L'attaque

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Après cet épisode de préparation au combat, les songes qui me visitèrent n'eurent plus rien à voir avec Liam ou son monde pendant un long moment. Une semaine entière, huit jours même, pour être précis, s'écoulèrent avant que je ne refasse une incursion dans ce monde que j'avais appris à aimer. Oui à aimer, car les frayeurs et les sueurs froides s'inclinaient docilement devant ma curiosité. Je voulais savoir ce qui arriverait à tous ces gens. Liam et Ange en tête, mais aussi tous les autres.

Au début, je ne vis que l'obscurité. Puis, les sons me parvinrent, une faible lumière dansante aussi. Alors que mon esprit finissait de s'harmoniser avec mon hôte, je perçus la personnalité de Liam. Ses pensées, ses inquiétudes, me parvinrent par bribes. Mais je remarquais que son esprit demeurait clair et calme. Chose surprenante, au vu du contexte. Je m'effaçais peu à peu devant la psyché de Liam et me laissais doucement porter par sa respiration. Que pouvait-il bien faire ici, seul ?

La réponse ne tarda point. Un bruit me fit tourner la tête et je vis Ange s'approcher, l'air détendu, les mains dans les poches.

— Belle nuit...

— Oui...

Je levais les yeux et contemplais les étoiles en sa compagnie quelques instants.

— Dommage que ce ne soit que le prélude à l'horreur. Tu as entendu comme moi les rapports sur les cités libres.

Ange soupira et acquiesça tristement.

— Combien de gens sont morts déjà ? continua Liam. Des milliers, peut-être même des millions. Personne ne sait combien exactement vivaient dans ces territoires. Tous morts et sous l'emprise potentielle du Nécromancien. J'ai peine à le croire...

— Il n'a pas sinistre réputation pour rien. Aller, viens, nous avons encore de la route demain. Il est grand temps de dormir.

Les deux partenaires regagnèrent le camp et ses lumières. Les sentinelles scrutaient la nuit à l'aide de curieux instruments et des piquets crépitaient doucement à intervalle régulier. Même un insecte n'aurait pas pu se faufiler à l'intérieur du camp s'il se trouvait sous l'emprise du terrible sorcier. Du moins, tous l'espéraient.

Les tentes dessinaient des allées parfaites. Seule, au centre, la tente des officiers supérieurs se dressait plus haut que les autres. On y entendait encore des communications. Les autres divisions se signalaient, transmettaient leurs rapports et annonçaient les pertes. Car il y avait déjà des pertes. Sans qu'aucun contact n'aie eu lieu avec l'ennemi : le Nécromancien s'amusait. Il semait la peur et le doute dans l'esprit de ses adversaires en tuant, en faisant disparaître des membres de l'armée sans que rien ne puisse l'empêcher. Le casse-tête du moment consistait à deviner comment il s'y prenait. Étrangement, le groupe de chevaliers échappait pour le moment à ces attaques sournoises. Sans doute grâce à la présence de trop nombreux conjurateurs. Ou laissait-Il s'installer une confiance infondée ?

Dans la tente, Monty dormait déjà. Depuis leur départ, huit jours avant, Liam s'était raisonnablement attaché à ses compagnons. D'Ange, il ne connaissait presque rien, si ce n'est son parcours universitaire et la mésaventure qui l'avait mené jusqu'ici. Pour un conjurateur, rien de plus normal : le secret constituait leur principale et plus efficace protection. En dehors de ça, voyager avec Ange aurait suffit en soi à transformer un simple pique-nique en une belle aventure. Le lien entre Elaine et lui restait un mystère, mais Liam s'en accommodait. Enfin, surtout depuis que le magicien évoquait une certaine Runia avec des expressions qui ne trompaient pas.

Monty apportait une touche de légèreté bienvenue. Malgré son effronterie envers Liam, son supérieur, il savait s'arrêter avant de franchir certaines limites. Son aventure dans l'aéronef avec les créatures volantes lui valait une certain respect dans le camp, et dans le groupe. Pour l'heure, il parvenait a paraître comique même en dormant. La bouche grande ouverte, ronflant bruyamment, bavant un peu et dans une position qu'il n'aurait sans doute jamais pu reproduire éveillé, il faillit déclencher un fou-rire que ses compagnons ne parvinrent à réprimer qu'avec peine.

