Chapitre Un.

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1. Insomnie.

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Je le ressens, là, au plus profond de moi. Je sens l’odeur de la pluie, l’herbe pliée sous ma course effrénée, l’eau humidifiée mon corps, ma respiration s’accélérer, mon cœur battre rapidement. J’ai la sensation de ne faire qu’un avec la nature, de voir le paysage d’un œil nouveau et vif. Je suis exaltée. La nuit fraîche m’offre la satisfaction de la solitude. Cela faisait une éternité que je n’avais pas eu ce sentiment de plénitude et de paix. J’ai envie que cela dure pour toujours. Jusqu’à ma mort. Là, je ne pense plus à rien. Plus de souvenirs qui font mal, plus d’amer regret sur ma vie. Étonnamment, je n’ai même aucune mémoire. Mais à cet instant, je m’en moque. Il y a plus important, comme vivre le moment présent et se focaliser uniquement sur celui-ci.

J’entends des bruits à mes côtés. Des souffles plus puissants et rauques que le mien. D’un geste vif, je tourne la tête sur la gauche puis sur la droite, mais je ne vois que des feuilles volées. Il y a d’autres personnes et elles ont l’air plus rapide et en nombre. Mon rythme cardiaque s’accélère encore, mais plus d’excitation cette fois, c’est de peur. Je les sens se rapprocher de moi, m’encercler, m’emprisonner. Ils semblent grogner tout en venant plus près. Alors dans un dernier geste de désespoir, je lève mes yeux vers le ciel pour admirer l’astre plein qui illumine le bois. J’ai envie de crier, de hurler ma colère, mais la terreur bloque le moindre son qui voudrait franchir mes lèvres. Je sens les autres souffles chauds dans ma nuque et ferme les yeux en adressant une prière à la Lune.

Lorsqu’ils s’ouvrent sur la pénombre, ma respiration courte et mon corps couvers de sueur me surprennent. J’ai la sensation d’avoir couru un marathon dans mon sommeil. De ma main gauche, je relève mes cheveux moites collés à mon front. Je regarde l’heure sur le réveil et râle. Quatre heures du matin que ma nuit est déjà finie. J’attrape mon paquet de cigarettes déposé sur la table de chevet et me lève. Ma couette traîne au sol et j’évite de peu de tomber dessus, je soupire en la dégageant avec mon pied avant de rejoindre la baie vitrée qui donne sur le petit salon. J’ai horriblement chaud, c’est désagréable. J’ouvre la porte-fenêtre et m’avance sur le balcon. Là, dehors, à la fraîcheur du mois de septembre, je respire de nouveau. Le vent fait doucement descendre ma température et j’en profite pour calmer mon agitation en allumant une cigarette. Je baisse mon débardeur pour cacher ma petite culotte en vain. Tant pis, vu l’heure il n’y a pas grand monde dans les rues et le paravent de mon balcon me protège un minimum.

Des flashs très distincts de mon rêve me reviennent et m’arrachent un soupir de frustration. Plus le temps passe et plus je me souviens des détails qui marquent presque ma chair. Comment pourrait-il en être autrement ? Je tire sur mon mégot avant de déposer mes bras sur la rambarde et de lever les yeux vers le ciel. Au-dessus de l’océan, la pleine lune illumine le ciel sombre. Je sens ses rayons m’envelopper comme un cocon et m’apaise quelque peu. J’ai toujours eu la sensation de fusionner avec elle, peut-être parce que plus jeune, je m’identifiais à Pandia, sa fille. Je souris à ce souvenir. Jace, lui, secouerait la tête devant ma naïveté. En même temps, lorsque l’on passe son enfance à être bercée de légende, ne garde-t-on pas un peu plus longtemps notre âme rêveuse ? Je remue la tête avant de trop divaguer dans mes pensées.

