Chapitre 4

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En entrant dans la salle de bal, certains invités étaient déjà arrivés, comme les enfants. Quand l’un des soldats de la porte annonça notre arrivée, tous les regards se tournèrent vers nous.


— Vos Majestés.

— Bon anniversaire de mariage, vos Majestés.

— Merci, monsieur, madame, répondit Océane.


Océane resserra sa main autour de la mienne, se tourna vers moi avec un sourire avant de continuer à marcher jusqu’aux trônes. En nous voyant arrivées, Ben et Élise nous rejoignirent et s’assirent avec nous, sur leurs propres trônes.


— Tout va bien tous les deux ? les questionna Océane.

— La décoration est super belle, commenta Élise.

— C’est votre mère qui a eu cette idée, ajoutais-je.

— Ça se voit, enchaîna mon fils.

— Ben ! Ne commence pas, s’il te plaît, intervint Océane.

— Oh, c’est bon, soupira-t-il.

— Je vais aller chercher un verre, enchaînais-je.


Mon plus gros problème, c’était ça. Dès que la situation devenait trop compliquée à gérer dans l’immédiat, je fuyais. Et là encore, alors que Ben avait indirectement critiqué mes goûts décoratifs, j’avais inventé la pire excuse possible. La soif. Je fuyais le conflit et dans la famille, tout le monde le savait. Alors que je récupérais un verre de jus de pomme, l’une des plus grandes fortunes de l’Empire m’interpella. Cet homme était celui avec qui j’avais le moins envie de parler. Surtout en ce moment.


— Bonjour, Votre Majesté. Je ne vous dérange pas, j’espère ?

— J’ai toujours du temps pour vous, Monsieur Vincent.

— C’est bien aimable à vous. J’aurais une question à propos du Prince et de la Princesse.

— Je vous écoute, enchaînais-je déjà ennuyée.

— J’aimerais savoir dans quel collège souhaitez-vous les inscrire ?

— En quoi ça vous intéresse ? Vous voulez acheter leur futur établissement scolaire ?

— Tout à fait, Votre Majesté.

— Je ne peux vous répondre. Je ne connais pas moi-même la réponse.

— M’en informerez-vous quand vous aurez décidé ?

— Non.


Ne voulant discuter davantage, je pris un toast et m’éloignais. Mais il semblait déterminer à savoir, quitte à utiliser l’une de mes faiblesses.


— Vous tenez vraiment à faire comme votre mère ? À tenir le Prince et la Princesse éloignés de la politique ?


Cette fois, c’en été trop. Même les soldats avaient redressé leurs armes à l’évocation de ma mère. Monsieur Vincent avait fait partie du gouvernement de ma mère. Le jour où un diplomate m’avait appelée à l’aide, il était là. Le jour où on l’avait retrouvé mort, enterré avec d’autres diplomates, ses empreintes avaient été retrouvées sur le corps. Il ne le savait pas, mais je me souvenais de lui. Je me souvenais de son inaction quand ma mère me battait en public. Je me souvenais de son sourire machiavélique alors qu’il était satisfait de me voir plus misérable que jamais. J’aurais pu le faire condamner pour complicité, mais ne l’avais jamais fait. Rien ne m’empêchait de le faire aujourd’hui.


— Vous feriez mieux de partir avant qu’il ne soit trop tard.

— Serait-ce une menace ? tenta-t-il alors qu’un silence s’était installé.

— Exactement. Ne vous avisez, plus jamais, de parler d’une telle façon de ma famille. Me suis-je bien fait comprendre ?

— La situation est ironique. Il y a quelques années vous n’auriez jamais osé me parler ainsi. Alors qu’aujourd’hui…

— Je suis l’Impératrice. Partez ou je vous fais perdre tout avant que nous n’ayez le temps de prononcer le nom de cette femme.


J’avais beau enchaîner les menaces, rien ne semblait le faire défaillir. Se sentait-il surprotéger par sa fortune ? Il était certes le plus riche après l’Empire, mais tous ses achats ne faisaient que me mettre des bâtons dans les roues.


— Je me souviens d’une jeune fille incapable d’aligner trois mots et aujourd’hui vous me tenez tête. C’est incroyable comment vous avez évoluée, grandie.

— Arrêtez avant qu’il ne soit trop tard. Vous n’êtes pas intouchable. Soldat, montrez la sortie à Mr Vincent.


Deux soldats s’approchèrent et l’invitèrent à les suivre, le plus calmement possible.


— Elle penserait quoi, votre mère, en vous voyant aujourd’hui ? Serait-elle fière ou déçue ?

— Lieutenant ! Veuillez arrêter Mr Vincent pour complicité de meurtres, complicité de séquestration, non-assistance à personne en danger, complicité de dictature, dissimulation de meurtre, maltraitance morale sur une enfant, manipulation de l’opinion et des finances publiques pendant la dictature.

— Quoi ? Mais c’est…

— Je continue ? J’ai tout un dossier et une vingtaine de chefs d’inculpations contre vous. Je me souviens parfaitement du sourire de psychopathe que vous aviez quand ma mère me battait devant vous. Vous étiez l’un des plus hauts membres de son gouvernement. Si la peine de mort n’avait pas été abolie, tel aurait été votre sanction.

