Hugues 3
La cloche du chateau ne pouvait signifier qu'une chose, la ville était attaquée ! Je relâchais Aliénor qui pleurait maintenant à chaudes larmes.
– Qu'es tu devenu Hugues ? Murmura t-elle entre deux sanglots.
– C'est toi la responsable de ce que je suis maintenant, tu es partie sans un mot, tu m'as abandonné. Jamais je ne te le pardonnerai.
Sur ces mots, je me précipitais sur le bouclier de pierre de lune, je le décrochais du mur. Je restais quelques secondes absorbé par sa beauté. Il était rond, avec des reflets bleus et violets. Je passais ma main dessus, je n'avais jamais senti quelque chose d'aussi lisse de ma vie. En son centre se trouvait une pièce conique en fer où était gravée le mot "Amour". J'avais presque l'impression de ressentir la magie qui émanait du bouclier. Peut-être était-ce parce que je venais d'une lignée bénie, je ne saurais dire.
Le brouhaha du château me sortit de ma contemplation. La cloche résonnait toujours. Je ne savais pas ce qu'il se passait, mais je devait partir d'ici. Je regardais par la fenêtre, Enguerrand était là sur son cheval et Providence m'attendait à côté. La chance me souriait. Je jetais un dernier regard sur Aliénor, qui semblait en état de choc.
– Je suis désolé. Lançais-je.
Je ne savais pas pourquoi j'avais dit ça, les mots étaient sortis de ma bouche naturellement. Peu importe. Je me penchais par la fenêtre, il devait y avoir quatre ou cinq mètres de haut. J'enjambais la fenêtre, et me plaça pour viser un petit bosquet qui amortirait ma chute. Au moment où j'allais sauter, j'entendis quelqu'un entrer dans la chambre. C'était Richard. Son regard se posa directement Aliénor, maintenant recroquevillée dans un coin, puis sur moi, et enfin sur le bouclier qui se trouvait dans mes mains. Alors qu'il allait commencer à parler, je bondis dans le vide. la chute fut rapide. J'atterris en plein milieu du bosquet. je pensais me faire un peu mal, mais j'étais indemne.
– Belle chute Hugues ! Me dit Enguerrand. Puis il admira le bouclier que je portais.
– C'est donc ça, je me doutais que tu préparais quelque chose de pas net.
Il prit ensuite un ton plus grave.
– Carrinville est attaqué par les Styrkiens, ils approchent de la ville, nous devons filer maintenant.
– Les Styrkiens ? Mais pourquoi attaquent t'ils ?
– Aucune idée Hugues, mais tout le monde est en panique, ils vont bientôt fermer la porte principale.
– Nous n'avons pas une seconde à perdre alors.
Je montais sur Providence, j'attachais le bouclier sur le côté de ma jument, et le recouvrait d'une couverture de cuir pour plus de discrétion.
– Providence, allons-y !
Alors que ma jument s'éloignait, je jetais un dernier coup d'œil vers la chambre du comte, Richard se tenait à la fenêtre, il me regardait d'une manière triste, sans dire un mot. Il n'avait pas l'air furieux. Il me mit terriblement mal à l'aise. Il avait les yeux remplis de désillusion tel un enfant qui découvrait que son héros sans peur et sans reproche n'était en fait qu'un immonde salopard. Et il avait raison. Il me fit réaliser ce que je venais de faire. j'avais agi sous le coup de la colère. Je ne regrettais pas le moins du monde le vol du bouclier, mais je n'aurais jamais du faire de mal à Aliénor. Malgré tout le mal qu'elle m'avait fait, j'avais encore des sentiments pour elle. Je me jurais à moi même que si jamais je la revoyais un jour, je ferais tout pour me faire pardonner. Même si cela semblait désormais peu probable.
Carrinville était bâtie autour du château, et un gigantesque mur d'enceinte protégeait la partie centrale de la ville. Les habitants se ruaient entre les murs pour se protéger de l'envahisseur. Notre progression s'avéra donc compliquée. Providence se déplaçait avec souplesse dans ce chaos, on ne pouvait pas dire la même chose du cheval d'Enguerrand, qui à plusieurs reprises manqua de peu de percuter des villageois apeurés.
La porte de la ville fut enfin en vue, Providence filait comme le vent. Le cheval d'Enguerrand luttait pour tenir le rythme effréné qu'elle imposait. Les derniers retardataires semblaient être entrés et les gardes étaient sur le point de fermer la porte.
– Attendez ! Hurlais-je.
Les deux gardent se retournèrent et me regardèrent abasourdis, ce qui laissa le temps à mon écuyer et moi de franchir la porte.
– Arrêtez-vous ! C'est du suicide ! Les Styrkiens sont presque là. cria l'un des gardes en nous regardant nous éloigner.
Mais nous étions dehors. Enguerrand regardait vers l'ouest. La peur se lisait sur son visage. Une immense armée de Styrkiens de tenait là, à quelques centaines de mètres de nous. Leurs bannières rouges flottaient au dessus de la masse de soldats. Il devait bien y avoir dix-milles hommes. Quelques cavaliers sortirent en trombe des rangs Styrkiens et se dirigeaient vers nous. Il fallait réfléchir vite.
– Hugues, allons vers forêt au nord de Carrinville. C'est notre seule chance de salut. Dit Providence.
– Tu as raison, allons-y. Nous pourrons semer les Styrkiens là-bas.
