Chapitre 8. Souvenirs.

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(Point de vue d'Evan.)

Ce jour-là, mon père bricolait dans l'appartement et même un voisin avait osé, vu les circonstances, venir se plaindre. Ma sœur, dans sa période rebelle, écoutait de la musique à tue-tête, plus pour nous embêter que pour couvrir le bruit des travaux. Ma mère, elle, était au téléphone et criait pour surenchérir à tout ce bruit. Sur un bout de papier, exaspéré par ce chahut, j’avais prévenu ma mère que je sortais lire dehors. Elle avait mis en suspens sa conversation et m’avait hurlé, pour que je l’entende, de rester juste à côté de la porte de l’immeuble, de faire très attention et de rentrer fissa, très vite, si je croisais quelqu’un ou entendais une alarme. Je souris, autant pour la rassurer qu'amusé de l'entendre dire de vieilles expression dont je ne comprenais pas toujours le sens.

Toutes ces précautions, c'est à cause de la guerre, même si elle ne faisait pas rage dans notre petite ville nichée au creux des montagnes du Massif Central. A cette époque, la végétation n’avait pas complètement disparu et le nuage noir n’était pas vraiment abouti. Un grand espace de nature était près de chez nous et s’il était encore là, c’est parce que se tapissait dessous un des centres de la CAMT, devenue unique station spatiale. S’il y avait eu des immeubles ils ne pourraient pas décoller.

J’étais donc descendu au rez-de-chaussée et avais poussé la lourde porte d’entrée. Je me rappelle qu’un grand vent m’avait ébouriffé les cheveux et avait refermé avec violence la porte. J’ai de nouveau souri. L’air frais même imprégné d’une odeur de cramé me manquait. Toujours enfermés dans un six pièces sans balcon. A cause d'un caprice de ma sœur, je m'étais retrouvé avec la plus petite chambre et, bien sûr, celle sans fenêtres. J'ai senti, dans le regard de mon père, le désir de me donner leur chambre, avec fenêtre et la plus grande, mais moi, comme lui, savait que leur lit deux places ne rentrerait pas dans la petite chambre. Je l'avais rassuré d'un sourire mais je m'étais efforcé de de refréner les larmes qui m'embuaient les yeux. S'ils n'avaient pas cédé à sa requête (forcée), Annabelle aurait fait exprès de mettre le bazar et déranger les voisins , un chantage sonore qu'elle adressait à ma mère jusqu'à ce que celle-ci accède à sa demande. Maëlle et Yannis, nos parents, auraient aimé vivre dans une maison avec un jardin, où leur fille n'aurait pas fait de caprices.

Mais ces choses là sont devenues rares et seuls les plus riches étaient capables de se les offrir. Nous n'avions pas les moyens. De plus, les affaires de ma mère ne marchaient pas très fort, ses livres étant peu vendus, surtout depuis la déclaration de guerre, il y a bientôt dix-huit ans. Mon père tenait alors une supérette qui, il y a trois ans, à été anéantie par un raid aérien. Il a perdu son emploi. S'il n'y avait pas eu cette bombe incendiaire, nous aurions eu un répit d'une semaine avant d'être expulsé de notre logement. Plusieurs familles avant nous l'avaient quitté, faute de moyens financiers. Nous aurions alors passé deux semaines dans la rue avant qu'une autre bombe, à nouveau, explose sur les ruines de notre ancien habitat. En même temps qu'une dizaine d'autres ne s'abattent sur la région. La CAMT (Centre Aérospatial Mondial Terrien), où j'étais, en a même tremblé et a subit quelques pannes.

J'avais dit à Enokiera que le jour où la bombe s'est écrasée, la Guerre à pris fin. Pourtant, d'autres bombes se sont abattues quelques semaines après. Ce sont simplement des bombes programmées par un camp adverse. Quelle ironie du destin ! Voir sa famille exterminée le jour même de la Paix. Bien entendu, il n'y a pas eu d'alarmes. Plus tard, dans un livre sur la Toute Première Guerre, l'auteur disait ; << on passe notre temps, sur le front, à guetter les obus tout en sachant que celle qui apporte notre trépas, on ne la verra pas. >> Cette phrase m'a marqué.

Ma sœur Annabelle était insupportablecar elle n’en pouvait plus d’être enfermée depuis toutes ces années. Mais c’était ma sœur et je l’aimais quand même. Elle m’avait privé de ma rêverie, en m’enfermant loin de l’air frais, loin de la lumière naturelle, loin de la clarté des étoiles, que nous voyons encore tant bien que mal. Tout cela, en décidant de prendre ma chambre et de me donner la plus nulle. Rêverie et inspiration héritées de ma mère et des livres. « Revenons à nos moutons » aurait-elle dit. Elle avait plein d’expressions qui n'avaient, pour moi, aucun sens.

Après avoir regardé aux alentours, je m’étais assis contre le mur, à l’ombre pour ne pas être vu. Plongé dans l’univers de mon livre, je n’avais pas entendu le bruit de l’avion et le largage des bombes. Je n’ai pas manqué la déflagration, ça c’est sûr. Je n'ai pas directement pensé à mon immeuble. Cependant, je me suis levé, inquiet. Il n'y avait rien aux alentours a part cette odeur de combustible. Et j'ai fini par lever les yeux.

Effroi. Destruction. Incendie. Destruction. Hurlements. Panique.

Certains sautaient pour retrouver en bas ce qu'ils cherchaient à fuir en haut. La plupart des gens n'ont simplement pas eu le temps de réagir. La fameuse voisine survivante est sortie du rez de chaussée quand elle a senti les murs trembler sous l'impact. Quelques secondes après, la construction s'effondrait sur elle même. En même temps un immense et effroyable nuage de poussière est apparu sur des mètres et des mètres. J'ai eu du mal à respirer. J'ai enlevé mon tee-shirt et m'en suis servi pour me protéger le visage. J'ai entendu la voisine tousser beaucoup. Je ne pouvais rien faire, je ne savais pas où elle était. Elle respirait bizarrement, avec une sorte de sifflement. Je me suis rappelé qu'elle était asthmatique, sans doute mon père qui avait dû parler avec elle pour avoir cette information. Brusquement, je n'ai plus rien entendu. Je ne suis pas devenu sourd, j'ai compris qu'elle était morte. J'ai avancé vers ce qui me semblait la droite, vers la CAMT. Ma mère m'avait appris que les plantes donnent de l'oxygène. Aveuglé par la poussière, sans espoir de savoir ma famille en vie, un livre sous le bras et torse nu, j'ai avancé. Et puis je me suis effondré.  


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