Bleu

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—On commença par parler de mythologie grecque et maintenant on parle des couleurs que prennent nos yeux dans la pénombre, dit-elle avec un ton amusé.

Je ne sais pas si ce qui suit est un rire. Je rapproche le téléphone à mon oreille. Quelqu’un fracasse du verre là-bas.

—Oui, c’est bellement beau, les conversations qui tournent en boucle. En une boucle bien fermée. Finie mais en fait infinie. Infiniment finie.

Est-ce qu’elle peut entendre dans ma voix un manque sempiternel de sommeil ?

Est-ce que le vide qui me démange lui pique les oreilles ?

—A quoi réfléchis-tu ?

Une question qui sent l’ennui.

—Je t’ennuie ?

—Réponds.

Je sais qu’elle est sur le point de raccrocher. Furieux, je me remets sur mon séant et je regarde le chaos que présente ma chambre.

—Rien.

Elle ricane.

—C’est bizarre. Tu penses toujours à quelque chose.

Je hausse les épaules. La musique se répand et habite tous les coins de l’appartement.

—Je dois partir.

—Juste une seconde.

Je respire. Je respire encore.

—Ce n’est pas la première fois.

Je suis sur le point de raccrocher avec une moue agacée quand elle siffla :

—.. Que nous avons cette conversation.

Je ris. Misérable et sinistre plainte qui sort de ma gorge.

—Non. Tu ne comprends pas.

Je crois entendre un hululement qui se transforme en sanglots. Et puis…

—Maman ?

Des voix s’entremêlent. Je me trouve soudain au milieu d’une lumière aveuglante, étranglé par des langues agitées telles des vipères.

—Arrête, murmuré-je en déchirant leur peau rose.

Je m’attends à ce que du sang m’arrose. Je me trouve couvert d’un liquide bleu tiède. Un bleu éblouissant, hypnotisant.

—J’aime le bleu. J’adore le bleu.

Le son échoie dans le vide. Je suis en fait dans le vide. Mais le vide est aussi dans mes cavités. Il me pénètre et m’imprègne d’un bleu avide.

Je tombe sans cesse. Je tombe, je tombe et ma tête heurte quelque chose. Cette chose se peint d’un bleu vif. Je heurte encore une autre chose et elle prend un bleu ciel. Et puis un bleu marin. Des nuances différentes d’une même couleur. Un arc-en-ciel de bleu. C’est époustouflant mais abominable. C’est un art mais un crime.

Il semble que je tombe dans un tunnel infini. C’est un tunnel transparent. Je peux très bien voir les gens dehors. Je les reconnais tous. Ceux de mon enfance, de mon adolescence. Ceux que je n’ai jamais eux le temps de parler avec, ou bien ceux que j’évitais pendant la récréation de primaire. Parce que j’avais peur de laisser ma vraie couleur apparaître.

Le bleu.

J’avais peur d'être aperçu, dansant dans cette robe bleue au clair d'un chant que seul moi entendait.

Je ne porte jamais de robe que pour les occasions. Les belles occasions. Je n'avais jamais vit une. Jusqu’à avec elle. Jusqu’à ce moment.

—Tu es sûr ?

On me touche. Une main est tendue vers moi. Elle luit d’un éclat, d’une couleur que je ne peux pas reconnaître.

Je prie dans mon for intérieur que ça soit du bleu.

Je hoche la tête.

—Je ne peux pas.

—Regarde-moi.

—Je ne te verrai pas.

Elle rit.

Et je ne sais pas encore si c’est un rire ou un fracas de verre.

—N’aie pas peur.

—J’ai peur. C’est inévitable. Tu ne m’aides pas.

Je la vois soupirer et je l’entends s’asseoir.

—Je ne veux pas t’aider. Je veux m’aider.

Je ne peux pas discerner ses mouvements de ses émotions. Car ils sont tous stridents et mettent mon coeur à palpiter follement.

—Je suis égoïste.

—Nous le sommes tous.

Je me demande quelle est la couleur de ses yeux.

—Je te l’ai déjà dite.

Je souris.

—Bleu.

—C’est bizarre.

Les vagues de son océan déferlent et m’engloutissent. Ils sont bleus, âprement bleu.

Mais un bleu qui ne ressemble pas au mien.

En fait, il lui ressemble. Il lui ressemble terriblement. Mais je m’écris avec fureur que ce n’est pas vrai. Personne ne peut avoir mon bleu. C’est mon bleu à moi et ceci n’a aucun sens.

Non, je suis juste en train de halluciner. Peut être je devrais me mettre au lit.

Ma tête repose sur le canapé et mes doigts pressent mes tempes.

—Tout ça n’a pas de sens.

—J’ai l’impression qu’on est dans un rêve commun.

La radio balbutie encore des mots incohérents.

—C’est terrible, ce que je ressens.

Elle se passe la main sur le visage avec un désespoir flagrant.

—Quoi ?

—Rien. Je ne ressens rien. Je ne pense à rien.

Elle est encore sur le point de raccrocher.

—Dis, quelle est la couleur de la robe que tu portes ?

Je ris.

—Je ne porte pas de robe.

Avant de mettre fin à notre conversation, et de lui donner une autre chance de renaître dans un nouveau monde, un monde parallèle où j’aimerais peut-être le rouge sanglant, le jaune flamboyant, le vert paisible mais jamais le bleu avide, je m’écris avec toutes mes forces :

—Bleu. Bleu est la couleur de ma robe.

Mais en le hurlant, je me rends compte que le bleu est la couleur de mon âme, non pas de ma robe.

—Bleu est la couleur de mes yeux, dit-elle avant de raccrocher.

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BleuChapitre1 message | 5 mois

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