Je ne doutais pas de la capacité de Providence à semer les cavaliers adverses, mais le cheval d'Enguerrand semblait déjà épuisé. Les Styrkiens se rapprochaient de nous dangereusement. Nous partîmes au galop vers le nord, longeant les murs d'enceinte de la ville. L'ennemi anticipa parfaitement notre manoeuvre et coupa au plus court en direction de la forêt. Je distinguais cinq éclaireurs Styrkiens. Providence distançait de plus en plus le cheval d'Enguerrand. J'analysais la situation. J'avais deux possibilité. Soit je fuyais et je laissais Enguerrand à la merci de l'adversaire, soit nous allions à l'affrontement à deux contre cinq. Enguerrand se débrouillait pas mal à l'épée, mais c'était de l'entrainement, il n'avait jamais connu le combat réel. Tout bon combattant que j'étais, nos chances de réussite étaient minces. J'allais devoir abandonner mon écuyer. La forêt était juste devant moi. Je lançais un regard derrière moi. Enguerrand était à plus d'une dizaine de mètre derrière. Les éclaireurs Styrkiens étaient presque sur lui. Il me regardait le visage plein de détresse. Je repensais au jour où il était devenu mon écuyer. C'était à un petit tournoi dans un village dont j'ai oublié le nom et que j'avais remporté haut la main. Il avait insisté pour me suivre dans mes aventures. J'avais essayé de le dissuader, mais il était tenace et avait fini par me convaincre. Maintenant, j'allais l'abandonner à une mort certaine. Je détournais le regard pour me concentrer sur ma fuite. Les larmes coulaient le long des joues. J'entrais maintenant dans la forêt. Ici, jamais Styrkiens ne nous rattraperaient. Providence se mouvait dans avec grâce et agilité entre les arbres. Soudain, j'entendis derrière moi le cheval d'Enguerrand hennir de douleur. Ils l'avaient eu.
– Hugues, tu vas l'abandonner ainsi ? me dit Providence.
– Nous n'avons pas le choix.
– Tu as toujours le choix, tu es Hugues de Popincourt, combattant légendaire du royaume. Enguerrand t'a toujours considéré comme un héros.
– Non Providence, c'est trop dangereux.
Elle ne m'écouta pas et fit demi tour. Je me résignais donc et me préparais à combattre l'ennemi. Je sortais ma lance et me tint prêt. Au loin, j'aperçus Enguerrand, à terre, épée à la main, son cheval gisant près de lui. Les cinq Styrkiens avaient mis pied à terre. Ils avaient du renoncer à me poursuivre, sachant qu'ils ne pourraient pas me rattraper. Ils se dirigeaient en marchant vers mon écuyer. Ils ne me voyaient pas avancer vers eux. D'un coup fort et précis, j'envoyais ma lance dans le torse d'un Styrkien. Ses compagnons surpris, regardèrent autour d'eux sans savoir d'où venait le projectile. je descendis donc de ma monture et lui dit de nous attendre plus loin. Je dégainais mon épée et mon bouclier en pierre de lune et surgis d'un buisson pour me placer entre Enguerrand et ses adversaires, le regard de mon écuyer s'illumina. Il se redressa et vint se mettre à mes côtés. Nous étions maintenant à deux contre quatre. Les Styrkiens se rapprochaient prudemment. Alors qu'ils étaient tout proches, Providence jaillit derrière eux et les chargea. Elle percuta un soldat par derrière et l'envoya valser contre un arbre. Je profitais de cet instant d'inattention pour planter ma lame dans le cou d'un autre assaillant. les deux derniers se jetèrent sur Enguerrand. Celui-ci réussit tant bien que mal à esquiver le premier coup, mais un hache Styrkienne se planta dans son bras, lui faisant échapper un hurlement de douleur. J'accourrais pour lui venir en aide. Les deux soldats me faisaient maintenant face. Celui qui avait blessé mon écuyer brandit sa hache à nouveau, et tenta de m'attaquer. Celle-ci s'écrasa sur mon bouclier en pierre de lune. Quelque chose d'incroyable se passa alors. Plutôt que de parer mon coup comme un bouclier normal, j'avais l'impression qu'il renvoya la force vers l'agresseur, le désarmant et le projetant à terre. Je savais que la pierre de lune possédait des propriétés magiques, mais je n'avais jamais eu l'occasion de les voir à l'oeuvre. Je tuais le malheureux sans défense pendant que Providence s'occupa du dernier Styrkien d'un grand coup de sabots en pleine tête.
– Merci Hugues, je te dois la vie. Dit Enguerrand.
– Remercie plutôt Providence, c'est elle qui t'a sauvé. Tu es blessé et tu perds beaucoup de sang, nous devons nous occuper de toi.
Enguerrand regardait Providence ne sachant pas trop comment exprimer sa gratitude. Je commençais à préparer un garrot quand des bruits de chevaux au galop se firent entendre. Ils avaient envoyé d'autres éclaireurs. Nous devions fuir. J'aidais Enguerrand à monter sur Providence puis grimpa à mon tour. Nous partîmes à toute vitesse nous enfoncer dans la forêt. Cependant, les renforts ennemis nous avaient déjà repérés et étaient à nos trousses. La course poursuite commença. Providence faisait de son mieux, mais nous étions trop lourds et elle commençait à sérieusement s'épuiser. Les Styrkiens gagnaient du terrain. Enguerrand regarda derrière lui, et vit les cavaliers presque sur nos talons. Il s'approcha de mon oreille.
– Merci pour tout Hugues. me dit il. Tu as donné un sens à ma vie. Tu n'es pas l'ordure que tu crois être, au fond de toi se cache un cœur pur et noble.
Il me sourit, puis se laissa glisser de ma jument et tomba par terre. Des cavaliers sur ruèrent dessus, tandis que d'autres continuèrent à nous pourchasser. Providence, allégée par le sacrifice de mon écuyer, distança facilement le reste des poursuivants.
Quelques minutes plus tard, alors que nous étions hors de danger, Providence me posa une question à laquelle je n'avais aucune réponse.
– Et maintenant, que faisons nous Hugues ?
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