Chapitre Vingt.

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20. Vagues à l’âme.

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(Point de vue Lévy.)

Aujourd’hui est un jour sans. Je n’ai pas d’envie, pas de motivation, pas de but à satisfaire. Et cela vaut aussi pour mon inspiration. Deux heures que je suis devant ma toile, désespérément blanche. Je voulais tester le nouveau matériel offert par mes amis, mais je crois que ce ne sera pas pour aujourd’hui. Je me laisse tomber sur le pouf dans la pièce que j’ai aménagé pour me consacrer à la peinture et soupir. Je lève les yeux vers le velux et remarque que le ciel est encore plus chargé de nuages que ce matin. Si cela continue, il ne devrait pas tarder à neiger. Pas que ce temps me dérange, loin de là, mais j’ai l’impression que le temps est d’humeur aussi maussade que moi. Et cela ne m’aide pas à trouver le déclic qu’il me faut pour peindre. Un nouveau soupir quitte mes lèvres et je me résigne sur le fait d’être productif aujourd’hui. Les journées de ce type-là sont assez rares et je dois dire qu’elles m’achèvent mentalement parlant. Je regarde les murs qui sont recouverts de mes dessins espérant y voir un signe, mais rien ne vient. Je soupire encore et décide de sortir en ville. Peut-être qu’avec l’agitation de Noël passée, elle sera plus calme. J’enfile mes vans, une épaisse veste en cuir et sort en verrouillant mon appartement.

Il faut que je traverse le parc — qui est tristement désert — avant d’arriver sur l’avenue Öde et gagner le centre-ville. Vu la fraîcheur seuls quelques courageux sont comme moi à parcourir la ville. Mais leur allure est plus vive que la mienne. Je traîne les pieds, ne regardant pas vraiment où je me dirige. Je connais si bien la ville que je n’ai pas peur de me perdre. Je me laisse plonger dans mes souvenirs en passant devant l’ancien lycée dans lequel j’étudiais. Cette crise que j’ai traversé après avoir annoncé à mon père que je ne voulais pas faire des études d’avocat — comme lui —, et que je voulais me consacrer à ma passion. Les mots durs qu’il a employés, le ton sévère qui avait cessé de m’effrayer avec les années passées. La comparaison avec ma mère qu’il trouvait trop rêveuse. Je change subitement de direction. Je vais dans des ruelles plus mal famées et avance jusqu’à la sortie de la ville. Cela faisait longtemps que je n’étais pas venu ici. J’aurais peut-être dû prendre des fleurs. Oh, tant pis, elle comprendra. Je longe de longues allées et arrive devant ce que je cherchais. Je m’assois au sol, après avoir retiré le plus gros de la neige, et regarde la pierre tombale qui est devant moi.

Elle est décédée le jour de mon cinquième anniversaire. Atteinte d’une maladie incurable qu’elle a chopée après ma naissance. Je me souviens un peu d’elle. De ces longs cheveux blonds, de son parfum de fraise et de ses grands yeux verts. C’est la seule chose que nous avons en commun. Ça et l’amour de l’art aussi. C’est avec qu’elle que je découvert la peinture enfant. Je me souviens des quelques après-midis passés ensemble à dessiner — plutôt gribouiller pour moi — et de ses compliments pour mon talent. Généralement, après cela mes parents se disputaient, car pour mon père un garçon ne doit pas se laisser distraire par des jeux aussi inutiles. À sa mort, il m’a reproché d’en être l’unique responsable. Je crois qu’après cela, nos relations ne se limitaient qu’à mes résultats scolaires et le sport, qu’il tenait absolument que je fasse. C’est d’ailleurs à cette période-là que j’ai rencontré Ryk. Nous nous ressemblions beaucoup, sauf que comparé à ma résignation, lui avait choisi la protestation.

Nous avons mis quelques années avant de nous connaitre, mais je ne le remercierai jamais assez d’avoir fait ce premier pas. Je crois que si ça n’avait pas été le cas, je ne serais peut-être plus de ce monde aujourd’hui. Alors depuis, je le considère comme le frère que je n’ai pas. Pour Jace c’est à peu près pareil, sauf que lui c’est la bonne humeur incarnée, il nous aide à gérer nos trop-pleins d’émotions et à nous stabiliser. Il n’a pas forcément le meilleur rôle, mais c’est celui qui lui va certainement le mieux. Bien qu’en ce moment je le trouve très étrange. Comme s’il cherchait à cacher quelque chose. Certes, il est toujours joueur, mais le soir de Noël, j’ai bien vu son attitude. Pour ceux qui le connaissent peu, ils le trouveront juste drôle, gamin, mais quand il en fait trop comme ça, ce n’est pas bon signe. Mais peu importe les questions que je me pose, ce n’est pas moi qui irais les poser. Peut-être que j’en parlerai à Ryk pour avoir son avis et que lui se chargera du reste. Après tout, c’est lui la tête brûlée de notre trio.