Peut-être est-ce la nostalgie qui vient me cueillir en cette magnifique nuit ? Même si je devrais avoir déjà franchi cette étape ? Mais, je n’ai pas vraiment eu une minute à moi, pour réfléchir, depuis que je suis arrivée ici. Pas que je m’en plaigne, quitter mon petit village pour la Capitale est la meilleure décision que j’ai prise, il y a deux mois. Mais je sens que même si l’ambiance commençait à me peser là-bas, j’y ai laissé de nombreux repères. Ma famille d’abord. Même si nous n’étions pas vraiment proches. Je secoue la tête une nouvelle fois. Il faut que j’évite d’y penser. Je jette mon mégot — qui s’est presque consumé seul — dans le cendrier avant de sentir quelque chose venir se frotter contre mes jambes nues.

― Je sais Olympe, il est très tôt, retourne te coucher, dis-je en le regardant en souriant tristement.

Après un miaulement de désapprobation, il s’éloigne pour rejoindre le canapé sur lequel il s’étend de tout son long. Je hausse un sourcil, amusée. J’ai trouvé Olympe en m’installant ici dans ce petit appartement il y a un mois. Il était caché dans un carton au pied de l’immeuble et venait tout juste d’être sevré. Cette mini boule de poil noir avec ses yeux jaunes a emprisonné mon cœur d’un seul regard. Depuis nous sommes inséparables. Je suis persuadée qu’il se serait plu dans les plaines où j’ai grandi. La maison de mes parents est grande et le jardin encore plus. Je l’imagine essayer les lits des différentes chambres ou chasser les mulots et oiseaux dehors. Mais la différence, c’est qu’ici, c’est notre chez nous. Que même si parfois, je semble étouffer dans cet appartement, je sais que je suis à ma place. Et je sais que sans cela, ma carrière aussi prometteuse. Mais si je reste là, dans cette tenue, je risque fort d’attraper froid et de ne pas assurer tout à l’heure. Alors après avoir jeté un dernier coup d’œil à la lune, j’entre dans le salon en fermant la baie vitrée derrière moi.

Je sais d’avance qu’il est inutile que je retourne dans mon lit, une fois réveillée, il est très rare que je puisse me rendormir. Je décide donc de m’installer dans le canapé — en poussant gentiment mon chaton qui a pris toute la place — et d’attendre que le jour se lève en regardant les dessins animés, le tout accompagné d’un bon plaid bien chaud et d’une tasse de thé fumante. J’espère juste que mes cernes ne se verront pas trop tout à l’heure, sinon Jace risque de me scruter encore plus qu’hier. Je grimace déjà à l’idée de l’entendre me dire de dormir la nuit. Si seulement je pouvais ! Mais je ne lui en veux pas, il est mon meilleur ami depuis l’enfance et je suis heureuse de l’avoir dans ma vie. Nous avons toujours eu ce lien, et quand l’adolescence est arrivée, amenant avec elle quelques…. Complications, nous nous sommes encore plus rapprochés. Il n’y a jamais rien eu d’ambigu, juste cette amitié puissante que je n’ai jamais connut ailleurs.

****

― Tu es certaine que cela va aller Opaline ? questionne Jace, un air sérieux plaqué sur son visage.

Je râle doucement avant de lever les yeux vers lui. C’est dingue comment il a eu une poussée de croissance pour atteindre le mètre quatre-vingt, alors que je suis restée bloquée au mètre soixante-dix. Je détaille son corps musclé par le sport qu’il pratique avec rigueur, puis plonge dans son regard de jade et de soupire.

― Je t’ai déjà dit au moins cent fois que je n’ai pas besoin d’une nounou, râlé-je. Et de toute manière ta présence ne changerai pas la situation.

― Ben si, s’exclame-t-il, peut-être que tu ne te sens pas en sécurité et voilà pourquoi tu dors si mal depuis deux jours, argumente Jace.

Je secoue la tête négativement. Qu’est-ce que je déteste quand il joue au protecteur ! Mais je ne peux empêcher mon cœur se gonfler de gratitude. Il relève un sourcil attendant patiemment ma prochaine réplique pour la démonter à coup de son assurance. Je hausse simplement les épaules, je sais qu’il fera tout pour ne pas me laisser seule ce soir. Aussitôt, qu’il remarque que je baisse les bras, un immense sourire se place sur ses lèvres.

