Chapitre 33
Depuis que nous étions rentrés au château, depuis qu’Océane avait réorganisé ma charge de travail, je me sentais plus allégée. Désormais, je faisais ce que je voulais, quand je voulais. Je n’avais plus aucune pression. Le matin, je nageais avec Élise et Ben. Ou plutôt, je restais là où j’avais pied avec Elise et Ben lisait sur la berge. L’après-midi, j’aidais Ben dans ses recherches de géographie, je jouais avec Elise dans la cour et quand j’en avais envie, je faisais un peu de comptabilité. Aujourd’hui, j’avais rendez-vous avec mon médecin. Il étudia mon épaule et sa mobilité puis remis l’écharpe satisfaite.
— Vous guérissez plus vite depuis votre retour. Continuez à prendre ainsi soin de vous.
— Merci Docteur.
— Je reviendrai le mois prochain. Vous pourrez commencer la rééducation.
Il renouvela alors mon ordonnance de médicament. Je retournais ensuite dans le bureau, où j’aperçus ma femme, la tête au-dessus de la cuvette des toilettes. Je ne pus retenir mon rire et relevant ses cheveux.
— C’est ça, moque-toi, bouda-t-elle.
— Tu veux que je demande à Emma son thé spécial nausées ?
— Il fonctionne vraiment ?
— Oui. J’en ai bu toute ma grossesse, je te rappelle.
— Et qu’est-ce qu’on dit à Emma ?
— Que c’est pour toi ? proposa-t-elle en s’essuyant la bouche. À cause de tes médicaments ?
— Ça me va. Mais après on va à la clinique vérifier si tu es bien enceinte.
— Je conduis pas ! Oh non, je vais encore vomir.
Océane remarqua que je rigolais à nouveau. Dès qu’elle en a eu l’occasion, elle se redressa pour me donner un coup de poing sur mon épaule valide. Je ne savais pas quoi elle passait. Et pour une fois, j’étais contente. Dès que ses nausées cessèrent, je la laissais se préparer en allant demander la recette secrète d’Emma. Nous avions décidé de cacher notre projet, je voulais pouvoir aider ma femme sans devoir tout lui révéler. Elle hésita, suspicieuse avant d’accepter et de m’en faire une tasse.
— Tu ne veux vraiment rien me dire ?
— Ce sont mes médicaments, ça me retourne l’estomac.
— Mais bien sûr. Si jamais, Bianca passe son permis la semaine prochaine.
— Pourquoi tu me dis ça ?
— Je ne sais pas, au cas où toi et Océane aurais besoin de ses services.
— Merci. Bon je file.
La tasse dans les mains, je me dépêchais de retrouver Océane. Après l’avoir bu, elle dut avouer que la recette spéciale d’Emma était vraiment efficace. L’un de nos soldats accepta de nous conduire à la clinique en respectant le secret impérial que nous venions de lui confier. Océane ne pouvais pas conduire dans cet état et je n’avais pas le permis, n’ayant jamais voulu le passer. Pourtant, une fois sur place, Océane ne voulut pas que je vienne avec elle. Acceptant sa décision, j’attendis dans la salle d’attente. Quand elle revint une vingtaine de minutes plus tard, elle avait les larmes aux yeux. Je me levais et la pris aussitôt dans mes bras.
— Ça n’a pas fonctionné ? la questionnais-je.
— Si, mais… ce n’est rien. Ça à fonctionner, c’est tout ce qui compte.
— Ça ne te fait pas plaisir ?
— Si bien sûr. Ce sont les hormones, c’est tout.
— Tu me le dirais s’il y avait un problème.
— Oui. Tout va bien, mon amour. On peut rentrer.
Elle m’embrassa et s’écha ses larmes. Elle me cachait quelque chose, mais je ne voulais pas la brusquer. Je savais mieux quel que les hormones, ça pourrait être traitre. Je glissais ma main dans la sienne. De retour au château, Océane partie immédiatement travailler. Contrairement à moi, elle n’avait pas de temps. Pourtant, je voulais rester auprès d’elle, au cas où. Je m’installais à mon bureau et triais quelques factures. Rapidement, je me perdis dans mes pensées. Je jouais avec mon stylo quand une phrase me revint immédiatement en mémoire. « Elle avait peur de te faire mal, elle appelait sa gouvernante au secours au moindre pleure. » Maria m’avait dit ça en parlant de ma mère, durant ses moments de lucidité. Il y avait dont une personne qui m’avait connu enfant, qui m’avait élevée avec ma mère encore lucide. Sachant pertinemment ce que j’avais à faire, je posais mon stylo et me levais rapidement, faisait sursauter Océane. Mais je partis avant de lui laisser le temps de me questionner. D’un pas rapide, je retrouvais Emma dans son bureau, en compagnie de Bianca.