Liam se dévêtit et se glissa dans son sac de couchage tandis qu'Ange faisait de même. Mais à peine eurent-ils éteint la petite veilleuse suspendue, une détonation résonna. Malgré l'obscurité totale, je sentis que Liam se redressait soudainement, tendant l'oreille, à l’affût. Un cri d'alerte, une seconde détonation. L'alarme résonna dans le camp.

La lumière revint, ténue. Déjà, les trois membres de leur petite équipe s'habillaient en hâte, pestant et jurant, inquiets. Pantalons et bottes furent enfilés. Le fusil armé et lame au clair, ils plongèrent dans la fraîcheur de la nuit. L'alarme résonna encore une fois, puis se tut. Quelques cris, des ordres probablement, résonnaient aux abords du campement. Des détonations intermittentes déchiraient le silence.

— Abattez les tentes ! hurla le commandant, au loin.

Et aussitôt, des dizaines de soldats, tout juste sortis de leur sommeil se ruèrent sur les piquets. Tous n'eurent pas le temps d'effectuer cette simple tâche. Un vent furieux s’abattît soudainement, projetant et éparpillant les effets personnels des hommes. Liam ne comprit pas ce qu'il se passait, car il se trouvait à ce moment là à plat ventre contre la toile de sa tente. Il entendit de nombreux cris et de nombreux coups de fusil. Se redressant, il saisit la main d'Ange qui l'aida à se relever.

— V'la ces horreurs volantes ! gueula Monty. Les mêmes que l'aut' fois !

Un son continu, comme celui de milliers de battements d'ailes énormes et lourdes envahissait désormais l'air. Des ombres volantes chargèrent, s'approchant agressivement du sol et furent accueillies par une salve de tirs aussi bruyante qu'inefficace. Des hommes furent emportés, blessés ou jetés à terre.

Monty réarma son fusil à verrou.

— Attends, fais voir.

Ange tendis la main et l'apposa sur le canon de l'arme. Il n'y eut qu'une vague lueur et ce geste sembla vain à un Monty désappointé.

Une nouvelle charge suivi. Monty ajusta son tir, fit feu.

Ce fut une balle qui parti, semblable à toutes les autres. Mais le tireur ne manqua pas sa cible et le résultat fut surprenant. La bête se recroquevilla soudain et tomba au sol comme une masse. La chair fumait et, si la puanteur de charogne qui se répandait déjà à cause de ses congénères frôlait l’insupportable, une odeur pire encore s'éleva de ce tas de chairs et d'os en train de bouillonner et de fondre.

— Tous tes coups produiront le même résultat, si tu fais mouche.

— Merci, Ange. Tu devrais dire aux autres comment faire ?

— Impossible. C'est un grand secret. Ce serait trop dangereux de le partager. C'est pour ça que chaque équipe à son propre conjurateur.

— Vous êtes bizarres vous les magiciens ! cria Monty en ajustant son tir suivant.

Partout autour d'eux, les autres équipes commençaient à produire elles aussi des résultats. Les chevaliers découpaient les créatures qui se risquaient trop près du sol, protégeant leurs compagnons. Des éclairs colorés balayaient le ciel nocturne, frappant les créatures. Des détonations assourdissantes, des lignes lumineuses et d'autres manifestations inhabituelles taillaient en pièces les grotesques imitations de chauve-souris. Les cadavres volant n'insistèrent pas plus longtemps, rappelés par la volonté du Nécromancien.

Le rêve devint plus flou, après cela. Je me rappelle que le camp fut remis en ordre, les cadavres puants des assaillants évacués, rassemblé en un tas que l'on incendiât. Un homme avait périt : l'un des sapeurs, emporté par deux créatures et lâché en plein vol. D'autres recevaient des soins : une trentaine environ. Le commandant ordonna que le lendemain deux véhicules emporte les blessés vers un convoi médicalisé qui suivait, en retrait et lourdement défendu. Les membres épargnés d'équipes désormais incomplètes devaient tenter de reformer des équipes de trois avec les membres restant. Aucune équipe incomplète ne pourrait poursuivre. Trois compagnons ; un chevalier, un sapeur, un conjurateur.

Liam s'étendit sous la tente, pour goûter aux précieuses heures de sommeil qui lui restait. Il s'endormit presque aussitôt et je fus, moi, chassé de sa tête, revenant à moi dans mon lit. J'avais remué, mais je ne me réveillais ni en sueur, ni paniqué. La fin de toute cette histoire approchait, je le sentais. Et, à cette idée, c'est étrangement soulagé que je me replongeais dans le sommeil.

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