Chapitre Douze.
12. Rencontre imprévue.
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(Point de vue Coraline)
La mi-décembre amène avec elle la neige et le vent froid du nord. Même si j’ai l’habitude des hivers rudes, je trouve celui-ci très coriace. J’ai doublé mes doses de vitamines pour essayer de booster mon système immunitaire, mais aussi me redonner de l’énergie. J’en ai marre de me lever, travailler, rentrer, dormir. Je n’ai presque pas vu ma mère depuis le début du mois, tellement que la fatigue me submerge. Mais je fais au mieux pour ne pas inquiéter les personnes que j’aime. Je n’ai pas envie de leur infliger cela. Eux aussi ont leurs petits moments de faiblesse, surtout Opaline, dont les insomnies se renforcent. Ces yeux sombres pourtant joyeux ont fait place au vide et aux cernes violacés. J’ignore ce qu’il se passe et pourquoi elle a des périodes où son sommeil la fuit comme la peste… Surtout que d’après ce que j’ai cru comprendre, elle fait des cauchemars pendant ses courtes nuits. J’aimerais pouvoir l’aider, peut-être d’ailleurs que je vais lui proposer de venir dormir chez elle cette nuit. Et je m'arrangerait pour qu’elle ne refuse pas. Elle m’a déjà tant rendu service que je peux bien, à mon tour, veiller sur elle.
Je prépare un petit sac de voyage avec des affaires de rechange, mes vitamines, mon matériel de toilette et mon maquillage. Comme ça me voyant équipé, elle n’aura pas le choix d’accepter. Jace serait fier de moi. Je n’ai pas son talent de faire craquer Opaline d’un regard, j’improvise donc à ma manière. J’enfile mon manteau et sors pour rejoindre le cabinet. Je vérifie l’heure sur mon téléphone et remarque que je ne suis pas en avance donc j’accélère le pas, lorsque je rencontre une masse dure et suis légèrement projetée vers l’arrière.
— Désolée, je ne regardais pas où j’allais, m’excusé-je.
— Pas grave, ça va ? demande une voix familière.
— Lévy ? m’étonné-je lorsque mes yeux remontent sur la personne en face de moi.
— Cora, s’étonne le jeune homme, tu sembles pressée, remarque-t-il.
— Je suis en retard, souris-je, tu vas bien ?
— Bien et toi ?
— Fatiguée, je déteste l’hiver, grimacé-je.
— Ah, dit-il simplement.
— Quoi ? questionné-je.
— J’adore ce temps personnellement. La neige, le froid, les longues nuits à admirer les aurores boréales ou cloîtrées à côté d’un bon feu de cheminée, déclare-t-il.
— C’est une invitation ? la taquiné-je.
Je remarque aussitôt son mouvement de recul et pince mes lèvres.
— C’était une plaisanterie, dis-je vexée.
— Désolé, je…
— Pas la peine de te justifier, je dois y aller, l’interromps-je en m’éloignant.
— Cora attend, dit-il en me rattrapant.
— Je suis vraiment en retard Lévy, alors soit tu parles en marchant, soit à la prochaine, accéléré-je.
— Je ne voulais pas te vexer, tu n’as pas le temps pour un café ? tente-t-il.
— Non, je suis désolée, mais je dois y aller, affirmé-je.
— D'accord à plus tard, annonce-t-il.
— À plus, bonne journée, dis-je en avançant vers l’angle de la rue Öde et Forbannet.
J’entre dans le local et me presse de rejoindre la salle de pause.
— Salut ! chantonne Jace, panne de réveil, s’amuse-t-il.
— Non, simplement une rencontre fortuite qui m’a un peu ralentit, souris-je.
— Il était beau au moins ? s’intéresse-t-il.
— C’était Lévy, déclaré-je en haussant un sourcil.
— Oh… s’étonne Jace. Et tu l’as croisé, comme ça ?
— Oui, je lui ai foncé dedans en vérité et nous avons vite fait discuté, mais j’ai pu remarquer quelque chose, dis-je doucement.
— Quoi donc ?
— Ton ami est un crétin, dis-je en me servant du thé. Ope n’est pas là ? dis-je en ne la voyant pas.