Je me lève, dépose la main sur la pierre tombale en inspirant longuement et décide de regagner mon appartement. Demain je reviendrais avec une fleur, puisque mon père est incapable de le faire. Il me sortira une excuse du genre « tu n’as qu’à le faire toi, tu n’es pas débordé de travail comme moi » avec son ton hautain et son regard dédaigneux. Combien de fois, j’aurais aimé avoir le courage de lui rentrer dedans. Mais je sais qu’un jour, j’aurais la fierté de lui faire regretter ses paroles. Mais pour cela, il me faut de l’inspiration. Je retourne dans le centre-ville et entre dans un café bondé. Ainsi je peux voir sans être vu. Je laisse mes yeux traîner dans la grande salle, regardant la décoration, les personnes présentes, les serveuses s’activer à leurs tâches, quand une silhouette se détache de la foule. Concentrée sur son écran d’ordinateur, elle me laisse le loisir de la regarder sans qu’elle ne s’en rende compte. La rapidité de sa frappe sur les touches du clavier m’impressionne. Ses longs cheveux blonds voletant à chaque mouvement de tête. Même naturelle, Coraline arrive à être très jolie. Je prends encore quelques minutes pour l’admirer, avant de décider de rentrer chez moi avec une idée en tête. Et comme je l’avais deviné, la neige recommence à tomber m’accompagnant sur le chemin du retour.

***

J’ai peint si tard dans la nuit, que lorsque je me réveille il est presque midi. Ce sont de violents coups à ma porte qui m’ont tiré de mon lourd sommeil. Je me lève en traînant les pieds pour ouvrir et exprimer mon agacement. Mais lorsque j’ouvre, je ne peux pas prononcer le moindre mot.

— Putain, mais qu’est-ce que tu foutais ? hurle Ryk en entrant.

— Doucement, j’ai la tête dans du coton, vieux, grimacé-je.

— T’étais avec une nana ? s’intéresse-t-il.

— Non, j’ai travaillé toute la nuit…

— Travaillé ? Alors que tu es en congé ? demande-t-il en haussant un sourcil.

Je me dirige dans la cuisine pour boire un café et j’espère que celui-ci me donnera un peu d’énergie.

— Mais je n’y crois pas ! s’exclame mon ami depuis l’étage.

Je continue de boire, jusqu’à ce que l’information monte à mon cerveau. IL EST À L’ÉTAGE. Je dépose brutalement ma tasse sur le comptoir et monte les quelques marches quatre à quatre. Il est devant mon chevalet et son regard ne me dit rien qui vaille.

— Tu as été très inspiré, dis donc, s’amuse-t-il.

— Je suis toujours inspiré, mens-je.

— C’est cela, pas au point de peindre autant de toiles en une nuit, reprend-il.

Je hausse simplement les épaules, n’ayant pas envie de m’expliquer avec lui. Même si je sais que lui ne lâchera pas le morceau.

— C’est ta mère sur celle-ci, n’est-ce pas ? insiste-t-il.

— Oui, dis-je d’une voix sans timbre.

— Et celle-là, c’est clairement Coraline… C’est étrange cette ressemblance qu’elles ont, tu ne trouves pas ?

— Ce sont deux très belles femmes, je ne vois pas ce qui est étrange là-dedans, avoué-je.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? questionne-t-il en s’installant dans le pouf.

— Rien, dis-je en soupirant.

— Lévy, tu es mon meilleur ami, et pour que tu aies osé peindre une toile de ta mère c’est que quelque chose te perturbe, explique Ryk calmement.

— J’ai eu mon père hier matin au téléphone, commencé-je. Je ne te dis pas à quel point la conversation a coupé court mon inspiration alors je suis allé au cimetière, avoué-je.

— Et Coraline dans l’histoire ?

— Je l’ai vue dans un café, je ne suis pas allée la voir, je l’ai juste observée et quand je suis rentré, j’ai peint ces quelques toiles.

— Elle t’inspire donc ? questionne-t-il innocemment.

— Je ne sais pas, dirais-tu qu’Opaline est un challenge pour toi ? le défié-je.

— Ok, d’accord, j’abandonne terrain trop dangereux, dit-il en levant les mains.

— Amalryk Rasende est capable d’abandonner, me moqué-je grossièrement.     

— Ta gueule, balance-t-il vexé.

Je l’observe, mais celui-ci s’est totalement fermé à la discussion.

— Pour revenir à un sujet plus léger, tu ne trouves pas que Jace est bizarre en ce moment ? questionné-je avec l’espoir de le faire sortir de son mutisme.

Ryk me répond par un haussement d’épaules clairement décidé à m’ignorer. Mais comme il est chez moi, je m’en fous. Je le plante dans la pièce et descends me préparer un sandwich. J’allume la télévision pour regarder une série et m’installe pour manger. Dix minutes plus tard, Ryk se plante devant moi.

— Tu es un vrai enfoiré en fait, dit-il en haussant un sourcil.

