Exploration
Après le long et pénible rêve de l'attaque sur la forteresse de l'ennemi, je ressentais à nouveau cette réticence a replonger dans le sommeil. Mes mains me firent mal pendant toute une journée et si, après une nuit de sommeil fort tranquille, je me sentais reposé, les étranges effets secondaires de ces songes m'intriguaient, m'inquiétaient même un peu. Cependant, je ne pouvais fuir le sommeil et la curiosité l'emportait tout de même sur la crainte.
Aussi ne fus-je pas déçu lorsqu'au détour d'un couloir anodin, je basculais à nouveau dans ce monde. Je me rendis aussitôt compte que je dormais. J'avançais, apparemment seul, dans un couloir sans autre source de lumière que celle qui provenait de mon gantelet. Je portais armure et épée, j'en conclus donc que mon esprit résidait dans la tête de l'un des chevaliers. Il ne me fallut pas longtemps pour comprendre que je partageais le corps de Liam.
Une main me tapota l'épaule. Si c'eût été mon propre corps, j'aurais sursauté comme un lapin effrayé mais Liam savait visiblement que quelqu'un le suivait.
— Qu'y a-t-il ? m'entendis-je demander à voix basse.
— J'ai entendu un bruit, par là.
Liam s'immobilisa puis se tourna vers la droite. Un autre couloir tout aussi obscur s'ouvrait devant eux. Liam entendit à son tour un faible son, crut même voir au loin une vague lueur. Il se tourna vers son compagnon. Son visage me rappela vaguement quelque chose.
— Tu crois qu'on devrait aller voir, Anton ?
Anton ne répondit que par un haussement d'épaule, indécis. En entendant son prénom, je me rappelais où je l'avais déjà vu : sur les quais de la gare, lors de notre départ. Les deux jeunes hommes devaient prendre une décision, mais malgré leur formation, ils s'en montrèrent incapable dans les quelques instants qui suivirent. Puis ce devint inutile, car la lueur se précisa et Liam comprit qu'il s'agissait d'un autre duo de chevaliers. Ils attendirent leurs camarades en silence.
— Vous avez trouvé quelque chose ? leur demanda Anton quant les autres les eurent rejoint.
— Une de ces choses nous a attaqué. En dehors de ça, rien. Que des salles vides, ou presque.
Désormais quatre, les chevaliers poursuivirent leur exploration des lieux. Je me demandais bien comment et pourquoi un groupe armé de plusieurs centaines d'hommes se trouvais réduit à explorer ce lieu sinistre et dangereux par groupes de deux. Liam ouvrit une porte, presque au bout du couloir et entra dans une pièce encore inexplorée.
L'intérieur ne recelait rien d'exceptionnel. En dehors d'une table à l'utilité suspecte, dotée de sangles, l'endroit désespérait par sa banalité. Seule une vague odeur de produits chimiques indiquait une activité assez ancienne.
— C'est comme ça partout. Toutes les salles de tous les étages, commenta Anton.
Les autres restèrent cois. Ils ne souhaitaient pas trouver quoi que ce soit dans ces salles, sinon le maître des lieux pour en finir et partir de cette tour maudite dans laquelle ils étaient piégés.
En sortant, Liam marqua la porte d'un Signe, une sorte de marque ensorcelée censée être ineffaçable. Il se dirigea sans un mot vers le bout du couloir et y découvrit un escalier. Anton se plaça à côté de lui et nota quelque chose sur un calepin.
— Il est tard, commenta l'un des autres, nous devrions retourner en bas.
Liam se tourna vers lui et acquiesça. Nous revînmes sur nos pas, parcourant les longs corridors gris et obscurs, parvînmes à un escalier interminable que nous empruntâmes jusqu’au rez-de-chaussez. Je découvris dans le grand hall un camp retranché. Le véhicule blindé servait à barricader l'entrée, quelques tentes dressées difficilement servaient à tenir les blessés au chaud. Notre commandant s'entretenait avec un groupe de chevaliers qui venait sans doute de lui remettre leur rapport. L'exploration du bâtiment prenait du temps. L'immensité de la construction y était pour beaucoup, bien entendu, mais les dédales tortueux, les couloirs et escaliers tentaculaires et les créatures dissimulées ça et là rendaient la reconnaissance tout à fait cauchemardesque.
Liam et ses trois compagnons firent leur rapport. Les salles vides ou presque, les endroits sombres et les passages secrets n'intéressaient pas beaucoup l'officier.
— J'ai perdu trois hommes, aujourd'hui, annonça t-il avec lassitude. Je ne peux risquer de laisser les blessés sans soin, ni protection. Ce qui ne laisse que quelques dizaines d'entre vous pour accomplir une tâche qui aurait nécessité un millier de gars. J'attends de vous que vous me rapportiez plus que des informations inutiles !
Il tempéra ses propos en voyant les petits plans des étages supérieurs, dessinés sur des carnets que lui remirent ses hommes, puis en apprenant que plusieurs créatures ne hanteraient plus les lieux.
Liam se sépara d'Anton, qui s'en alla prendre un repos bien mérité, et rendis visite à Ange. Celui-ci somnolait douloureusement, affalé contre un pilier, les mains toujours emmaillotées de bandages.
— Le médecin dit qu'il s'en remettra, fit Monty, faisant sursauter Liam.
— Je ne t'avais pas entendu... s'excusa le jeune homme. Ses mains ?
— On peux pas en être sûr, mais plusieurs fractures, sans doute. J'ai aidé à lui changer ses pansements, avant ma garde. Elles sont bleues et gonflées, mais encore entières.
— Sauf que nous parlons de magie. Celle d'un être qui joue avec la mort.
Liam et Monty échangèrent encore un moment. Pendant ce temps, des chevaliers revinrent de leur exploration. D'autres pas. Les heures filèrent, Liam s'endormit et je me réveillais, moi, dans mon lit, la tête encore pleine des images si marquantes, si vivantes de ce rêve. Je me retournai, souhaitant retrouver le sommeil, pensant que j'en avais terminé avec ce monde pour cette nuit. Je n'imaginais pas à quel point je me trompais.
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