— Elle est dans son bureau, répond rapidement Jace. Mais pourquoi Lévy est un crétin ? insiste-t-il.
— Parce j’ai voulu plaisanté, mais que j'ai bien remarqué l’air affolé qu’il a affiché, j’ai très bien compris que je ne l’intéressais pas, craché-je.
— Il te plaît ? s’étonne Jace.
— Je n’ai pas dit cela non plus, juste que, rho puis pourquoi je parle de cela avec toi d’abord ? T’es son meilleur ami… Je préfère en discuter avec Ope, annoncé-je en quittant la pièce.
Je lui tourne le dos, le laissant seul avec sa mine choquée et rejoins mon amie dans son bureau. Je la vois, ses mains entourant sa tête qu’elle secoue de droite à gauche.
— Salut, tenté-je doucement.
— Cora, soupire-t-elle, comment tu vas ?
— Bien mieux que toi, souris-je. Est-ce que tout va bien ? m’inquiété-je.
Elle me répond d’un haussement d’épaules et ses lèvres s'étirent légèrement. Je remarque que ses cernes sont encore plus marqués et que son teint — qu’elle essaie de camoufler avec du maquillage — est beaucoup plus livide que d’habitude.
— Tu sais quoi ? Ce soir, je viens te tenir compagnie, commencé-je.
— Non, ne te sens pas obliger, dit-elle faiblement.
— Tu ne peux pas refuser, j’ai déjà préparé mon sac, affirmé-je.
— Je ne dirais pas non, à condition qu’on se commande de délicieuses brochettes chez Gustavo, tente-t-elle.
— Je m'en occupes tout à l’heure alors, souris-je en regagnant l’accueil avec ma tasse de thé.
Je déverrouille la porte d’entrée et invite les premiers patients à s'installer. Je remarque que le premier patient d’Opaline n’est pas encore là.
— Mademoiselle m’interpelle une jeune femme avec sa fille.
— Oui ? dis-je poliment.
— Monsieur Gurl, qui avait rendez-vous avec Opaline ne viendra pas, il était d’une humeur massacrante ce matin.
— Merci, je vais l’informer, dis-je en m’éloignant.
Je m’installe sur mon siège, dépose la tasse sur un repose verre et appel Ope.
— Oui, dit-elle faiblement.
— Ton premier rendez-vous est annulé, annoncé-je.
— Monsieur Gurl ? s’étonne-t-elle.
— Oui, apparemment d’après Madame Jiansk, il était de mauvaise humeur, déclaré-je.
— Je vais tenter de le joindre pour voir avec lui et j'en calerai un nouveau, merci Cora.
— Il n’y a pas de quoi, souris-je en raccrochant.
Toute la journée est remplie d’appel pour annuler les rendez-vous et essayer de les remettre à plus tard. En même temps, je comprends que les personnes qui habitent à quelques kilomètres de la capitale décommandent, de peur de ne pas réussir à venir ou repartir quand j'observe la neige qui tombe dehors. Alors, je fais de mon mieux pour ne pas surcharger mes amis de travail et aussi répondre aux demandes des patients. Le bonheur de tous passe avant tout.
***
Nous nous dépêchons de rentrer à l’appartement d’Opaline, la neige s’intensifiant depuis la fin de l’après-midi. Je resserre mon épais manteau autour de moi, mais rien n’y fait le vent se glisse à travers pour geler ma peau. Mais à peine quittons-nous la petite ruelle que Lévy se trouve à l’angle de celle-ci.
— Lévy ? m’étonné-je.
— Je… Je voulais m’excuser pour ce matin et t’inviter à boire un café, commence le jeune homme.
— Euh, hésité-je. Écoute, tu n’as rien à te reprocher d’accord ? Et je suis désolée, mais j’avais prévu de passer la nuit chez Ope, déclaré-je.
— Tu peux me rejoindre plus tard, glisse celle-ci doucement.
— Non, on avait organisé notre soirée et je ne veux pas changer mes plans, affirmé-je.
Je sens qu’on me tire vers l’arrière et me laisse emporter par le mouvement.
— Cora va passer un moment avec lui, le pauvre, il a attendu dans le vent et la neige pour toi.
— Et si je n’en ai pas envie ? déclaré-je en haussant un sourcil.
