Troublantes révélations

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— Après votre mort, qu'avez-vous fait ?

— Je suis allé dans l'est où je construisis un laboratoire. Je pris femme et vécu environ quarante année de bonheur. Je menais mes recherches en paix, j'eus des enfants. Et puis un jour, je fus rattrapé par mon passé. J'ignore comment, mais les duchés apprirent que j'étais en vie et tentèrent de m'éliminer. Je survécu à l'attaque, mais pas mon épouse.

Liam assista à la scène. Un jour sombre et pluvieux, un phare au sommet d'une falaise, une bâtisse en feu à son pied. Un vieil homme en sorti, encore vigoureux, portant dans ses bras un corps inanimé. Et une cinquantaine d'hommes au moins encerclant le tout. Liam reconnu en eux des adeptes des arts occultes.

— J'étais si furieux...

Les images parlèrent d'elles-même. Le vieillard déposa le corps sur l'herbe détrempée et alors que ses adversaires s'apprêtaient à mettre un terme à sa vie, il prononça un seul mot. Un mot de pouvoir, l'un de ces mots, souvent inventé, que les sorciers utilisent comme clef pour libérer leur plus puissants enchantements. Ce mot suffi à balayer ses adversaires, une vague d'énergie les toucha et ils tombèrent tous, sans exception. Morts.

— Je ne nie pas que déjà à l'époque, mes recherches sur la vie et la mort m'auraient causé des soucis auprès de mes pairs.

Il y eut un instant de silence, la vision s'effilocha et je me retrouvai de nouveau à table, dans la tour, face au mage noir que je considérais d'un regard nouveau, même si je doutais encore de la véracité de ce récit.

— J'ai sacrifié ma jeunesse, mis mes pouvoirs au service des Duchés. En récompense, mes frères et moi n'avons reçu que méfiance. Pire que cela ! Ils nous ont privé de notre liberté. Puis non content de notre sort déjà injuste, ils nous ont éliminé. Et malgré tout je suis resté fidèle au peuple, j'ai mené ma vie sans jamais faire d'histoire jusqu'à la veille des mes cent vingt-trois ans !

Le nécromancien écumait de rage. Et je le comprenais. Cette perspective me fit frissonner.

— Votre sort fut peu enviable. Mais vous n'aurez pas ma compassion. Rien ne pourrais justifier ce que vous avez fait ensuite. Le monde est passé au bord de la destruction.

— Encore une stupidité que l'on vous inculque dans les duchés ! Mon seul objectif était d'accomplir ma vengeance contre le Haut-Duc et les familles puissantes. Dans ma jeunesse, j'avais mené une guerre terrible, nous avions perdu de nombreux hommes, nos adversaires aussi. Je n'ai jamais su ramener les morts à la vie. J'aurais simplement ramené mon épouse, dans ce cas. Je me suis simplement construit une image de sorcier terrifiant, j'ai utilisé des corps, il est vrai, mais ceux de gens déjà morts à la guerre ou les cadavres dans les cimetières. J'ai accompli de grandes choses, de terribles choses, mais j'usais alors de trop de pouvoir et l'âge me rattrapait. Comme je te l'ai dit tout à l'heure, je fus bientôt à l'article de la mort. Ma vengeance ne fut pas complète avant que je ne sois vaincu par ton ancêtre.

Liam se redressa soudain, plaquant ses mains sur la table, ne se rendant même pas compte que l'emprise du magicien ne s’exerçait plus sur lui :

— Et ces populations entières que vous avez anéanties ? Ces familles que vous avez détruites ! La terreur qui a régné pendant cinq ans ! Ce sont des mensonges aussi ?

— Oh non. C'est la vérité. Mais tout ça s'est produit il y a bien longtemps. Ce que tu pense savoir a été déformé par le temps et les ducs. J'ai anéanti des familles entières, c'est vrai : celles des hommes qui ont tué mon épouse, celles des nobles qui ont assassiné mes compagnons d'arme. J'ai défendu mon territoire contre les armées que l'on a envoyé contre moi. J'ai causé de grands dégâts, mais en route, j'ai presque percé le secret de l'immortalité.

