Chapitre Quatre.
4. Cercle vicieux.
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(Point de vue Jace.)
Je suis quelqu’un de persuader que la vie nous réserve beaucoup de surprise. Que rien n’arrive dans le plus grand des hasards. Et je crois même être un expert dans ce domaine. Tout ce qui se déroule au long de notre existence est censé nous faire parvenir à un point crucial de celle-ci. Et si nous échouons, alors le cercle recommence. Et je peux constater que certaines choses sont en train de se répéter. Mais tant que les réponses resteront dans l’ombre, personne n’aura une chance de les trouver. C’est pourquoi j’estime qu’à certains moments, nous devons donner des coups de pouce pour que l’inévitable se produise et voir ce qui en découle. Je regarde mes amis en souriant. Nous nous connaissons depuis quelques années maintenant, même si je ne rejoignais la capitale que pendant mes vacances. Quand je les ai avertis de mon installation définitive à Freihet, ils ont tous contribué à mon aménagement. Nous pouvons toujours compter les uns sur les autres.
Nous sommes dans un bar où nous avons l’habitude de venir après nos séances de sport ou même pour décompresser et discuter. Nous nous asseyons un peu à l’écart des autres membres de l’équipe. Ce soir, la conversation s’oriente vers le match que nous allons disputer dimanche.
— Gregor est un sacré enfoiré quand même ! râle Lévy à mes côtés, pas le droit à la grasse matinée, soupire-t-il.
— Attends si on se qualifie pour la finale, grimacé-je.
Joy, la serveuse, s’approche de nous pour prendre nos commandes.
— Une bière pour moi, souris-je.
— Une vodka orange, ajoute Lévy.
Nos regards se tournent vers Ryk, qui n’a encore prononcé aucun mot.
— Et toi vieux ? l’apostrophé-je.
— Un whisky glaçon, grogne-t-il.
— Vous savez qu’on propose d’autres cocktails ? questionne Joy de sa voix fluette.
— On aime les valeurs sûres, répond Ryk un petit sourire au coin des lèvres.
— Très bien, j’arrive avec vos commandes, déclare-t-elle avec un clin d’œil.
— Depuis quand tu branches Joy ? demandé-je à mon ami avec un sourcil relevé.
— Je ne la drague pas, se défend-il.
— Allez, repris-je, Joy c’est LA fille la plus sexy du bar, conclus-je.
Nos trois têtes se tournent vers la jeune femme, accoudée au comptoir attendant ses commandes. Elle est petite, tatouée et fluette. Une longue chevelure noire faisant ressortir de magnifiques yeux émeraude.
— Elle est mignonne c’est vrai, avoue Ryk. Mais ce n’est pas ce que je cherche…
— Oh ! Le romantique est de sortie, raille Lévy.
— La ferme ! dit-il non sans essayer de dissimuler un sourire.
J’observe mes deux amis se chamailler gentiment. Lévy est un grand gaillard bien bâti, son crâne chauve, sa peau basanée et ses yeux verts rieurs ont eu raison de plus d’une femme. Même si son look de skateur a tendance à rebuter certaines d’entre elles. À moins que ce soit dû à son caractère très… défaitiste. Joy arrive avec nos boissons et j’en profite pour observer Ryk. Lui aussi possède un caractère bien trempé, refusant d’avoir tort, avec une détermination à toute épreuve. Il est grand, mais bien plus en muscle que nous. Ses longs cheveux blonds donnent un peu d’éclat à sa peau pâle faisant ressortir ses yeux acier perçants. Il offre un sourire en coin à Joy en prenant le verre qu’elle lui tend et lorsqu’elle repart, je ne peux retenir un petit rire.
— Quoi ? questionne Ryk, un sourcil haussé.
— Si tu ne la dragues pas, je deviens moine ! ricané-je de plus belle.
— Arrête tes conneries Jace, je lui ai juste souri, s’agace mon ami.
— Ouais un sourire bien suggestif, si tu veux mon avis, ajoute Lévy.
— Mais ce n’est pas vrai ! Par Helgener, vous êtes aussi cons l’un que l’autre ! râle Ryk.
