Je me dévêts dans un coin sombre du vestiaire. Aujourd'hui, c'est piscine. Quel malheur... Je ne peux pas m'empêcher de remarquer tous les regards des autres lycéens qui se posent sur mes jambes poilues, mes bras maigrelets et mon ventre pâle et gonflé. Mon père m'affirme que j'ai un corps normal; je ne suis pas d'accord lorsque j'aperçois les muscles d'Aziz ou le ventre plat de Gus. En attendant que tous quittent le vestiaire pour ne pas avoir à défiler devant mes camarades, je repense à la honte que j'ai éprouvé ce midi. J'en suis si embarrassé, que je préfère revoir la scène de l'extérieur, comme si je ne me connaissais pas.

Midi, les cours de philo arrivent à leur terme. Raphaël en a plus qu'assez de recopier les pensées du danseur de corde et du prophète nietzschéen. Il ne pense plus qu'à manger, comme tous les lycéens une fois midi passé.

– Romain, Mathieu, vous venez manger ?

Ses amis font volte-face, et Romain annonce:

– Nous on déjeune chez Aziz aujourd'hui.

Raphaël se sent exclu et délaissé. Bien sûr, ses deux copains n'en font toujours qu'à leur tête, et ce sans jamais le prévenir à l'avance. Il se souvient encore de la fois où il avait passé deux heures à les attendre au CDI parce qu'ils n'avaient pas jugé utile de l'informer qu'ils étaient partis au ciné. Ravalant son dépit, Raphaël lance simplement:

– D'accord.

Et tourne les talons.

Dans la file qui se forme, l'adolescent est bousculé par les autres lycéens affamés. Il entend des couples rires, aperçoit des groupes qui font des selfies, et perçoit l'odeur écoeurante d'un déodorant. Qui se met du déo à la cantine, sérieux? Pense-t-il avec agacement en se faisant pousser. Une fois un plateau dans les mains, il se retourne face à l'immense salle du réfectoire. Il est à la recherche d'une place libre.

Où m'installer? A la table libre? Seul, c'est pathétique. Dans le coin, là-bas? On va me prendre pour un dépressif, et les autres me trouvent assez introverti comme ça... Je pourrais rejoindre le groupe de Manon de ce côté-ci; mais la dernière fois que j'ai voulu me mettre en groupe avec elle, elle m'a complètement ignoré pour me préférer Tobias. En plus elle est avec ses copines et les connaissant elles vont croire que je suis amoureux d'elle. Bon, allez, faut que je me décide. Je vais m'asseoir ici, près de ces six lycéens que je ne connais pas...

Raphaël s'installe donc à une table de dix, non loin de six élèves qui se moquent d'une de leur camarade de classe. Il commence à déguster ses pâtes aux épinards tout en entendant ses voisins de table converser:

– ... mais oui, toujours en retard, rien n'y fait! s'exclame un des lycéens en raclant le fond de son pot de yaourt. Son amie en face de lui plaisante:

– Comme cadeau de Noël on va tous lui acheter un réveil je parie.

– Bon les amis, c'est pas tout ça mais moi je dois passer au secrétariat. l'interrompt une jeune fille à lunettes transparentes.

Les six lycéens rassemblent leurs affaires et s'en vont, laissant Raphaël tout seul à la grande table , située au centre de la cantine. Ca devient gênant... pense-t-il en baissant les yeux sur son assiette.

En engloutissant le plus vite possible ses épinards il jette quelques coups d'oeils en direction des tables voisines. Il voit une amie de Manon, en train de chuchoter quelque chose à Flore en regardant dans sa direction, et entend un élève de Seconde, dont la voix n'a pas encore mué, qui s'écrie en passant juste derrière lui:

– Wesh, pourquoi il a pris toute la table pour lui le gars? Il s'est pris pour le président?

De plus en plus mal à l'aise, Raphaël enfile sa doudoune, empoigne son plateau et quitte le réfectoire au plus vite. Quitte à attendre sous le préau dans les courants d'air.