— Vous avez tué des innocents ! Les histoires sur les horreurs que vous avez commises ne manquent pas. Vous avez possédé des enfants pour tuer leurs parents. Vos livres, ces tomes interdits, ont si mauvaise réputation que les plus grands sorciers se penchent encore de nos jours sur leur destruction.

— Ma femme était innocente. Et nous étions des héros. Oui j'ai sombré dans la haine et la noirceur après un siècle d'injustices.

— Vous avez tué des millions de gens dans l'est, depuis votre retour.

— Encore une erreur, au mieux. Un mensonge, plus probablement. L'empire qui s'étend au nord, une fois libéré des sorcières, n'est pas devenu une nation pacifiste. Ce sont eux qui on détruit les villes de la côte, là où je vécus jadis, et ce bien avant mon retour. Je n'ai fait que me servir dans les fosses communes pour agrandir les rangs de mes serviteurs.

— Mon ami, Ange, m'a raconté avoir vu de ses yeux un homme dominé par votre volonté tuer sa femme et tenter de tuer sa petite fille. Même si tout ce que vous me racontez est vrai, vous êtes devenu un monstre.

— Hélas pour cet homme. Il était le gardien du musée ou se trouvait l'épée de ton ancêtre. C'est lui qui m'a libéré, en touchant la lame : je me suis servi de son corps comme réceptacle avant de fuir ici. J'imagine qu'il succomba à la folie après cela. C'est regrettable, mais si je puis admettre que c'est ma faute, je n'avais nulle intention de provoquer ces tragiques événements.


Liam ne savait plus que penser, et moi non plus. Cet homme, que tous craignaient, le Nécromancien, un monstre sans âme était-il en réalité un mari blessé et un patriote trahi par sa patrie ? Où était-ce là un mensonge de plus, soutenu par des illusions tout aussi mensongères ?

Comment être sûr ?

Si tout cela se révélait être la vérité, et si ça se savait, les Duchés trembleraient jusque dans leurs fondations. Les Grands, encore admirés plus de cinq siècles après leur disparition, trahi par le haut-duc ?

— De nombreux mensonges à démêler, n'est-ce pas ? Rassure toi, Liam, il y a ici quelqu'un qui peut t'aiguiller. Montrez-vous, tous les deux. J'ai fait trop d'efforts pour vous amener ici et vous laisser simplement écouter aux portes.

Sur sa gauche, Liam vit une porte s'ouvrir et deux visages familiers apparurent dans l'encadrement. Monty, pâle comme la mort soutenait Ange qui n'aurait visiblement pas pu tenir debout sans lui.

— Prenez donc une chaise, les invita le Nécromancien, les y obligeant par magie. Mangez un morceau, vous en avez besoin.

Les deux hommes, une fois assis face à Liam, échangèrent des regards apeurés avant de l'interroger silencieusement. Ils ne touchèrent à aucun plat.

— J'imagine qu'il est encore trop tôt pour que vous me fassiez un minimum confiance, observa le Nécromancien, en piochant un petit poisson frit dans un plat qu'il avala goulûment avant de soupirer d'aise. Vous n'avez pas idée ce que c'est bon de pouvoir manger de nouveau après des siècles d'abstinence contrainte. Mais revenons à nos moutons ! Jeune conjurateur, Ange, c'est ça ? Qu'avez-vous appris dans mon volume noir ?

— Des choses que j'aurais préféré ignorer, répondit l'intéressé d'une voix faible, essayant d'y mettre un ton de défi sans trop y parvenir.

— Je ne parle pas de mes recherches, voyons ! J'imagine bien qu'elles sont, comment dire ? Hors de votre portée et dérangeantes pour un jeune homme tel que vous. Non, je parle de mes mémoires, à la fin du volume. Vous aviez l'un des dernier, le vingt-troisième si je ne m'abuse. J'y relate des choses intéressantes, n'est-ce pas ?

— Un tissu de mensonges !

— Vous n'y croyez pas ? Pourtant vous savez mieux que beaucoup ce qu'implique d'écrire dans un Grand Livre. Chacun de mes volumes est un Grand Livre, autrement dit...