Je frappe dans la main que m’offre Lévy en riant, avant de trinquer avec eux.
— Sinon pour en revenir au match de dimanche, reprend Ryk, il faut qu’on soit au top de notre forme. On ne peut pas se laisser battre par une équipe si minable, ajoute-t-il sérieusement.
— Ryk, c’est un sport, commencé-je.
— Peu importe, vous avez intérêt à jouer à deux mille pour cent, m’interrompt-il.
Lévy hausse les épaules et je n’insiste pas, c’est inutile avec lui. Quand il a une idée dans la tête, impossible de lui sortir. Je sens que nos adversaires vont vite lâcher l’affaire.
— Sinon, le cabinet tourne bien ? questionne Lévy voulant subtilement changer de sujet.
— Parfait ! dis-je heureux. Avec Cora au secrétariat, cela nous laisse plus de temps pour les patients et l’agenda se rempli pour le prochain mois.
— Qui aurait cru qu’il y avait tant de malades dans le coin… déclare Ryk sarcastique.
— La ferme ! ris-je. Mon métier me convient et je pense que tu es heureux que je sois kinésithérapeute pour te proposer des séances privées… ajouté-je taquin.
— Comment ça privées ? reprend Lévy faussement choqué. Et moi ? Je suis beaucoup plus mignon que lui non ?
— Ce n’est pas possible d’être aussi con, soupire Ryk.
— Allez chouchou ne rougit pas, blagué-je.
Ryk lève les yeux au ciel, nous faisant rire tous les deux. Je n’aurais jamais cru que nous puissions devenir si proches tous les trois. C’était loin d’être gagné d’avance. Je me souviens de leurs airs perdus et solitaires, mais je sais qu’ils ne sont qu’ainsi avec moi, entre nous. Même s’ils ont des relations, elles ne durent jamais longtemps, ils restent très durs à approcher. Il nous a fallu plus de seize ans pour en arriver à se taquiner sans que l’un ne prenne la mouche à une petite pique.
— Mais dis-moi, m’interrompt Ryk dans mes pensées, tu as parlé de Cora… C’est Coraline Lett ? s’intéresse-t-il.
— Oui pourquoi ? Tu la connais ?
— Pas vraiment, on a fréquenté le même bahut pendant un temps…
— C’est qui ? questionne Lévy se redressant sur sa chaise.
— Une fille un peu bizarre… ajoute vaguement Ryk.
Je lève un sourcil à son attention, tandis qu’il me répond par un haussement d’épaules.
— Et ta meilleure amie ? Opale, c’est ça ? Elle se plaît à la capitale ? change de sujet Ryk.
— Opaline, le repris-je. Ça à l’air d’aller, éludé-je.
— Ouh, Jace a des secrets, lance Lévy taquin.
— Pourquoi toutes ses questions sur mes collègues ? souligné-je.
— Rien comme ça, t’es le seul d’entre nous à avoir une vie sociale, fait remarquer Ryk.
— C’est ça le but de travailler en dehors de son domicile, fanfaronné-je. On rencontre tout un tas de personnes…
— Ouais, mais nous comparer à toi, s’il neige, on est au chaud chez nous, blague Lévy.
— Un point pour Lévy, remarque Ryk.
— Oui, mais vous ratez l’occasion de sauver une demoiselle en détresse prise au piège dans la neige, ricané-je.
— Un point pour Jace, déclare Lévy. Match nul, balle au centre, conclut-il.
J’affronte le regard acier de Ryk, en laissant flâner sur mes lèvres un sourire moqueur. Nous nous lâchons des yeux lorsque deux femmes bien éméchées se mettent à détruire un tube mythique.
— Hé ben, il y en a qui n’ont honte de rien, ricane gentiment Lévy.
— Elles tiennent à peine debout, remarque Ryk.
— J’espère que Dieg aura l’intelligence de leur appeler un taxi et de ne plus les servir, conclus-je.
— Je crois que c’est déjà le cas, lance Lévy en observant le patron du bar.