— Vous me le paierez ! s’écria-t-il alors qu’il été emmener. Je jure de me venger.


Un tel conflit, le seul dont je ne pouvais pas échapper. En tant qu’Impératrice, j’étais obligé de répondre aux provocations. Habituellement, j’avais du mal à rester calme quand il était question de ma mère. Mais aujourd’hui, j’avais réussi. Parce que c’était nos dix ans de mariage et l’anniversaire de mes enfants.


— Elena ? m’interpella Océane en posant sa main sur mon épaule.

— J’ai besoin d’aller prendre l’air.


Avant que les invités ne me voient exploser, je suis sortie et me rendis dans le jardin le plus loin possible. Une fois arrivée, je criais le plus fort possible tout en essayant de retenir mes larmes pour ne pas ruiner mon maquillage.


— Elena ? Tu veux parler ? m’interrogea Emma.

— C’est Océane qui t’a dit de me suivre ?

— Non, c’est Élise. Elle s’inquiète pour toi plus que tu ne le penses.

— Elle t’a dit quelque chose ?

— Rien que tu n’as besoin de savoir. C’est quoi cette histoire avec Mr Vincent ?

— Il voulait savoir où seraient Ben et Élise au collège pour acheter l’établissement. Mais j’ai refusé et il s’est attaqué à moi.

— Évoquer ta mère, c’était vicieux.

— J’ai essayé de l’avertir de ne pas aller trop loin, mais…

— Tu as fait ce qu’il fallait, Elena. À ce que j’ai compris, ça faisait un moment que d’autres fortunes voulaient l’évincer. Ils te remercieront d’avoir réussi.

— Je ne sais pas si le tribunal acceptera de le juger onze ans après les faits.

— C’est un tribunal exceptionnel, Elena. Il jugera encore même dans trente ans. C’est compréhensible que tu n’aies pas voulu le dénoncer plus tôt. C’est l’homme le plus riche de l’Empire.

— N’empêche que parler de ma mère, me comparer à elle… ça fait mal. Alors que je fais tout pour ne pas être comme elle…

— Ne le laisse pas t’atteindre. Tu es une femme et une mère formidable. Ne doute pas sans cesse de toi.

— J’essaie, chaque jour, mais ce n’est pas facile.

— Je sais. Prends ton temps si tu as besoin, mais ne tarde pas trop. Pour ne pas inquiéter tout le monde.

— Merci. Je vais revenir vite.


Emma me souriait avant de me laisser seule. J’avais la chance d’être bien entourée, et aimée. Que se soit avec Emma, Océane ou avec mes enfants.


— De quoi tu doutes cette fois-ci ? m’interrogea celle qui arrivait discrètement.

— Est-ce que j’ai bien fait de le faire arrêter ?

— Tu aurais fait quoi sinon ?

— Je crois que j’aurais été violente avec lui si je ne m’étais pas retenue.

— Et donc ?

— Il ne voulait pas arrêter, c’était la seule solution.

— Tu vois, tu y arrives très bien toute seule. Il te suffit de te poser les bonnes questions.

— Merci.


Elle, elle qui ne venait que quand j’avais besoin. Elle ne restait pas longtemps, mais juste assez pour m’aider. Je ne connaissais rien d’Elle. Ni son prénom, ni son âge, ni son visage. Je l’entendais, mais ne la voyait jamais. Rassurée, je retournais dans la salle de bal, redressant les épaules et ne levant la tête. En entrant, le sourire sur les visages de tout le monde me stupéfia.


— Qu’est-ce qu’il se passe ? questionnais-je Océane.

— Il semble que tous attendaient qu’il soit mis sur le carreau. Ce que tu as fait.

— Pourtant…

— Depuis quelques années, il voulait acheter tout la Capital. Les bâtiments qu’il a déjà achetés sont aujourd’hui en ruine.

— J’ai bien fait alors ?

— Oui, ne pense plus à ça et viens t’amuser.


Océane attrapa ma main et me tira jusqu’à la piste de danse. Ma femme et Elle avaient raison. Je ne me faisais pas assez confiance alors que j’agissais toujours dans le meilleur intérêt de tout le monde.


—————


Contrairement à sa mère qui ne cessait de s’inquiéter sur tout et rien, Ben, lui essayait d’attirer l’attention de la Princesse de Carandis. Luna, la plus grande des filles de Stephania était aussi de l’âge à Ben, ce qui bien sûr l’arrangeait.


— Votre Altesse, l’interpella Ben. Voudriez-vous bien m’accorder cette danse ?

— Je ne sais pas danser et je n’aime pas me ridiculiser, répondit Luna.

— Va danser, chérie. Ben est un garçon très attentionné, ajoute Stephania.

— Tout à fait, Votre Majesté. Je vous promets, Votre Altesse, que je me ridiculiserais avant vous, pour vous épargner cette peine.


Luna rigola discrètement à la remarque de Ben. Ce dernier rougit, mais détourna le regard. Cette technique avait fonctionné et il en était fier.