― Je te déteste, lâché-je en retenant mon sourire.

― Moi aussi très chère, s’amuse-t-il. Je viens te rejoindre à vingt-et-une heures alors ?

― Si tu veux.

― Merci de l’enthousiasme ! Allez Ope ça va nous rappeler les nuits blanches de la faculté ! rit-il.

― Oh, mon dieu, non ! gloussé-je. Tu ramènes les pizzas vu que tu t’invites déjà chez moi ! grogné-je en haussant un sourcil en attendant qu’il se défile.

― Très bien ! Je ne te lâcherai pas, peu importe quel stratagème ta petite tête est en train de mettre en place, c’est peine perdue ! rit-il avant d’embrasser ma joue et de s’éloigner.

Je grogne une fois de plus, pour la forme avant de prendre la ruelle qui mène à la grande avenue qui se situe devant mon appartement. Je décide de traverser la route pour marcher dans le sable frais. Il est peut-être dix-neuf heures, mais le soleil est suffisamment haut dans le ciel pour que je puisse m’asseoir et admirer l’océan. Il y a encore beaucoup de promeneurs qui se détendent en profitant de ce magnifique paysage. Des couples, des enfants, des personnes avec leurs chiens, tout pour donner presque l’image d’une carte postale. Mais même si la Capitale reste un endroit merveilleux, elle regorge de pas mal de secrets. C’est ce qui a pas mal inquiété mes parents lorsque je leur ai annoncé mon départ. Fordommer, le petit village d’où je viens, situé à cinq heures de route quand le temps est clément, est très… Traditionnel. Très reclus aussi. La Capitale y a mauvaise réputation. Et pourtant, j’ai l’impression d’y avoir trouvé une part de moi. Je quitte la plage pour rejoindre mon appartement et me détendre sous une bonne douche bien chaude.

À la sortie de celle-ci, j’enfile un peignoir blanc et attache mes cheveux dans une serviette de la même couleur. Je retire la buée du miroir avec la paume de ma main et observe mon visage. Jace a raison lorsqu’il dit que les cernes sous mes yeux font peur à voir. Mais avec les deux heures de sommeil par nuits que j’arrive à m’offrir en ce moment, il n’y a rien d’étonnant. Je hausse les épaules, consciente que mis à part les camoufler sous deux tonnes de maquillage, je n’y peux rien. J’enfile des sous-vêtements ainsi qu’un bas de jogging sombre et un débardeur bordeaux. Mon meilleur ami à l’habitude de me voir en pyjama et sachant qu’il s’invitait chez moi à l’improviste, il ne doit pas s’attendre à ce que je change de comportement pour lui. J’entends la sonnette retentir puis la porte claquée. Je secoue la tête avant de sortir en trombe de la salle de bain.

― Mais fait comme chez toi surtout, râlé-je en haussant un sourcil.

― J’avais peur que tu fasses la morte et me laisses en plan devant la porte, me taquine-t-il.

― Si seulement j’y avais pensé, murmuré-je.

― Quoi ? questionne-t-il en relevant à son tour un sourcil.

― Rien, ou plutôt tu m’as bien entendue alors je ne vais pas répéter pour toi, déclaré-je en tirant la langue.

Il rit avant de déposer les pizzas sur la table basse du salon et d’allumer la télévision. Jace dans toute sa splendeur, qui se croit partout chez lui… Je glousse et m’installe à ses côtés pour manger avec envie le repas. Pendant celui-ci, nous discutons de tous et de rien. Enfin surtout de notre entreprise qui fonctionne du feu de Dieu.

― Au fait, je ne t’en ai pas parlé, mais je nous ai trouvé une secrétaire, déclare-t-il de but en blanc.

― Pardon ? m’exclamé-je. Depuis quand tu cherchais au juste ? Quand commence-t-elle ? Tu la connais bien ? Quand est-ce que tu allais m’en toucher un mot ? m’emporté-je.

