Chapitre 20

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Cela faisait désormais deux semaines que j’étais chez Corine. Deux semaines que je tremblais au moindre bruit. Alors que j’étais seule à la maison, Corine étant sortie faire des courses. Je descendis dans le salon prendre un verre d’eau. Après m’être rafraîchi, j’approchais de la porte et posais la main gauche, tremblante, sur la poignée. Je devais sortir, prendre l’air, sentir le soleil sur ma peau, je voulais sortir. Mais je n’y parvenais pas. J’étais resté enfermé depuis l’annonce de la mort d’Estelle. Ma main restait bloquée, ma respiration aussi. Je restais une dizaine de minutes comme ça avant de parvenir à ouvrir la porte. Les bruits assourdissants me firent immédiatement reculer mais le vent dans mes cheveux me permit de mieux respirer. Par étape, j’avançais. Un pas après l’autre. Je finis par sentir l’herbe sous mes pieds nus puis les gravillons.


— Elena ? Ça ne va pas ?


Corine venait de rentrer, les bras chargés de courses qu’elle posa avant de s’approcher de moi.


— J’avais besoin de sortir.

— Pieds nus ? Attends-moi. Je range les courses et on sort ensemble.


Je m’assis sur le banc et fermais les yeux. Laissant le vent chatouiller mes cheveux et le soleil caresser ma peau. Je ne vis pas le temps passer et sursautais quand Corine posa sa main sur mon épaule.


— Excuse-moi. Je ne voulais pas te faire peur.

— Tu n’y es pour rien.

— C’est un grand pas que tu viens de faire ma grande. Tu as réussi à sortir de la maison alors que tu es encore à fleur de peau.

— Je n’aime pas être enfermée.

— J’ai pris tes chaussures. Tu veux marcher un peu ?

— Je ne veux pas t’embêter.

— Tu ne m’embêtes pas. Je suis là pour veiller sur toi.

— Je veux bien alors.

— On ira à ton rythme.


Ne pouvant moi-même mettre mes chaussures, Corine s’agenouilla et le fit à ma place. Elle me tendit ensuite sa main que je pris pour m’aider à me relever. J’avançais doucement tout en essayant de cacher les tremblements de ma main. Corine le remarqua à glissa ses doigts entre les miens tout en souriant. Quand je dépassais le portail de la propriété, j’aperçus les dizaines de soldats qui protégeaient la maison et m’immobilisaient. L’image des soldats de la grande salle me revient en mémoire et les larmes reprirent.


— Regarde-moi, Elena, ajouta Corine en se plaçant devant moi. Tout va bien, ils vont bien, tu vas bien. Inspire et expire calmement.

— Je… je n’y arrive pas… ils…


Le souvenir encore frais dans ma mémoire me bloqua la respiration. Mes jambes étaient incapables de bouger et tout mon corps tremblait de plus belle.


— On va s’arrêter là, un pas à la fois. Rentrons.


Entraîné par Corine, je pus rentrer dans la maison où je m’assis sur le canapé pour me recroqueviller. Elle posa une couverture sur mes épaules, s’assit à côté de moi et m’obligea à poser ma tête sur ses genoux.


— Quel est ton plus beau souvenir ? Chuchota-t-elle en caressant mes cheveux.

— Mon mariage.

— Dans ce cas, ferme les yeux. Remémore-toi ton entrée dans la salle du trône. La musique, les odeurs, ce sentiment de bien être dans ton cœur. Maintenant tu avances le long du tapis rouge, tous les invités te sourient et te saluent. Plus tu avances, plus tu peux découvrir la robe d’Océane.

— Elle était vraiment magnifique, soufflais-je.


Les battements de mon cœur ralentissaient enfin. Ma respiration était revenue à la normale. Depuis deux semaines, Corine avait toujours réussi à trouver comment me faire revenir au calme. Elle était celle qui, actuellement, comptait le plus pour moi. Si elle n’avait pas été là, je n’aurais jamais pu sortir de mon lit et encore moins sortir de la maison. Elle était celle grâce à qui, petit à petit, je me retrouvais.


— Tu as fait d’énormes progrès en deux semaines, ma grande. Tu peux être fière de toi.

— J’aimerais pouvoir faire plus. Pouvoir prendre mes enfants dans mes bras sans voir… sans le voir en eux.

— Ça va venir. Chaque chose en son temps. Et ils comprennent ne t’en fait pas pour ça. Et puis Ben a déjà eu droit à son calin alors ça lui va.

— Je me sens si minable, si inutile et faible, avouais-je en pleure.

— Ce n’est pas vrai, Elena. Tu es forte, tu vas réussir à remonter la pente.

— Pourquoi je n’y arrive pas alors ?

— Tu es encore traumatisée par ce qu’il s’est passé et c’est normal. Ils ne t’ont pas ménagé. Mais c’est fini, c’est du passé maintenant. Tu m’as déjà dit non mais voir un psychologue te ferait du bien. Je fais ce que je peux mais je ne peux pas faire plus.

— Non.

— C’est lui qui viendrait, comme ton chirurgien.


Je ne pouvais m’y résoudre. Je ne pouvais accepter d’être si mal en point qu’il me fallait forcément une aide extérieure pour me relever.