— Vous avez gagné, Prince. J’accepte de danser avec vous.

— Si vous voulez bien me suivre.


Comme il avait tant de fois vu ses mères faire, il lui tendit la main pour qu’elle puisse l’attraper. Il conduisit sa charmante partenaire jusqu’à la piste de danse. Ben était un bon danseur, ayant appris par Elena, mais, pour plaire à sa conquête, il fit le contraire de tout ce qu’il avait appris.


— Excusez-moi, je vous marche sur les pieds, chuchota Luna.

— Ce n’est rien, Votre Altesse, je ne fais pas mieux.

— Oh vraiment ? J’étais pourtant persuadé que vous étiez plus doué que moi.

— Je serais aussi doué qu’il vous conviendra. Souhaitez-vous une démonstration de mon si terrible don ?

— Je serais ravie de vous voir vous ridiculiser, rigola-t-elle.


Ben se détacha et commença à faire le pitre, faisant rire la charmante demoiselle. À côté de lui, Elena et Océane l’observaient tout en se retenant de rire.


— Je crois que ton fils flirte, chuchota Océane.

— Non, tu crois ? Avec Luna ? Il n’a que dix ans.

— Et alors ? Je suis sûr que toi aussi, à cet âge, tu aurais fait pareil si tu avais pu.

— Non, mon amour. Je t’aurais attendu toute ma vie.

— Tu me désespères, Elena.


Les deux femmes continuèrent de danser tout en évoquant un passé qui n’avait jamais eu lieu. Emma, quand elle à elle, ne cessait de faire des allers-retours entre la salle de bal et les cuisines. Elle devait s’assurer que les invités ne manquent de rien. Aujourd’hui, elle pouvait aussi compter sur Elsa et David. Deux jeunes qu’elle avait elle-même formées.


—————


Plus la soirée avançait, plus j’étais heureuse. Pour une fois, je ne pensais plus à tous les problèmes économiques, politiques et sociétaux que j’avais sur le dos, mais uniquement à ma famille et moi. Ma femme ne cessait de me regarder avec des yeux emplis d’amour et mes enfants s’amusaient. Peu avant le dessert, Océane m’embrassa furtivement avant de s’approcher du trône et de réclamer le silence. Ce qu’elle obtient rapidement.


— Merci à tous d’être venu aujourd’hui. Je sais que certains parmi vous, même si vous ne le direz jamais, vous ne me considérez toujours pas comme la mère de Benjamin et Élise. Je sais que, pour vous, je suis une usurpatrice. Mais aujourd’hui, ça met égale. Parce que j’aime mes enfants, j’aime Elena, j’aime ma famille. Elena, je sais que tu te poses beaucoup sur toi, sur qui tu es, depuis plusieurs années et je serais toujours à tes côtés, ma vieille.

— Mais quelle tarée, celle-là, enchaînais-je.

— Je t’aime ! ajouta-t-elle après m’avoir entendu.

— Moi non plus, rigolais-je, entraînant tout le monde avec moi.

— Tu me désespères Elena. Ben, Élise, vous êtes des enfants adorable et incroyable. Continuez de briller, d’exceller et je continuerais d’être fière de vous. Mais ne grandissez pas trop vite, s’il vous plaît. Ben, mon chéri, tout ce que je te demande, c’est de faire un effort avec ta mère. Tu peux faire ça pour moi ?

— Je vais essayer.

— Merci mon grand. Joyeux anniversaire à tous les deux. Joyeux anniversaire de mariage, mon amour.


Les larmes aux yeux, je rejoignis ma femme et l’embrassais, heureuse.


— Je t’aime aussi, mon amour. Merci de m’avoir libérée de ma mère il y a un peu plus de onze ans. Merci de m’avoir permis de vivre. Merci de m’avoir permis d’être la femme que je suis aujourd’hui.

— Je serais toujours là pour toi, Elena, toujours, enchaîna-t-elle en me prenant dans ses bras. J’ai fini mon discours, vous pouvez remettre la musique et apporter le gâteau ainsi que les cadeaux.


Peu de temps après, Emma, Elsa et David amenèrent le gâteau jusque sur le buffet. Pour garder la surprise jusqu’au bout, nous avions laissé l’emballage carton tout autour. Océane se tourna vers moi avec un sourire et glissa sa main dans la mienne. Avant qu’Emma ne fasse l’erreur de présenter le gâteau elle-même, on s’approcha pour l’en empêcher. Ce gâteau, nous y avions mis tout notre cœur pour le faire et finalement, il semblait convenir à tout le monde. Il était même aussi bon que nous l’avions imaginé.

Dès que les premières parts du gâteau furent servies, ce fut au tour des cadeaux. Les invités en avaient pour les enfants, mais aussi pour Océane et moi. En même temps, nous avions décidé de fêter les deux événements, en même temps, pour une bonne raison. Ce n’était pas tous les jours qu’il y avait ce type de bal et de fête au château, mais c’était réussi et tout le monde semblait heureux. Même Ben, qui ne souriait que rarement en ma présence, rigolait avec sa sœur et avec Luna.

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