— Qui était la gouvernante de ma mère ? Questionnais-je à peine l’entrée, les faisant toutes les deux sursauter.
— Je te demande pardon ?
— Quand j’étais bébé, tu sais qui était la gouvernante de ma mère ?
— Non, mais je peux retrouver son identité dans les archives. Mais pourquoi ne pas demander directement à ton père ?
— Non. Trouve son identité.
— Elena, s’inquiéta-t-elle, qu’est-ce qu’il se passe encore ?
— Bon très bien. Maria m’a dit que quand ma mère était dans ses moments de lucidité, elle n’était pas du tout à l’aise avec moi et demandait de l’aide à sa gouvernante.
— Elle a connu celle que tu aurais aimé connaître. Je comprends. Tu as cinq minutes ?
— J’ai tout mon temps.
— Je vais te trouver son dossier rapidement.
— Merci Emma. Merci beaucoup.
Pendant plusieurs minutes, je vis Emma chercher dans plusieurs tiroirs et dans plusieurs dossiers, jusqu’à trouver le bon. Elle l’étudia un instant, avant de me le tendre.
— Elle s’appelle Sophie Pilars. Sa dernière adresse connue, c’était à Glenharm, avant qu’elle ne soit au service de ta mère. Elle semble n’avoir aucune famille. Je ne peux pas t’aider plus.
— C’est suffisant, merci, Emma.
— Si tu as besoin de quoi que ce soit d’autre, tu me demandes. Je suis certaine qu’il y a encore des domestiques qui la connaissaient.
— Je sais à qui demander pour avoir d’autres informations. Tu m’as déjà beaucoup aidé.
Dossier sous le bras, je rejoignis le Capitaine dans son bureau pour qu’il retrouve sa trace. Après de longues recherches sur le site regroupant toutes les personnes vivant dans l’Empire, il parvint à me donner une adresse. Elle habitait dans un village campagnard, à une heure de voiture du château. Une fois sur place, les soldats qui m’avaient accompagné s’éloignèrent légèrement. Quand une femme d’une cinquantaine d’années m’ouvrit, je cachais mes doigts pour qu’elle ne les voie pas trembler.
— Je peux vous aider ? m’accueillit-elle sur la défensive.
— Vous êtes bien Madame Sophie Pilars ?
— Qui le demande ?
— Je crois que vous avez connu Julie Stinley ? Personnellement je veux dire.
— Je ne veux plus jamais entendre parler de cette femme ! s’énerva-t-elle avant de claquer la porte.
Les soldats voulurent intervenir, mais je les en empêchai. Doucement, je toquais à nouveau. Comprenant qu’elle n’ouvrirait plus, je décidais de parler à travers la porte.
— Ce n’est pas elle qui m’envoie. Vous n’avez rien à craindre, Madame, elle est morte.
— Allez-vous-en ! J’ai vu les soldats impériaux.
— Ils sont là uniquement pour moi. Je veux juste discuter avec vous.
— Je ne veux pas parler de ce monstre !
— Comme vous voulez. Pourrait-on parler de sa fille dans ce cas ?
La porte s’ouvrit alors sur un visage doux et apaisant. La peur avait disparu aussi rapidement qu’elle était arrivée.
— Comment connaissez-vous Elena ?
— Oui. Je peux entrer ?
Libérant enfin le passage, je pus découvrir une maison chaleureuse, mais ridiculement petite. Ce qui attira mon attention fut une photo de Sophie, ma mère jeune et d’un bébé. Moi probablement.
— Ne touchez à rien, me stoppa-t-elle.
— Excusez-moi.
— Qui êtes-vous ? me questionna-t-elle en s’asseyant à table.
— Océane Luisard, mentis-je. Je suis la femme d’Elena.