— Fais comme tu veux, je ne sais pas ce que tu lui reproches, mais moi si j’avais la chance qu’un mec mignon me propose de boire un café, je la saisirais, souris-t-elle.
— Tu trouves Lévy mignon ? m’étonné-je.
— Il a son charme, oui, confirme mon amie. Et comme ça, quand tu finis ton rendez-vous tu passes chez Gustavo pour récupérer le repas, s’amuse-t-elle.
— Jace commence à déteindre sur toi, remarqué-je.
Nous nous avançons devant le jeune homme qui attend patiemment sans rien dire.
— J’accepte un café, c’est tout, déclaré-je.
— D’accord, Opaline, tu souhaites te joindre à nous ? propose-t-il.
— Non, j’ai des choses à faire, à toute à l’heure affirme-t-elle en s’éloignant. Ah ! Et ne faites pas de bêtises, s’amuse-t-elle.
Je secoue la tête en souriant tandis que Lévy se balance sur ses pieds, hésitant.
— Ne t’en fais pas, elle a dû rester trop près de Jace et a pris son tic de dire des conneries par moment, le rassuré-je.
— Non, ce n’est pas ça, dit-il. Je dois te présenter mes excuses et je ne sais pas par où commencer, avoue-t-il.
— Tu n’as pas besoin, souris-je. Tu devras juste payer l’addition et on sera quitte, la taquiné-je.
— Marché conclu.
Nous avançons rapidement jusqu’à un salon de thé et prenons place devant la baie vitrée, près d’un radiateur.
— Alors, cette journée ? me questionne-t-il.
— Mouvementée, j’ai dû réorganiser le planning pour les prochaines semaines, et toi ? Tu travailles dans quoi au juste ? m’intéressé-je.
— Je suis artiste, je créé quelques toiles ou bien fait du graphisme sur ordinateur, tout dépend de ce que j’ai envie, m’explique Lévy.
— Waouh, dis-je impressionnée, et tu as déjà fait des expositions ? m’intéressé-je.
— Pas encore, j’ai des œuvres dans une petite galerie, mais si je continue comme cela, j’espère pouvoir m’en offrir une d’ici l’été.
Je l’observe me parler de son travail avec passion. Il prend le temps de m’expliquer les choses que je ne comprends pas et j’apprécie qu’il le fasse. Mais même-ci cela fait déjà une demi-heure que nous sommes ensemble, il m’est impossible de déchiffrer ses émotions. Son visage reste neutre, impassible. Il se tient droit, ses mains sont croisées sur la table et ses yeux émeraude ne laissent rien trahir. Je distingue sa petite barbe brune repoussée sur ses joues, et me surprends à me demander qu’elle est sa couleur de cheveux. Lorsque je n’entends plus sa voix grave, je remarque qu’il m’observe un sourcil relevé.
— Pardon, j’étais tellement concentrée que…
— Tu as arrêté de m’écouter ? m’interrompt-il avec un sourire en coin.
— Je suis vraiment désolée, m’excusé-je.
— Ce n’est pas grave… Je te demandais si Opaline allait bien ? Je l’ai trouvée fatiguée ? tente-t-il.
— Ce n’est pas la forme en cette période, avoué-je. C’est pour cela que je vais passer la soirée avec elle.
— Problème de couple ? insiste Lévy.
— Non, ris-je. Problèmes de sommeil, il lui joue des tours par moment, et comme elle a pris soin de moi ces derniers temps, je lui rends la pareille, souris-je.
— Tu as eu des soucis ? s’inquiète-t-il.
— De la fatigue, très grosse fatigue, repris-je. Mais ça va aller, je me dope aux vitamines, m’amusé-je.
— D’accord, il regarde don téléphone et pour la première fois je vois une expression traversée son visage. Je dois y aller, dit-il rapidement.
— Pas de souci, merci pour le thé et peut-être à une prochaine dis-je en souriant.
— Qui sait ? À plus, dit-il en quittant la table.
