Chapitre 1. Des étrangers.
(Point de vue de l'héroïne.)
Je cours vers la plaine Ouaq. Car ils ont bel et bien atterri, eux qui nous survolaient depuis un moment. Le Conseil m'a envoyée en éclaireuse. Je suis Énokiera, la plus âgée des enfants de mon peuple. Je ralentis un peu ma course et monte dans un arbre, je vais finir le chemin sans la canopée. C'est plus fatiguant et sportif mais c'est surtout plus discret, ça ne laisse pas de traces. Quand j'arrive essoufflée, ce qui n'est pas grave, je me cache dans un Goshiro, grand arbre creux avec un tronc vert et de longues feuilles jaunes. Je prends le temps de retrouver mon calme. Pour m'aider je pose ma main gauche sur le côté droit de ma poitrine, juste sous mon sein, là où se trouve mon cœur. Mon autre main, est anxieusement serrée sur ce qui me sert d'arme. Une fois que mon corps est prêt, j'observe ces nouveaux venus avec un mélange de fascination, d'intérêt et d'inquiétude. Je ne sais pas ce qu'ils font là, mais cela m'inquiète au plus haut point. Je ferme les yeux un moment pour canaliser mes émotions et avoir un regard plus neutre et concentré sur la scène.
Je souffle longuement, et quand je rouvre les paupières, j'entends des pas s'approchant de moi. Je me crispe et tourne un peu la tête. Je vois un jeune homme, habillé comme les autres, s'avancer vers moi. Bien sûr ce n'est pas moi qu'il vise puisqu'il ne peut pas me voir. C'est donc la forêt qui l'intéresse. Tandis qu'il passe à côté de moi, automatiquement, je bloque ma respiration et serre un peu plus les doigts sur mon arme en commençant à la déclencher. Finalement, après m'être assurée qu'il est seul et à bonne distance, je sors discrètement de ma cachette et le suis par la voie aérienne (arbres). Comme je ne le quitte pas des yeux, je manque plusieurs fois de me prendre une branche ou un tronc en pleine face, je me retrouve quand même avec quelques écorchures sur mes bras et mes joues. Je dois aussi avoir des feuilles dans les cheveux et quelques hématomes sur les jambes. C'est relativement facile de le suivre car il ne connaît pas la forêt, moi par contre, il est très fastidieux de le faire car je la connais par cœur, c'est normal je vis ici. Je ne risque pas de me perdre. L'autre fait une halte et j'en profite pour tenter de voir le ciel. La nuit va bientôt arriver parce que Kiera va disparaître à l'horizon et il sera remplacé par notre soleil Kophino et nos deux lunes : Sastifaé et Titclanul. Il faut que je reprenne des forces, je tire le bouchon de ma gourde et en avale deux bonnes gorgées. Je suis chanceuse aujourd'hui car l'arbre sur lequel je me suis arrêtée donne mon fruit préféré. J'en cueille cinq pour les engloutir rapidement.
Mon sang brun a laissé des croûtes là où j'ai été griffée. Je crache sur mes mains puis enduis ma salive sur mes blessures, celle-ci est un bon désinfectant. Je ne serai donc pas malade. Je baisse ma tête pour regarder cet être avec une peau rose, habillé de vert de plusieurs teintes. Il est occupé à monter un cube vert avec des branches de métal et des grands morceaux de même couleur et matière que ce qui recouvre sa peau. Quand il a fini son bricolage, il rassemble du bois mort et sec qui traîne et fait un geste hyper dangereux : il allume un FEU ! Quel inconscient ! Nous n'avons le droit d'en faire que s'il y a de l'eau et que s'il y a d'autres personnes à côté ! Car cette forêt est ce qu'il y a de plus inflammable avec les plaines sèches, c'est surtout ce qu'il y a de plus précieux et qui abrite la vie sur cette planète. De plus, quasiment toute la planète est constituée de cette immense forêt trouée par les plaines ! Le feu attire les animaux. Pff il veut mourir ou quoi ?? De toutes les races venues envahir notre superbe planète c'est le plus bête.