— Je vais m’en griller une, lâche Ryk, vous venez ?
Nous répondons tous les deux par la négative ce qui nous vaut un haussement d’épaules du jeune homme avant qu’il ne se lève et quitte la table pour rejoindre l’extérieur.
— Tu ne trouves pas qu’en ce moment il a l’air dans la lune ? s’inquiète Lévy.
— Laisses la lune en dehors de ça veut-tu ? commencé-je doucement. S’il a des problèmes, il viendra nous voir, il le fait toujours…
— Je l’espère… dis Lévy songeur.
— Ne t’en fais pas pour lui, c’est un grand garçon va !
Nous finissons tranquillement nos verres, en demandant à Joy une seconde tournée qu’elle nous apporte quelques minutes plus tard en même temps que Ryk qui s’installe.
— Les gens n’ont aucune décence ! déclare-t-il en colère.
— Pourquoi ? questionne Lévy.
— Un mec bourré a ruiné mes chaussures à mille kroner, râle-t-il.
— Comment il a fait cela ?
— Il m’a limite vomit dessus cet imbécile ! gronde-t-il. Quand on ne tient pas l’alcool, on ne boit pas !
Lévy se retient de rire, tandis que j’avale une nouvelle gorgée de ma bière.
— Quoi ? menace-t-il.
— Rien, répondons-nous d’une même voix.
— Non, mais vous n’allez quand même pas dire que j’ai tort, si ? Faut toujours que ce genre de truc me tombe dessus, grince-t-il.
— Tu crois que si c’était une nana il aurait eu une pareille réaction ? demande Lévy faussement innocent.
— Sûrement pas, approuvé-je.
— Mais… Ce n’est pas vrai, souffle-t-il. Le jour où vous aurez des nanas, vous allez souffrir… menace-t-il.
Nous rions en observant la salle. Je fais craquer mon cou tout en glissant une main dans mes cheveux, songeur. Je me mets à penser à Opaline et Cora que j’ai vues tout à l’heure. J’espère qu’elles ont passé une bonne soirée, aussi bien que celle que je vis actuellement. J’avais dit à ma meilleure amie qu’elle s’entendrait bien avec Cora, et je suis ravi de constater que le courant à l’air de bien circuler entre elles. Une jeune femme comme Cora ne pourra être que bénéfique dans la vie d’Ope. Elle qui reflète la discrètion alors qu’elle ne le devrait pas. J’ai déjà essayé de l’aider à s’affirmer, mais je sais que je ne suis pas la bonne personne pour cela. Il y a des barrières parfois infranchissables quoiqu’on désire. Et je suis le mieux placé pour garantir une telle chose. Je dois attendre maintenant. Attendre qu’Opaline vienne enfin me parler et m’avouer ce qu’il se passe. Attendre d’avoir quasiment la même discussion avec Cora. J’espère, juste que cela ne prendra pas trop de temps.
Il est près de minuit lorsque le style musical change pour nous offrir un air plus entraînant et les trois quarts du bar se retrouvent sur la piste. Même nos amis de l’équipe se sont levés pour essayer de draguer. Nous les observons faire, une lueur amusée dans les yeux.
— Mais Varg, il n’a pas une copine ? demande Lévy en buvant.
— Si… Si Seleigna l’apprend, elle l’étripe, confirmé-je.
— Il y a des connards partout, dit simplement Ryk qui le regarde l’œil sombre.
— Je plains quand même sa nana… Elle ne mérite pas ça, ajoute Lévy.
— Va lui casser la gueule, si le cœur t’en dit, se moque Ryk.
Lévy se renfrogne dans sa chaise. Il évite soigneusement le contact humain et notre ami le sait. Mais je suis persuadé qu’il dit ça avec une certaine envie. Varg est un vrai connard. Aussi bien avec les femmes que tout court. Et Ryk ne le supporte pas. Il y a une sorte de rivalité entre eux, au sein de l’équipe. Et même si mon meilleur ami est le capitaine, Varg ne cesse de lui mettre des bâtons dans les roues. Je me souviens de la fois où il est venu au match complètement bourré. Encore un peu et il se noyait ce con. Peut-être est-ce simplement parce qu’il est plus jeune que nous. Peut-être que nous aussi, si nous n’étions pas ce que nous sommes, nous aurions été comme lui à son âge ? Ou peut-être bien le serions-nous aujourd’hui. C’est difficile à dire. Je remarque deux filles qui observent notre table avec un regard insistant et sourient.