— Ils sont tous consacrés ?

— Tous. Sans exception. Mais vous le saviez déjà, en ce qui concerne celui que vous avez consulté. Cessez donc de faire l'enfant et de vous cacher derrière vos propres mensonges. Si vous avez entrepris cette quête, si vous êtes venu à moi, c'est en partie dans l'espoir de découvrir la vérité.

— Je l'ai fait parce que ma sœur m'a supplié de veiller sur lui ! rétorqua Ange en pointant Liam du doigt.

Liam en fut tout abasourdi. Ange n'avait jamais évoqué une quelconque sœur et il donnait là un renseignement plus que sensible à son adversaire.

— Ange ! s'exclama aussitôt Liam, tu ne devrais pas !

— Oh crois moi, ça ne change rien qu'il le sache ou non. Quand à vous deux, je vous fait confiance.

Et malgré le dramatique de la situation, Liam senti soudain son cœur se gonfler d'espoir. S'il se sortait vivant de ce traquenard, il ne manquerait pas d'aller aussitôt voir Elaine afin de lui déclarer ses sentiments.

— Mes mémoires, rappela le Nécromancien avec un toussotement.

— Si, et j'insiste sur ce mot, si et seulement si les volumes noirs sont effectivement des Grands Livres, fabriqués, rédigés et ensorcelés dans les règles des Arts occultes, alors ils ne peuvent contenir que la vérité, asséna Ange. Y comprit les passages qui ne traitent pas de sorcellerie ou d'une autre discipline dite magique.

— Et qu'avez vous lu dans ces lignes, jeune homme, qui vous ait troublé suffisamment pour venir jusqu'ici alors que vous n'y étiez pas obligé ?

— Le récit de la mort de votre épouse, son meurtre, pour être exact et une partie de votre plan de vengeance. Mais ce que nous appelons la vérité est subjectif. Et on peux manipuler des gens en disant la vérité, ou une partie seulement. Je vous sais suffisamment brillant pour être capable de tromper le monde avec des choses vraies pour seules armes.

— Vous auriez pu vous lancer en politique, alors, intervint Monty, essayant de dissiper son malaise par une boutade.

— Ne plaisantez pas, soldat, répliqua le Nécromancien. Les hommes politiques ont plus souvent menti que moi, et ont causé plus de tort et de morts aussi. De mon côté, je me contente de la manipuler pour faire peur aux enfants qu'ils sont à mes yeux.

Je continuait d'assister, impuissant, à toute cette scène surréaliste. Mes pensées et celles de Liam en venaient à s'entremêler par moment, si bien que lorsque je me posait la question de savoir où tout cela allait nous mener, je ne fus pas si surpris de m'entendre poser la question à haute voix par la bouche du jeune chevalier.

— Où je veux en venir ? Eh bien, messieurs, je compte sur votre honnêteté et votre compréhension : j'ai une offre à vous faire.

Il y eut un moment de silence. Monty hoqueta nerveusement, Ange se raidit et je sentis tout mon corps se crisper.

— Dites toujours.

Le Nécromancien me jaugea un instant du regard. Il ne souriait plus, il paraissait sérieux et... Inquiet ?

— Je n'ai pas fait tout ce chemin pour mettre à genoux les duchés, encore moins pour les détruire. Ma vengeance n'a jamais été accomplie et j'y ai maintenant renoncé : les choses ont changé. Et, quoique vous en pensiez, je suis resté fidèle au peuple. Le secret de mes origines a été bien gardé pendant longtemps, si bien qu'il a faillit disparaître à tout jamais. Je crois que nous sommes les seuls, nous quatre ici présent, à savoir la véritable histoire des Grands, et mon histoire, moi qui devint le terrible Nécromancien. Je voulais m'enfuir, en toute discrétion et vivre ma vie, mais c'était sans compter certains dispositifs mis en place pour me repérer si jamais je refaisais surface. J'ai donc élaboré un plan pour disparaître une bonne fois pour toute. Liam, je te propose tout simplement de me tuer.

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