— Je te laisse encore une semaine avant de ne plus te laisser le choix. Ça te va ?

— Oui, merci.


Quand on frappa à la porte, je sursautais et ramenais les genoux contre ma poitrine. Corine me déplaça délicatement pour aller ouvrir et laissa entrer le chirurgien. Celui qui avait dû opérer mon épaule pour la remettre en place. Quand je fus rassurée, je m’assis sur le canapé et essuyais mes larmes.


— Comment ça va depuis la semaine dernière ? me questionna-t-il.

— J’ai toujours aussi mal.

— Vous arrivez à bouger les doigts ?

— Non.

— Mais vous ressentez la douleur.

— Oui.

— Si vous me permettez, je vais aller regarder votre épaule et votre cicatrice.

— Faites.


Le plus délicatement possible, il retira l’écharpe et fit de même avec mon tee-shirt. Le moindre déplacement m’irradiait le bras jusque dans le bout des doigts. Le bras replié contre ma poitrine, il examina le bleu qui recouvrait l’épaule ainsi que la cicatrice, encore à vif. Il changea le bandage et m’aida à tout remettre.


— Ça cicatrise bien et l’hématome semble se résorber petit à petit. C’est en bonne voie.

— Pendant combien de temps encore ?

— Je vous l’ai dit dès le début. Minimum quatre mois d’immobilisation, voir plus. Ce n’était pas une blessure ordinaire que vous aviez. Vous auriez pu perdre l’usage de votre bras à peu de chose près. Soyez patiente.

— Merci Docteur.

— Je vais renouveler votre ordonnance et ajouter quelques vitamines. Vous semblez en avoir besoin.


Tandis qu’il réglait tout avec Corine, comme depuis le début, je remontais dans la chambre et m’allongeais dans le lit. Ça faisait deux jours que j’avais autorisés en Océane à dormir avec moi et son parfum avait déjà envahi toute la pièce. Allongé sur le côté gauche, sous la couverture, sa chemise de nuit dans la main, je réussis à fermer les yeux et à m’endormir quelques heures. À mon réveil, Océane travaillais, assise au bureau. Quand elle m’entendit remuer. Elle posa son stylo et s’assit sur le lit.


— Tu as une petite mine chérie, commenta-t-elle.

— Je suis fatiguée.

— C’est la morphine ça.

— Et pourtant j’ai l’impression que ça n’a aucun effet.

— Tu veux aller te rafraîchir ? Je te fais couler un bain avant qu’on aille manger ?

— Je veux bien oui.


Océane était la seule à pouvoir m’accompagner dans la salle de bain, étant ma femme. Pourtant, je redoutais à chaque fois de me déshabiller devant elle. Que ce soit à cause de mon épaule ou de mes côtes fêlées, j’avais des bleus partout et n’aimais pas qu’elle puisse les voir. Pendant que l’eau chaude commençait à remplir la baignade, elle me récupéra des affaires propres et m’invita à la suivre. Le plus délicatement et attentionné possible, elle m’aida à me déshabiller et à m’installer dans la baignoire, tout en faisant attention à ne pas bouger mon bras, ni à cogner mon épaule. Dès que je fus bien installé, elle commença par me laver les cheveux. L’eau chaude qui coulait sur mon épaule était apaisante, bien plus que la morphine.


— Je suis retournée au château aujourd’hui. Tout a été nettoyé et réparé. Certains soldats ont repris leur poste, rassurés de te savoir en vie. Quant aux plus grands blessés, j’ai fait mettre en place une allocation importante qui leur sera versée tous les mois.

— Tu as bien fait.

— Je me suis dit que c’est ce que tu auras fait.

— Corine m’a dit pour ta sortie.

— Oui. J’ai voulu sortir de la maison, prendre l’air mais j’ai paniqué en apercevant les soldats. Je ne savais pas qu’ils étaient là.

— J’ai fait renforcer la protection de la maison et la tienne surtout, c’est vrai. J’aurais dû t’en parler mais je me suis dit que ça n’allait faire qu’empirer ton mal être.

— Tu as eu raison de ne rien me dire.


Tant bien que mal, je terminais de me savonner avant qu’Océane ne m’aide à me rincer puis à sortir de la baignoire. Toujours avec la même délicatesse. Elle m’aida à me rhabiller.


— Tant qu’on est là, que toutes les deux, est-ce qu’il y aurait quelque chose que tu voudrais me dire ? me questionna-t-elle en séchant mes cheveux.

— Est-ce que… comment vont les parents de Kaitlyn ?

— Pour être honnête avec toi, ça ne va pas fort. Elle était leur fille unique.

— Je les comprends.

— Est-ce que tu voudrais leur parler ? Je pourrais les faire venir ici. Ça te ferait du bien, je pense. De les entendre te dire que ce n’est pas de ta faute et qu’ils ne t’en veulent pas.

— Pourquoi pas. Même si je ne suis pas sûr d’arriver à leur parler.

— J’organiserais ça alors.


Une fois mes cheveux secs, on descendit dans le salon pour dîner. Malgré l’avance de mon fils et nos déclarations mutuelles, je n’arrivais pas à le regarder dans les yeux. Lui, comme ma fille. Quand je les regardais, je revoyais Marc. Ses yeux chez Elise, la couleur de ses cheveux chez Ben.

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