un verre quelque part, un peu plus sérieux que le thé, ou vous êtes toujours en service ?
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