— Elle s’est mariée ? Julie là autorisée ?
— Vous ne saviez pas ? Elena est pourtant au pouvoir depuis une dizaine d’années.
— Je n’ai ni la télévision ni la radio. Je vis recluse ici depuis… Je n’arrive pas à y croire. Elle avait à peine quatre ans la dernière fois que je l’ai vu.
— Vous étiez la gouvernante de Julie Stinley, n’est-ce pas ?
— D’Elena pour être exact. Officiellement, j’étais la gouvernante du château. Officieusement, je ne m’occupais que de la petite.
— Pourquoi ?
— Parce qu’elle avait besoin d’une mère, tous simplement. Julie n’était pratiquement jamais elle-même et repoussait sa fille. Mais quand elle redevenait elle, c’était juste une mère apeurée et incompétente. Quand elle était lucide, elle faisait tout pour protéger Elena, mais c’était compliqué.
— Elle n’était pas la mère idéale, j’en conviens. Puis-je vous demander pourquoi vous être partie ?
— Je ne pouvais plus supporter les sautes d’humeur de Julie. Mais si j’avais pu, je serais partie avec la petite et c’est mon plus grand regret.
— Je crains de ne pas comprendre.
Cette femme en savait plus que je ne le pensais. Elle connaissait une partie de ma vie, dont elle était la seule à pouvoir m’en parler. Toute ma petite enfance, dont je ne savais absolument rien. Elle m’invita à m’asseoir à table et me servit un verre d’eau.
— Julie a sombré petit à petit. Même son mari n’a pas su la retenir. Quand il a disparu, ou plutôt, quand il a rejoint sa belle-mère, je lui ai promis de prendre soin de sa fille, en attendant que la jeune Emma puisse prendre ma place. Mais je l’ai abandonnée à son sort, seule.
— Quand êtes-vous partie ?
— Quand elle avait quatre ans. J’ai rompu ma promesse et je crains, chaque jour, qu’elle ne me retrouve et me le fasse payer. Elle ou son père.
— Elle n’est pas comme ça, rassurez-vous.
— C’est pour ça que je me suis isolée à la campagne et que j’ai réagi ainsi à votre arrivée.
En réalité, Sophie n’était qu’une victime supplémentaire de ma mère. Une femme qui l’avait connu avant son mariage avec mon père, avant ma naissance. Une femme qui m’avait vu grandir, qui avait vu ma mère sombrer dans la folie, comme Emma allait le faire aujourd’hui avec moi. Elle était celle qui avait joué le rôle de mère, quand la mienne n’en était plus capable, avant d’être remplacée par Emma, quelques années plus tard.
— Sachez que tant que j’étais là, j’ai élevé Elena comme ma propre fille. Comme celle que je n’ai jamais pu avoir. Si vous êtes venu me voir, c’est qu’elle me cherche, je suppose.
— En effet.
— Comment as-tu su qui j’étais ?
— Maria. C’est elle qui a parlé de vous.
— Elle est en contact avec sa grand-mère ? J’ai du mal à imaginer qu’elle ait autant grandi.
— Elle est devenue Impératrice, en effet. C’est aussi une épouse et une mère.
— Vous avez des enfants, ensemble ?
— Benjamin et Élise, oui. Ils ont tous les deux dix ans.
— Elle doit être devenue une femme remarquable, malgré ce qu’elle a vécu.
— C’est ce qu’on dit.
Dans ma poche, je sentis mon téléphone vibrer. C’était Océane qui m’appelait, il était déjà dix-sept heures et j’étais partie subitement, sans la prévenir. Après m’être excusée auprès de Sophie, je sortis pour répondre à ma femme.
— Tout va bien ? Tu es où ? Ça fait plusieurs heures que je n’ai pas de tes nouvelles.
— Excuse-moi, chérie. J’ai retrouvé la gouvernante de ma mère. Je suis allé la voir.
— Tu aurais dû me le dire, je serais venue avec toi. Ce n’était pas une bonne idée de te laisser découvrir tout ça toute seule.
— Tout va bien Océ, vraiment.
— Tu comptes rentrer à quelle heure ?
— Je ne sais pas encore, j’en tiendrais informé. Vous pouvez diner sans moi.
— Fait attention mon amour.
