L'héritier

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Nuit suivante, rêve suivant.

Je me trouvais cette fois dans la peau d'un jeune homme, un adolescent. Je marchais résolument dans une belle et large avenue gravillonnée, bordée d'arbres majestueux. Cette essence m'est inconnue : leurs troncs énormes s'élevaient droits, lisses et blancs à près de six mètres du sol avant de s'épanouir en une formidable explosion rouge-orangée digne d'un feu d'artifice. Je franchissais une large grille de fer forgé et, avant de poursuivre ma route, contemplais la demeure derrière moi : un magnifique manoir, presque un château. Trois étages, neuf fenêtres de chaque côté d'une porte monumentale. Plusieurs cheminées ornaient le toit couvert d'ardoise. Le bâtiment trônait fièrement au milieu d'un vaste parc arboré. Plusieurs bâtiments, plus petits et construits à l'écart, ressemblaient a des répliques miniatures de l'édifice central. J'abandonnais cette vision qui me réchauffais le cœur et poursuivis ma route. Mon esprit se fixa alors sur une chose que j'espérais avoir laissé derrière moi pour toujours : l'école.

Ce rêve-ci se révéla particulièrement étrange en cela qu'il me fit vivre une journée entière de ce jeune homme. Et je ne tardais pas a découvrir qui je visitais cette fois. Après le premier cours, un cours d'escrime auquel j'excellais, dispensé par une jeune femme séduisante, je me rendis dans une salle de classe pour assister à une leçon d'histoire. Je m'ennuyais ferme. Le professeur, assommant à souhait, s'en aperçut et me posa une question. Je ne compris pas pourquoi, au départ, mon hôte s'énerva autant. Je sentis monter dans sa poitrine une frustration, une colère, presque de la rage. Il se leva, répondit à la question du professeur sans avoir pourtant écouté une minute du cours. Puis, ramassa ses affaires et sorti de la salle sous l’œil amusé des élèves et le regard sévère et outré du professeur rabougri. Je ressentais moi-même une certaine satisfaction a vivre ces événements.

— Qui vous a permis de sortir ? s'étonna l'enseignant.

— Je reviendrais dans votre cours quand vous aurez décidé de vous intéresser un minimum à vos élèves. Je ne sais pas dans quel monde vous vivez, mais tout le monde sait ici pourquoi je m'en vais.

— Et auriez-vous l'amabilité de m'éclairer sur la question ? demanda le professeur, agacé.

Je soupirais. L'adolescent que j’habitais se trouvait au bord de l'explosion.

— Mr Mulliar, vous me demandez, à moi, si je sais ce qu'a fait Liam Epsilom pour le Duché. C'est l'histoire de MA famille, je vous le rappelle. Et, puisque vous l'avez visiblement oublié, je porte le même nom !

Là-dessus, je sorti en claquant la porte, agacé, laissant sur place un professeur à la fois médusé et décontenancé.

Je me souviens ensuite de cette heure passée à errer dans les couloirs et dans la cour de l'établissement, des cours suivants, du déjeuner dans une vaste cantine au milieu de mes camarades et amis, des cours de l'après-midi. Mais tout ceci ne se révélât pas d'un grand intérêt. Ce qui arriva à la fin de la journée, par contre, fut à la fois très intéressant et angoissant, voire terrifiant pour mon hôte. Alors que la dernière heure de cours touchait à sa fin, une sirène retenti. Une longue et assourdissante plainte, une alarme que j'associe à celle, très connue, que l'on entend sonner dans les films de guerre avant un bombardement. Nous, les élèves, étions surpris, un peu perdus. Notre professeur, une dame d'une quarantaine d'années, resta stupéfaite pendant cinq bonnes secondes, sorti dans le couloir pour demander à un collègue ce qui se passait. Nous évacuâmes les lieux peu après. Dans le calme, mais inquiets. Ce genre d'exercice ne me semblait pas familier dans mon rêve, pas comme ces exercices de prévention incendie que l'on effectue tous, environ une fois par an. Non, là, les gens ne savaient pas ce qui se passait. Nous descendîmes dans un abri sous-terrain, une sorte de blockhaus baigné de lumière rouge. En y entrant, je repérais une jeune femme, séduisante. Je me dirigeais vers elle pour lui demander si elle en savait plus.

— Professeur ! appelais-je.

Pas de réponse.

— Elaine ! fis-je, en espérant que cette interpellation plus ciblée aurait de l'effet. Et elle en eut.

La jeune femme fit volte-face. Elle était vraiment belle et ne semblait pas beaucoup plus âgée que ses propres élèves. J'ignore pourquoi, mais mon hôte, Liam, se sentait proche de cette jeune femme, et peut-être aussi un peu amoureux. C'était la jeune professeur d'escrime.

— Que se passe t-il ? demandais-je en arrivant près d'elle. Ce sont les alarmes de guerre. Nous ne sommes pas en guerre, n'est-ce pas ?

— Pas que je sache, Liam. Mais ce sont bien les alarmes de guerre. Nous devons suivre les protocoles de sécurité. Surtout toi.

Je senti Liam faire la grimace, et une panique encore embryonnaire naître doucement au creux de mes entrailles. J'allais regagner le rang lorsqu'elle posa une main sur mon épaule. Je la regardais droit dans les yeux. Ils étaient magnifiques, même dans cette lueur rougeâtre.

— J'ai entendu dire que tu avais séché le cours d'histoire, ce matin.