— Tu n’as qu’à te démerder, tu veux manger, prépare-toi un truc, tu veux parler, parles, mais me fais pas chier, c’est tout, dis-je froidement.

— D’accord, j’avoue que tu as raison, Jace ne semble pas dans son assiette, surtout depuis notre petite entrevue.

— Tu n’as aucune preuve, l’interromps-je.

— Pas besoin de preuve, je le sais c’est tout, dit-il fermement.

— Tu détiens la parole d’Helgener, maintenant ? taquiné-je.

— Peu importe, je sais que j’ai raison. Maintenant, j’ignore ce que lui sait et ce qu’il ignore et ça, ça me dérange plus, avoue-t-il.

— Et tu penses faire quoi ? L’attaquer de fond ou attendre ? m’intéressé-je.

— Je ne sais pas… S’il sait alors nous sommes grillés, s’il ignore ont est gagnant… Mais s’il sait et qu’il ne dit rien, c’est qu’il y a un plus grave problème, explique-t-il.

— Comme ? questionné-je perdu.

— Tu ne trouves pas bizarre que beaucoup de choses sont en train de changer ? Jusqu’à présent il n’y avait que peu de changement, mais regarde… Depuis quelques mois tout s’accélère et je pense que Jace maîtrise le sujet mieux que ce que l’on croit…

— Ryk, tu t’es encore une fois monté tout un plan sans avoir la moindre certitude de cela, réprimé-je.

— On verra bien, mais je suis sûr de ce que j’avance… affirme-t-il sans détour.

Il se dirige dans la cuisine pour — je suppose — prendre un sandwich lui aussi. Je sais que je devrais certainement prendre du recul sur ce qu’il dit, mais dans ses yeux, j’ai aperçu cette petite lueur de détermination. Rien ne lui fera changer d’avis, sauf une preuve de la part de Jace. Et je crains que le pire soit encore à venir. Jace et Ryk ont toujours été deux têtes fortes et quand ils se confrontent, rien ne peut les arrêter. Je crois que cette fois encore, je vais rester en retrait, ni prendre le parti de l’un ni de l’autre, et voir ce que cela donne. Je ne tiens pas à être mêlé à une guerre d’égo qui ne me concerne absolument pas. Je sais d’avance la réaction de Ryk, mais je sais aussi qu’elle ne sera que passagère. Il a compris depuis longtemps que j’avais perdu la force de me battre.

— Tu comptes faire encore la larve aujourd’hui ? questionne-t-il en revenant dans le salon.

— Je ne sais pas… Tu as un meilleur plan ? dis-je sans conviction.

— Viens à la salle, te défouler un peu, tu vas te ramollir sinon, rit-il.

— Si tu veux…

— Allez vieux, où est donc passé la motivation ? s’énerve-t-il doucement.

— On verra qui la ramènera moins après l’entraînement, le taquiné-je.

— Ah oui, c’est comme ça ? fait-il faussement vexé.

— De quoi tu te plains ? Tu es le plus musclé d’entre nous avec deux fois moins d’effort !

— Ah ! Ce que j’aime entendre ta jalousie, s’amuse-t-il.

— Imbécile.

Il explose de rire et nous nous concentrons sur la série qui défile sur l’écran. Je le remercie intérieurement d’être si franc et sans détour, il exprime ce que je ne peux pas dire. C’est comme-ci nous étions liés dans un certain sens. Avec lui, j’arrive aussi à entrevoir le bon côté des choses. Il essaie depuis que nous nous connaissons de me faire sortir de cet état de larve dans lequel j’ai trouvé mon confort. Même si ce n’est pas facile, il ne cesse de m’attirer vers lui et d’assumer ce côté rebelle que j’ai. Mais nous savons aussi bien l’un que l’autre qu’il me reste encore beaucoup de chemin avant d’y arriver.

— Qu’est-ce que tu comptes faire des toiles ? interrompt Jace mes pensées.

— Je l’ignore… Peut-être, lui en offrir une à la soirée d’anniversaire, murmuré-je.

— C’est une excellente idée, j’ai bien vu qu’elle ne te laissait pas indifférent…

— Est-ce la même chose pour Opaline ? tenté-je.

— Sujet clos, décide-t-il avec un sourire en coin.

— Tu ne pourras pas toujours éviter cette question, tu le sais, n’est-ce pas ? dis-je avec un sourire.

— Peut-être, mais tu n’es pas encore assez doué pour me soutirer des informations contre mon consentement, rit-il.

— C’est ce que tu crois…

— Qu’est-ce que cela signifie ? s’intéresse-t-il.

— Qu’elle doit te plaire vu que tu fuis la conversation…

— Elle est très belle, c’est vrai admet-il.

— Mais encore ? insisté-je.

— Elle représente ce que Coraline représente pour toi.

Je souris en comprenant les dessous de sa réponse. Et c’est avec plaisir que je laisse venir l’agitation en moi. J’ai hâte d’être à la soirée d’anniversaire, de la revoir et de voir ce que l’avenir nous réserve. 

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