— Je crois qu’on est surveillé, murmuré-je à mes amis.
Ils relèvent les yeux dans la direction des demoiselles et haussent les épaules.
— Pas mon style, décrète Ryk.
— Idem, renchérit Lévy.
Je lève les yeux au ciel, mais n’insiste pas. Quand leurs pensées les engloutissent le monde pourrait s’écrouler autour d’eux qu’ils ne le verraient pas. J’observe l’extérieur, lorsque je remarque deux silhouettes étranges. Alors ça, c’est une surprise. Je les regarde et lorsqu’elles entrent dans le bar, je me lève pour aller à leur rencontre. Opaline fuit ce qui, automatiquement, me donne l’envie de la taquiner.
— Tiens, tiens, tiens, commencé-je, tu es perdue ? Ou peut-être que tu me suis ? ris-je.
— C’est toi qui nous suis, je te signale, sourit-elle.
— Jace ! s’écrie Cora.
— Qu’’est-ce que vous venez faire ici ? m’intéressé-je.
— Je voulais emmener Opaline dans un bar tranquille, mais je crois que c’est loupé, grimace la blonde en observant la foule.
— Ope et bar… C’est bizarre dans la même phrase, renchéris-je.
— La ferme Jace ! gronde la jeune femme. Tu n’as pas d’amis que tu viens avec nous ? ajoute-t-elle.
— Outch, ça fait mal, surjoué-je. Si je suis avec mes meilleurs potes, vous voulez vous joindre à nous ?
— Non, commence Opaline.
— Avec plaisir, l’interrompt Cora ravie de trouver une place assise.
Ope m’envoie un regard plus que meurtrier tandis que je pince les lèvres. Je sais que je n’aurai pas dû les inviter, surtout avec le caractère limite asocial d’Opaline. J’aurais dû prévoir la réaction enjouée de Coraline. Mais les mots ont franchi ma bouche plus vite que voulu.
— Tu bois quoi ? questionne Coraline.
— Un whisky coca, répond Opaline froide.
— Je vous rejoins à la table, déclare Cora en se dirigeant vers le bar.
À peine a-t-elle tourné le dos qu’Opaline accroche mon bras pour m’approcher d’elle.
— Non, mais qu’est-ce qu’il t’a pris ? Tu peux me le dire ? hurle-t-elle dans mon oreille.
— Je suis désolé, c’est sorti plus vite que…
— Je m’en fous ! crache-t-elle. SORS.MOI.DE.CE. PÉTRIN. TOUT. DE.SUITE, articule-t-elle glaciale.
— Je crois que c’est impossible, murmuré-je. Reste juste cinq minutes et après prétends être fatiguée, je te raccompagnerai pour me faire pardonner, supplié-je.
— Il te faudra beaucoup plus que cela pour que je te pardonne, lâche-t-elle en m’indiquant d’un signe de tête d’avancer.
Je lui tourne le dos pour rejoindre notre table sentant ses yeux me brûler la nuque. Mes deux amis me questionnent du regard et je leur réponds par la négative. Si eux aussi s’y mettent, je serai dans une merde incroyable. Mais je sais que je ne fais que repousser le problème à plus tard, du moins les concernant.
— Les gars, je vous présente Opaline et Cora, dis-je en voyant la jeune femme arriver. Ope, Cora, voici mes deux imbéciles d’amis Lévy et Ryk, conclu-je.
Les quatre inconnus s’observent un instant en silence avant que les filles ne prennent place. L’ambiance à notre table s’est chargée d’électricité. Personne n’ose dire le moindre mot. Et moi, je reste là à maudire ma langue trop pendue et j’attends de voir ce qu’il va arriver.
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