Je ressenti très nettement les pensées de Liam à ce moment là : "Nulliar est vraiment ennuyeux, il a même carrément oublié qui j'étais, ce matin." Et c'est mot-pour-mot ce qui sorti de sa bouche. Il se rendit compte de son lapsus, trop tard. Cela fit sourire Elaine.

— Ne t'inquiète pas, je sais ce que c'est. J'étais assise à ta place il y a moins de cinq ans. Mais tu ne dois pas quitter les cours et te balader comme ça. Le directeur est au courant, il va devoir appeler ta mère. Encore. Ça fait trois fois déjà...

Je senti une fois de plus les muscles de mon visage, ceux de Liam en fait, effectuer une grimace. Je m'excusai auprès de la jeune professeur et regagnai le rang. Nous restâmes près de quarante minutes dans le bunker, enfermés, à attendre des précisions et de nouvelles consignes. L'angoisse des élèves, comme des professeurs, se ressentait à travers l'ambiance lourde, anormalement silencieuse. Ceux qui parlaient le faisaient en chuchotant. Finalement, la porte blindée s'ouvrit de nouveau. Le directeur, plusieurs professeurs et un homme vaguement familier entrèrent. L'inconnu fit une annonce :

— Bonjour à tous, je suis l'adjoint aux affaire du Duché de Nalavas. J'assiste le Duc dans ses fonctions. Pour le moment, notre Duc est parti pour la capitale.

Je sursautai. Liam ignorait que son père avait quitté la ville.

— Nous ignorons pour le moment ce qui se passe exactement. Cette sirène a retenti dans tous les Duchés. Cependant, comme il ne semble pas y avoir de danger immédiat, vous êtes prié de bien vouloir rentrer chez vous. J'insiste : rentrez chez-vous. Directement. Nous ignorons encore si des cours seront dispensés demain. J'encourage chacun d'entre-vous a ne pas rentrer seul. Je vous souhaite une bonne soirée et je vais vous demander de vous tenir informé de la situation, via le Réseau. Merci à tous.

Là-dessus, l'adjoint au Duc sorti, accompagné du directeur. Alors que je ramassai mes affaires, comme tout le monde, Elaine vint me voir. Son nom de famille me traversât l'esprit, mais je le jugeait imprononçable durant mon rêve et, éveillé, je ne parvins jamais à m'en rappeler précisément. Je me contenterais donc d'Elaine, en ce qui la concerne.

— Je te raccompagne chez toi, m'annonça t-elle.

— Je peut rentrer seul, vous savez.

— Tu as entendu l'adjoint de ton père ? C'est une recommandation pour tous. Et pour toi, il a demandé que je te raccompagne personnellement.

Après une seconde de réflexion, je compris pourquoi. Pourquoi elle. Elle était la jeune femme séduisante dispensant le cours d'escrime, un Maître d'Arme formé dans la capitale. On m'assignait un garde du corps. Cela m'inquiéta un peu, mais je m'en réjoui par ailleurs. Je l'ai dit : Liam ressentait quelque chose pour cette femme.

Nous suivîmes la route jusqu'au manoir ensemble, à pied et sans discuter beaucoup. Je me sentais nerveux. Elaine m'accompagna jusqu'au pas de ma porte, puis rebroussa chemin en m'adressant un signe de la main et un magnifique sourire. Notre majordome vint m'ouvrir, m'annonça que ma mère se trouvait dans le bureau de mon père, en communication avec le bureau du Duché. Je mangeais un morceau en l'attendant. Elle arriva dès que notre majordome lui annonça que j'étais rentré. Elle m'assura que mon père allait éclaircir toute cette histoire, que cela impliquait l'université de Nalavas et le Grand Duché. Elle me dit de ne pas m'en faire, au moins dix fois. Après quoi elle s'en retourna dans le bureau, passer quelque coups de fil.

Je ne sais ce qui me poussa alors a me rendre dans une partie du manoir que nous n'habitions plus depuis longtemps. Le dernier étage de l'aile nord. Je passais devant un tas de vieux meubles, de vieilleries en tout genre, tout en ressassant mes pensées. Mais une chose retint mon attention. Un grand miroir, plus haut que moi, ovale, au cadre d'or et d'obsidienne. Pas un grain de poussière ne le recouvrait. Je passais ma main sur le cadre. Surpris, je la retirais vivement : il vibrait doucement. La surface réfléchissante m'attirait et me repoussait en même temps. L'impression étrange qu'aucune matière ne la composait s'imposa à moi comme une évidence. Cette chose restait là, à l'écart, parce que personne ne souhaitait se trouver trop longtemps en sa présence. Alors que l'attrait de l'objet s’effaçait peu à peu, un dégoût, une angoisse le remplaça lentement. Et alors que je fixais la surface du miroir, prêt à m'en aller, une forme apparut. Une forme humaine, baignée d'ombre, vaporeuse. Un visage se dessina, en partie caché dans des ténèbres épaisses, d'une pâleur mortelle. Une voix retenti alors, grave et lointaine :

"Je peut aussi te voir, à présent". Ce fut tout. Mais ce fut suffisant pour me glacer d'effroi. Liam quitta la pièce en reculant, pas à pas, hypnotisé par la forme qui s'effaçait peu à peu dans le miroir. Lorsqu'elle eut totalement disparut, Liam prit ses jambes à son cou, terrorisé. Il savait ce qu'il venait de voir. Qui il venait de voir.

LUI.

Le Nécromancien.


Ce fut l'instant où mon rêve prit fin. Ce fut l'instant de mon réveil. Et je me retrouvais assis dans un coin de ma chambre, tremblant dans le noir, couvert de sueur.

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