Rahh, encore à moi de me taper le sale boulot. Si je veux éteindre ce maudit feu, il faut que je descende de mon arbre et que je me dépêche d'aller me cacher derrière le buisson qui est à côté du feu. Une fois là-bas je vais devoir verser ma deuxième gourde, la plus grande, celle que je gardais pour le retour. J'ose un regard vers lui. Il est tranquillement assis par terre, en train de sortir de la nourriture de sa besace. Non mais je n'y crois pas ! Franchement. Griller de la nourriture, en plein milieu d'une forêt inconnue, remplie d'animaux pour la plupart affamés, il faut vouloir mourir pour faire ça, ou vraiment être très débile. C'est pour ça que nous les Dudulliniens ne mangeons essentiellement que des fruits et des légumes, parfois du poisson, lors des fêtes, mais cru ! Bon fini le bavardage inutile. Avec une agilité habituelle, je descends de mon perchoir sans bruit, sans faire trembler une feuille.
Rapidement mais surtout discrètement je me déplace jusqu'à un buisson de feuilles roses pour me cacher derrière. Il suffirait qu'il tourne sa tête pour vider ma gourde. Quelques secondes plus tard je le vois rentrer dans son espèce de cabane. Je tends mon bras, je sais que je suis au-dessus du feu car je sens sa chaleur s'attaquer à ma peau. Sans perdre un instant de plus je déverse l'eau. Avec un crépitement, le feu fini par s'éteindre. Grâce à ma pupille blanche et à ma rétine rouge, je vois dans le noir et sous l'eau. Lui par contre ne doit pas voir grand-chose. De nouveau, je regarde dans sa direction. Il a disparu de mon champ de vison.
Zut ! Je m'avance, curieuse, mais il n'est pas là. Je m'avance encore plus et, je sens que l'on m'attrape les mains. Je me retourne et le voit, comme je suis accroupie je ne peux pas me servir de mes jambes pour me libérer. Je ne l'ai pas assez vu agir pour évaluer sa force mais il a l'avantage de m'avoir surprise. Il me fait signe de ne pas bouger et de me taire. Je plisse les yeux et esquisse un sourire. Je ne comptais pas crier. La forêt est un peu comme l'espace ; personne ne peut percevoir une voix en détresse ni savoir où vous êtes. Donc ça ne sert à rien de crier, à part vous montrer faible et dépendant des autres. Je ne suis pas frêle alors je me tais mais j'ai un peu peur de ce qu'il peut me faire. Il me pousse dans son abri et me fait asseoir dans le fond tout en me tenant encore les poignets. Calmement et suppliante pour ne pas me montrer agressive, je lui demande de me lâcher :
— Lâchez-moi... S'il vous plaît.
_ Hum... D'accord mais ne bouge pas ! dit-il de sa voix d'homme, après avoir hésité et froncé les sourcils.
_ Promis !
Après lui avoir dit ce simple mot, les traits de son beau visage se détendent. De mon côté je suis contente qu'il parle la Langue Universelle. Car j'ai une autre langue et je suis la seule à l'avoir apprise grâce à un vieux livre que j'avais trouvé en me baladant. Face à son peuple je serais la traductrice. Au moins on se comprend. Comme il fait sombre, il prend un bâton noir et presse l'index sur une petite alcôve, immédiatement après qu'il a relevé son doigt un grand faisceau lumineux apparaît et fonce sur mon visage. Instinctivement je replie mes jambes contre ma poitrine et rentre ma tête dans mes genoux.
— Oh, pardon !
Et il lève son bâton cracheur de lumière pour que je ne l'ai pas dans les yeux, mais de manière à ce qu'il me voit toujours. Je l'interroge :
_ Quel est ton histoire, pourquoi toi et ton peuple êtes vous ici ?
_ À condition que tu me racontes ton histoire après. Que je sache où je suis.
_ Marché conclu.
Annotations
Versions