Je me lève et enfile mon manteau. Dehors le sol est blanc et la nuit est tombée, le temps de notre discussion. Je m'arrête chez Gustavo, récupérer ma commande et me dirige vers l'appartement de mon amie. Je n’arrive pas à décrire l’échange avec Lévy. Clairement, à son comportement, je devine qu’il ne se passera rien entre nous. Mais alors, pourquoi être venu me chercher ce soir ? Je hausse les épaules, secoue la tête et sonne à l’interphone pour qu’Opaline m’ouvre la porte. Peut-être que Lévy fait simplement cela pour Jace. Si nous organisons d’autres sorties ensemble, vaut mieux que nous apprenions à nous connaître seul à seul. Enfin, j’imagine. Oui c’est certainement la raison la plus logique. J’entre chez mon amie, lui donne les sacs contenant notre repas et la suis dans le salon où nous nous installons sur le tapis et la table basse pour manger.
— Alors ? questionne-t-elle curieuse.
— Alors rien, haussé-je les épaules. On a simplement parlé.
— Tu as l’air déçue, remarque Opaline.
— Non, c’est juste que… Je ne sais pas, il y a quelque chose de bizarre…
— Bizarre ? s’étonne-t-elle.
— Oui, mais ce ne doit être que moi qui me tourne des films, m’amusé-je.
Opaline acquiesce avant de croquer à pleines dents dans une des brochettes.
— Hum, c’est un régal, dit Opaline en s’essuyant la bouche.
— Je confirme, dis-je en souriant. Tiens au fait, vu les annulations de rendez-vous que j’ai eues, on va finir beaucoup plus tôt ses prochains jours.
— Ça fera du bien à tout le monde, affirme-t-elle. Demain matin, ne m’attendez pas, j’ai pris rendez-vous avec Monsieur Gurl à son domicile. Le pauvre, ses rhumatismes l’empêchent de bouger donc je vais voir ce que je peux faire sur place, déclare-t-elle.
— D’accord, je note ça, n’oublie pas de lui faire remplir le papier de visite à domicile, rappelé-je.
— Tu fais bien de me le dire, il faut que j’en remette dans ma sacoche, acquiesce-t-elle. On se regarde un film ?
— Avec plaisir, souris-je.
Nous nous installons sur le canapé, un plaid nous recouvrant et choisissons de voir une comédie. Je dépose mon verre de vin sur la petite table de chevet et me plonge totalement dans le film. Après une demi-heure, environ, je vais pour faire une blague à mon amie, mais m’arrête en remarquant qu’elle s’est endormie. Je souris et la couvre mieux à l’aide du plaid. Olympe s’installe sur elle en ronronnant. Je me tourne pour regarder la télé en veillant de temps à autre sur Opaline. Soudain, je sens son souffle s’accélérer, des gouttelettes de sueurs perler sur son front et son corps bouger. Olympe crache en descendant de sa maîtresse avant de s’éloigner. Opaline grogne dans son sommeil, secoue les bras et est prise de spasmes. J’hésite à la réveiller de son cauchemar et au moment où j’avance ma main vers elle, un cri me glace le sang. J’ai l’impression que l’air autour de moi est devenu gelé, mes poumons me brûlent et une affreuse odeur envahit mes narines. Je secoue de toutes mes forces Opaline, prise de terreur. Les larmes montent à mes yeux, mon corps entier tremble et le souffle me manque.
Je ne distingue plus le corps devant moi à cause de mes larmes qui dévalent mes joues, je n’arrive pas à prononcer le moindre mot. Et soudain un autre cri, plus bestial, se heurte à mes oreilles. Mais ce cri-là ce n’est pas mon amie qui l’a poussée. Il vient de l’extérieur. Opaline ouvre ses yeux qui sont remplis de panique. Elle cherche son souffle, tourne la tête dans tous les sens, tandis que j’inspire profondément l’air qui manquait à mes poumons durant de longues minutes. J’essaie de calmer Opaline en caressant ses cheveux en touchant son bras, mais elle rejette le moindre de mes gestes. J’essuie mes larmes et me focalise sur l’instant présent afin me rassurer sur le lieu où je suis. Il faut que j’appelle Jace, il n’y a que lui qui peut m’aider. Il saura comment apaiser notre meilleure amie. Mais au moment où je me lève, Opaline attrape mon bras et ses mots me transpercent.
— Il m’a trouvée, dit-elle d’une voix rauque et les yeux hurlant à l’aide.
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