― Doucement Ope, débute-t-il en posant sa main sur mon genou. Je voulais nous soulager de cette tâche, nous ne pouvons pas exécuter notre travail consciencieusement si nous sommes sans arrêt dérangés par le téléphone. Elle s’appelle Coraline, c’est la fille de la voisine de ma tante chez qui j’allais passer mes vacances, tu te souviens ?

J’acquiesce sans dire un mot afin qu’il continue son explication.

― Elle a étudié le secrétariat et elle cherchait justement un emploi, termine-t-il joyeux.

― Ok, soufflé-je en me pinçant l’arête du nez. Jace, nous sommes une équipe, nous travaillons ensemble, nous sommes amis… Comment as-tu pu prendre cette décision sans m’en parler ? Je ne l’ai jamais vue… Si ça se trouve…

― Si ça se trouve rien du tout d’accord Ope ? Elle est super, je suis persuadé que tu vas bien t’entendre avec elle ! ajoute-t-il avec un regard doux. Je ne remets rien en doute nous concernant, je cherche à nous soulager, la situation s’est présentée, j’ai accepté et voilà.

Je passe une main dans mes cheveux, fatiguée et agacée. Jace a beau être formidable, je n’arrive pas à comprendre comment il fait pour tout prendre avec légèreté. Son ex l’a quitté pour aller avec son cousin : aucun problème. Un local se libère à plus de six cents kilomètres de chez nous : il accepte sans visiter. Et là, il m’annonce qu’il engage quelqu’un que je n’ai jamais vu, que je connais juste de souvenirs qu’il m’a rapportés comme-ci, il me parlait du temps.

― Je vais me coucher, râlé-je en me levant.

― Ope ? questionne-t-il surpris.

― Je suis fatiguée, mens-je.

Je sais qu’en lui disant cela, il n’insistera pas. À force, nous avons presque développé un langage bien à nous et Jace a bien compris que je lui demandais de me foutre la paix. J’espère vraiment que Morphée sera clément, sinon demain, je risque d’être très désagréable avec lui. Je m’allonge sur mon lit en soupirant, rejointe rapidement par Olympe. Il s’installe à mes côtés en ronronnant de plaisir.

― Si seulement je pouvais trouver le sommeil comme toi, murmuré-je en le caressant, déclenchant de nouveaux ronronnements.

Il fait nuit, il fait froid, mon corps frissonne et j’entrevois une faible lumière au loin. J’essaie d’avancer, d’aller la rejoindre, car je sens qu’elle est pleine de chaleur et de réconfort. Plus j’avance, plus mes pieds se prennent dans les ronces et troncs d’arbres allongés au sol. Je ne distingue rien, un sanglot de panique se bloque dans ma gorge. Et j’entends du bruit derrière moi. Il y a quelqu’un d’autre. Quelqu’un qui grogne et qui m’oblige à accélérer le pas. Mais plus je progresse plus ce que je pense être de la végétation se fait épaisse devant moi, m’empêchant d’atteindre mon but. J’ai peur. J’ai mal. Mais ce qui est dans mon dos m’effraie plus que tout. J’ai envie de crier, mais seules les larmes de panique coulent sur mes joues. Je vais mourir ici. Je le sens. Je le sais. L’être derrière moi se rapproche. Vite. Trop vite. Et avant que j’aie pu atteindre la source de chaleur, je m’écroule, levant les yeux sur le ciel, où la lune m’observe rendant son dernier jugement.

Le réveil est beaucoup plus brutal que celui de la veille. Les larmes coulent sur mes joues, ma respiration siffle et je tremble de tout mon corps. Jace entre dans la pièce en panique avant de me prendre dans ses bras pour m’apaiser. Il caresse mes cheveux et murmure des paroles douces, mais il n’y a rien à faire, je suis tétanisée. Pas seulement par mon rêve et l’horrible créature qui semble m’y pourchasser. Ce rêve-là à l’air répétitif et de plus en plus intense à chaque fois. Non ce n’est pas cela qui m’effraie à ce point. Je suis choquée et terrorisée parce que j’ai enfin compris le message caché et que je sais qu’une fois de plus j’ai échoué.

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