Le débat

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Cher Faredj,

Il y a quelques jours, tu m'as demandé de te donner mon sentiment sur « la femme en tension ». Cette formulation m'a tout d'abord interpelée. Je l'ai énoncée à plusieurs de mes amies pour en mesurer l'écho. La réflexion s'est orientée sur la difficulté de concilier vie familiale, vie professionnelle et personnelle. A l'issue de notre discussion, je restais néanmoins sur ma fin, une faim de sens que ce mot appelle. Ainsi, je décide de partir à la quête de ce qui fait sens pour la femme intemporelle, évinçant toute considération d'ordre social, culturel, religieux ou autre.

Le dictionnaire m'indique deux directions à suivre : il m'apprend que la tension est à la fois un état et une force. Définir la nature de la femme est presque aussi difficile que définir le propre de l'homme. Je pense instantanément à l'enfantement et à la responsabilité inhérente à cette disposition naturelle, sur la descendance de la race humaine. Cette particularité anatomique place la femme dans une position inédite : naitre femme est naitre avec un risque létal dont elle est la seule à assumer : mourir en donnant la vie.

Aussi étrange que cela puisse paraître, nul ne la dissuade jamais de renoncer à ce risque : la société, la culture, la religion s'entendent comme larrons en foire, l'encourageant ainsi à renouveler cette entreprise dans un esprit d'apparente banalité.

Je réfléchissais avec un ami sur la notion de sacrifice, m'interrogeant sur la manifestation première de cet acte humain. Il se peut donc que le sacrifice originel soit celui de perdre la vie en la donnant à autrui. Depuis la nuit des temps, la femme est bien sous l'emprise d'une tension, une tension de nature éthique incroyable qui l'amène à sacrifier son être au profit de cette nature qui la soumet à ses exigences.

La vie et la mort sont indissociables de cette intention. La femme connait ainsi le secret, le lourd secret de l'existence dont elle s'interdit de faire état, tant pèse sur elle, la responsabilité de dupliquer son individualité. Une tension éthique extrême mais aucun débat ; pas de débat lorsqu'il s'agit du dessein de l'humanité !

Lorsque la nature impose sa loi, l'homme développe une parade : il dégaine sa baguette magique. En deux coups de baguette, il rend sublime n'importe quelle épreuve. Abracadabra : la naissance de l'enfant est le fruit de l'amour triomphant, jour sacré de la vie d'une femme et d'un homme anxieux. Abracadabrabis : l'oubli. Devant ce petit être si frêle et si prometteur à la fois, adieu douleur et risque létal. A cet instant, la femme est saisie d'une amnésie lacunaire totalement spectaculaire.

Je comprends en écrivant ces mots pourquoi l'opposition au désir d'enfant, provoque une telle aversion dans la société : c'est nier la magie du monde et refuser la soumission à Dame nature.

La force nait sans doute de ce paradoxe « soumission / héroïsme » qui constitue une base dont la femme cherche à s'extirper par le mouvement. En tentant de s'émanciper de ce socle, elle a acquis une capacité de surpassement nécessaire pour s'affirmer dans la société, gagner sa liberté ou du moins, une part d'indépendance. Cet élan me semble commun à toutes les femmes de la planète.

Pour illustrer cet axe « soumission / héroïsme », je citerai l'histoire de deux femmes que rien et tout réunit : Elise et Bouchra.

Dès l'âge de 13 ans, Elise Fievet commença à travailler comme mineur de fond à la fosse N° 3 de Ferfay. « A cette époque, racontait cette nonagénaire en 1951, je descendais par les échelles, on effectuait le raval des puits. J'étais occupée au fond, dans la même taille que mon père. » Madame Lheureux raconta qu'elle ne fut pas seulement occupée en taille, elle fut rouleuse, herscheuse et fit également la coupe à terre. Elle remonta en 1876 lorsqu'il fut interdit aux femmes de descendre au fond... Mariée et installée à Haisnes, elle éleva une famille de quinze enfants dont neuf ont travaillé à la fosse de Lens.

Le 16 décembre 2018, Bouchra Baibanoud, âgée de 50 ans, a bouclé ce que les amateurs de frissons appellent « le défi des sept sommets », en plantant son drapeau, par - 40 degrés, au sommet du Mont Vinson (4.897 m), dans l’Antarctique. Elle est désormais membre du club restreint de ceux qui ont relevé le défi lancé au début des années 70, à conquérir sept points culminants sur sept continents*. Bouchra Baibanou travaille comme ingénieure dans un ministère. Elle est le premier Marocain, à conquérir les plus hauts sommets du monde. Musulmane, pieuse, Bouchra porte le foulard et se définit comme une femme « libre ».

Qu'est-ce qui relie Elise Fievet et Bouchra Baibanou ? Ni leur culture, ni leur époque, ni leur religion dont nous comprenons qu'il s'agit d'éléments de contexte dont elles s'accommodent. Il existe entre ces deux femmes cette capacité de surpassement et cette part de féminité indéfinissable.

Lorsque Louis Aragon écrit : l'avenir de l'homme est la femme, veut-il peut-être souligner ce parcours atypique qui l'élève à une perception plus sensible du monde ? La reconnaissance de cette approche sensible l'inscrit comme l'indispensable regard sur l'avenir de l'humanité.

Plus que jamais la vision éthique de la femme est sollicitée. A l'heure où la science lui permet d'envisager une maternité par insémination artificielle, à l'heure où l'utérus artificiel s'apprête à révolutionner la procréation, elle acquiert le pouvoir de s'extirper à jamais de ce paradoxe initial et demeurer aussi libre que l'homme dans ses choix. De sa sagesse, me semble-t-il, dépendra le dessein de la condition humaine.

Je dirais au terme de cette brève réflexion, Mon Cher Faredj, que la femme est désormais prête à transmettre à l'homme le relais de cette tension. Le débat peut-il enfin commencer ?

Je viendrai avec intérêt t'écouter le 20 juin prochain. Je n'imagine pas du tout comment mes mots vont faire écho à tes paroles mais je suis très impatiente de le découvrir.

Avec toute mon amitié.

Mina

Notes

(*) la pyramide Carstensz (4.884 m) en Océanie, le Mont Vinson en Antarctique, le Mont Elbrouz (5.642 m) en Europe, le Kilimandjaro (5.895 m) en Afrique, le Denali (anciennement Mont McKinley) haut de 6.194 m, en Amérique du Nord, l'Aconcagua (6.962 m) en Amérique du Sud et l'Everest (8.848 m) en Asie.

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