— Mais oui. Je t’aime.
Je raccrochais et rentrais dans la maison. Pourtant, Sophie me regardait différemment, m’étudiant de la tête au pied.
— Vous avez entendu n’est-ce pas ?
— Pourquoi ne pas m’avoir directement dit que vous étiez Elena ? s’agaça-t-elle.
— Auriez-vous réagi différemment ?
— Bien sûr !
— Et c’est justement ça que je voulais éviter. Je voulais que vous soyez honnête et pour avoir votre vraie version des faits. J’ai vécu toute ma vie dans le mensonge et je lutte chaque jour contre ça.
— Je comprends. Vous… est-ce que je peux te tutoyer ?
— Bien sûr.
— J’ai des photos. Je suis partie avec par peur que ta mère ne les détruise, pour effacer mon existence de ta vie. Tu veux les voir ?
— Avec plaisir.
Elle sortit d’un tiroir plusieurs albums photo. Je reconnus la jeune femme de la photo de l’entrée. Le bébé, c’était bien moi. Elle avait gardé toutes les photos de ma naissance à mes quatre ans, le jour de son départ. Ce qui expliquait que je n’ai jamais pu les retrouver. Il y avait même des photos avec mon père. Mes parents semblaient si heureux à ce moment-là, quand ma mère n’était pas encore trop affectée par sa maladie.
— La veille de sa disparition, ma mère était redevenue elle-même, avouais-je.
— Comment ça ?
— J’ai toujours connu une mère violente, qui m’ignorait. Mais ce jour-là, c’était génial. On est sortie en ville ensemble, pour la première fois. Elle m’a offert des bijoux, on a mangé au restaurant. Elle m’a même autorisé à dormir avec elle et elle m’a dit qu’elle m’aimait. Elle a disparu dans la nuit, en ne laissant qu’une lettre où elle s’excusait, son certificat d’abdication et la couronne.
— Est-elle vraiment morte ?
— J’en ai reçu une autre plus tard qui me fait penser que oui, mais en réalité, je n’en ai aucune idée. J’espère que oui, pour tout le mal qu’elle m’a fait, mais en même temps, je ne peux m’y résoudre. Parce que j’ai eu la chance de connaitre qui elle était vraiment.
— Je suis entrée à son service dès son mariage avec ton père. Elle n’était pas du tout malade à ce moment-là. C’était une femme très amoureuse et très attentionnée. Que ce soit envers ton père ou les domestiques à leur service. Elle a eu pas mal de difficultés à tomber enceinte. Alors que tu es née, tu étais son petit ange, venu tout droit du ciel. Mais sa maladie avait déjà commencé. Je l’ai vu dépérir petit à petit, impuissante. Tout ce que je pouvais faire, c’était te mettre en sécurité quand elle n’était plus capable de raisonner correctement. J’ai fait tout ce que j’ai pu, en vain.
— Non, ce n’était pas en vain. Même si je ne m’en souviens pas, grâce à vous, j’ai pu avoir un début de vie normale, en étant aimée. Je voulais vous rencontrer pour savoir, pas pour vous reprocher quoi que soit. Mon père habite loin et je n’ai que peu de contact avec lui. Corine, la mère d’Emma répond à mes questions, mais elle a un point de vue extérieur.
On continua à discuter pendant encore une heure. En apprendre plus sur moi me permis de mon comprendre un peu mieux. Mais surtout, de comprendre ma mère et comment elle était arrivée à devenir la dictatrice que j’avais toujours connue. Je savais maintenant ce que je ne devais pas faire pour ne pas devenir comme elle.
— Je suis ravie de t’avoir rencontré et d’avoir pu découvrir la femme que tu es devenue.
— Merci. Je vais devoir rentrer avant que ma femme ne me tape sur les doigts. Mais ce serait avec plaisir de vous accueillir au château, de pouvoir vous présenter ma famille et de plus discuter.
— J’y réfléchirais.
— Merci de m’avoir reçu et d’avoir répondu à mes questions.
— Faite attention en rentrant.
Tous les albums photos sous le bras, je rentrais au château, un baume sur le cœur. En apprendre plus sur ma mère me permit de lui pardonner un peu plus ses actions. J’avais besoin de ce pardon, car je savais qu’un jour, je risquais de devenir comme elle.
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