Monde déshumanisé
de Zosha
Quel calme...
Ce matin, les chiens n'ont pas aboyé. Ils aboient toujours, quand le voisin passe devant la maison en voiture. Il n'est pas passé, je n'ai pas entendu de moteur. C'est rare.
Il n'y a pas, non plus, le bruit quotidien de la scierie au hameau d'à côté. J'entends les vaches... je ne savais pas que je pouvais les entendre d'ici.
Je me penche par la fenêtre. Les chiens sont là, ils se prélassent.
Quelle heure est-il ? La route principale devrait déjà être pleine de camions, mais je ne vois rien au loin. J'ai même du mal à la localiser.
Quel calme...
Je rêve encore, peut-être. Plongé dans une réalité virtuelle où je suis le seul humain resté au monde. Ou peut-être d'un des deux seuls, avec une femme choisie au hasard, elle aussi, mais à l'autre bout du globe et tout aussi homosexuelle que moi. Histoire de diminuer au maximum les chances de procréation et de renouvellement de l'espèce destructrice. Sorte de jeu tordu joué par une bande d'extra-terrestres qui trouvaient l'idée du génocide total un peu trop cruel. Ahah.
N'empêche, il a le goût du vrai, ce rêve. Là, dehors, en promenade, je sens l'air sur ma peau et le sol sous mes pieds. Les poils des chiens qui frôlent mes jambes nues, l'odeur de bouse de vache, le mouvement des petites bêtes dans les fossés. C'est incroyable, je redécouvre ma campagne. Je n'avais pas réalisé à quel point l'homme était bruyant. Ça faisait partie de mon quotidien, ça me faisait râler... mais un peu comme les acouphènes, ça devenait un bruit de fond dont je perdais parfois conscience.
J'ai fait le tour du voisinage, pas un chat. Enfin si, des chats, il y en avait.
Eh bien... je fais quoi maintenant ?
Pas grand chose. Plusieurs jours ont passé, du coup, je sais que ce n'est pas un rêve. Mais j'ai quand même l'esprit embrumé, j'ai du mal à réaliser ce qui se passe. Ça me paraît pas tellement juste, que tout le monde ait disparu sauf moi. J'ai été en ville, c'est la même chose. J'ai déclenché quelques alarmes... j'ai voulu passer un appel radio mais pas réussi à entrer dans la gendarmerie avec leur histoire de code et de sas de sécurité. Demain, j'irai trouver une station de radio locale. Le problème c'est que j'ai aucune idée d'où trouver ça, et internet ne fonctionne plus, évidemment...
J'ai pas trouvé. Bon. Mais au fond, il vient d'où, ce réflexe pourri de rechercher d'autres êtres humains ? C'est pas plus mal, qu'on s'éteigne. J'ai été ouvrir la porte du parc des vaches. Elles sont restées dedans, mais je suis sûre qu'elles sortirons quand elles n'auront plus d'eau.
Tous les chiens du quartier m'ont rejoint. Ils se chamaillent pas mal, mais ça s'équilibre. Je me retrouve avec une meute d'une bonne dizaine de bâtards et autres bergers de tous âges. Il n'y a que la beauceronne qui s'obstine à rester avec les vaches. Alors je lui apporte de temps en temps de la viande piquée au supermarché. Elle est largement passée de date et les réfrigérateurs sautent les uns après les autres. Je ne parle même pas des congélos. Au moins elle ne sera pas gâchée.
Je suis parti, et qui m'aime me suive... La moitié de la meute, on dirait. Et deux poneys aussi, ça c'est assez drôle. Chaque fois que je passe près d'une maison ou d'un champ clôturé, je vérifie qu'aucune bête n'est enfermée. Et il y en a beaucoup, des bêtes enfermées. J'ai fini par m'équiper d'une hachette et d'une pince coupante pour libérer facilement tout ce beau monde. Heureusement qu'ils ne me suivent pas tous, ce serait un peu le bordel. D'ailleurs, les deux poneys ont renoncé, ils ont fait halte dans un beau champ d'herbes folles où broutaient d'autres chevaux. Les chiens par contre sont de plus en plus nombreux. La plupart semblent totalement déboussolés par la disparition de leur maître et les jours passés à jeûner sec. J'en ai trouvé pas mal des morts. Des chats, aussi, et je ne parle pas des animaux en cage... crevés dans leur pisse et le peu de crottes qu'ils n'ont pas mangé. Seuls les reptiles dans les vivariums n'avaient pas l'air plus perturbés que ça. Enfin, bien sûr, ceux qui vivent à température ambiante, les exotiques avaient déjà connus leur destin.
Bon, voilà. Trop de temps à passé, maintenant, je ne trouve plus que des cadavres, ou des bêtes qui se sont libérées elles-mêmes, quitte à se blesser.
Alors maintenant, je sers à quoi ?
J'ai essayé de me persuader que je pouvais encore être utile, en m'inventant vétérinaire. C'était pas une très bonne idée. J'ai pris un coup de croc dans la joue et un pied de cheval dans le bide. Je crois que j'ai besoin d'un médecin. Dommage.
Je suis toujours vivant. Faut croire que j'avais pas d'hémorragie interne.
La meute qui me suivait est partie. Je suis vraiment tout seul, maintenant.
J'ai trouvé du Xanax dans une pharmacie. J'en ai pris un. Ça va m'aider à m'approcher de la falaise. Parce que, c'est con mais, même dans une situation comme celle là, où le seul choix à faire est une évidence, je flippe un peu. Du coup...
Wouah ! Alors c'est ça, voler ? Non. Ça, c'est la gravité qui m'aspire vers le sol.
Quel calme...
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