Mostro

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Elle attendait sur le bas côté depuis un quart d'heure. La bise glacée s'engouffrait sous son trench-coat, lui arrachant des frissons convulsifs.

Flavia n'avait pas arrêté un plan précis pour conquérir le Boss, mais comme il la tenait en piètre estime, elle avait décidé de tenter de le surprendre. Une rafale lui asséna une gifle soudaine. La jeune fille était si menue qu'elle aurait pu s'abattre sur le bitume, mais elle tint bon. Son esprit était fixé sur toute autre chose, la morsure du froid ne l'émut pas. Cependant, une nouvelle bourrasque souleva un pan de la longue veste, dévoilant ses cuisses nues, jusqu'au pubis blond. Réflexivement, elle rabattit l'épais tissu de coton. Ce geste n'avait aucun sens... comme si elle s'inquiétait du regard des passants...

Il y en avait peu en cette heure avancée de la nuit, mais un homme s'était figé sur le trottoir opposé ébahi de la vision fugace qui avait happé son attention. Un éclat de chair blanche fendant l'obscurité bien mieux que la lumière aveugle des lampadaires.

L'homme se tourna tout à fait vers la jeune fille, la dévisageant sans gêne. Il avait vu, sans aucun doute, et cela l'avait émoustillé. Dans la pénombre, ses yeux semblaient briller d'un féroce éclat, réveillant en lui le prédateur tapi, contenu par les normes de la société, mais qui n'attend que son heure pour bondir.

Habituée à louvoyer en milieu hostile, Flavia avait senti la menace. Les circonstances lui étaient défavorables, seule dans cette rue désertée. Et Dieu seul savait quand le Consigliere arriverait pour la délivrer de ce regard scrutateur, dont l'insistance malsaine lui soulevait le coeur de gêne.

Elle soupira, serrant les dents et les poings de concert. C'était le soir où il fallait faire preuve d'audace et de force de caractère. Si elle était incapable de se défaire d'un pervers de bas étage, elle ne serait pas de taille à affronter le boss. Pour se débarrasser de l'importun, il ne fallait pas compter sur la force, et la ruse lui faisait aussi défaut. Il ne lui restait plus que son courage.

Elle prit une grande respiration.

" Ça te plait de mater, sale pervers ? Tu veux en voir davantage ?" s'époumona-t-elle à l'attention de son encombrant spectateur.

Le hurlement sembla se répercuter de loin en loin sur les hautes bâtisses de la rue. L'homme en resta paralysé de stupeur, les yeux écarquillés, le corps agité d'un sursaut de recul.

Puis le silence s'imposa à nouveau. De longues minutes s'écoulèrent dans cette atmosphère pesante, avant qu'il ne se reprenne.

Alors qu'il amorçait un geste dans sa direction, une lumière s'alluma à la fenêtre d'un appartement au premier étage, juste derrière la jeune fille. Celle-ci l'aperçut en même temps que lui et fit mine d'inspirer profondément afin de le défier à nouveau. Elle n'en eut pas le temps car il tourna immédiatement les talons et disparut dans une ruelle adjacente.

Elle soupira bruyamment, soulagée d'être délivrée de cette présence oppressante. La victoire avait été facile cette fois, mais l'adversaire était bien insignifiant. Elle goûta une seconde la quiétude retrouvée, caressée par un souffle d'air frais. Cette sensation l'apaisa instantanément, s'instillant par tous les pores de sa peau frémissante. Cependant, un vrombissement au loin lui fit lever la tête. Le bruit du moteur ronflant remplit rapidement la ruelle jusqu'à se ce que la Levante se poste devant elle.

Quel accueil le Consigliere allait-il lui réserver ? songea-t-elle en attendant que la portière s'ouvre. Lui tiendrait-il toujours rancune d'avoir évincé Maddalena ?

Mais la vitre côté conducteur s'abaissa, coupant court à ses conjectures.

Contre toute attente, le visage grimaçant de Giorgio se dévoila à ses yeux, hostile comme à son habitude. Comment, lui ? Seulement lui ? Un mouvement de recul la prit, mais elle tendit ses muscles pour ne pas se laisser aller. Il était trop tard néanmoins pour dissimuler sa consternation. D'ailleurs, l'homme la toisa de ses pupilles étrécies, la scrutant, savourant les signes de la déconvenue qui se lisait sur les traits de la jeune fille.

— Tu espérais quoi, au juste ? Monte vite, troia ! On ne fait pas attendre le chef ! aboya-t-il brusquement en sa direction.

Mais la jeune fille demeurait figée, telle une statue de sel. Ainsi, elle se retrouverait seule avec son pire ennemi, totalement à sa merci, c'était comme se jeter dans la gueule du loup que d'obtempérer maintenant.

Malgré tout cela, avait-elle encore le choix ? Elle était protégée par son statut, espérait-elle. Elle se rua dans le véhicule, fébrile, alors que les petits yeux mesquins la suivaient de leur haine féroce dans le rétroviseur.

En prenant place sur la confortable banquette, elle déplora l'absence de son protecteur. Il lui avait tourné le dos, et elle demeurait seule pour faire face à Dieu sait quoi.

Pourquoi le Boss sollicitait-il à nouveau sa présence ? La destinait-il à son amusement personnel, ou la livrerait-il à d'autres invités ? Absorbée dans ces questions, le voyage passa en un éclair. Même l'attention incessante dont elle faisait l'objet ne la détournait pas de ces réflexions.

Un éclair de lumière froide trancha le voile qui occultait la perception de ce qui l'entourait.

Les néons du sous-sol, en la rappelant brutalement à la réalité, lui infligèrent un mouvement de panique. Elle aurait dû profiter du temps de trajet pour mettre au point un plan, ou au moins une ligne de conduite.

Que faire ? Que faire ? Noyée dans ces interrogations, elle n'avait pas vu défiler les avenues que les froides morsures du libeccio avaient vidées. Jouer à la femme fatale ? Tenter d'attendrir la bête ? Se contenter de fermer les yeux en attendant qu'il prenne tout ce qu'il voulait en espérant que feindre la soumission suffirait ?

La seconde suivante, la porte s'ouvrait sur une Flavia désemparée qui n'avait toujours pas arrêté de stratégie pour arriver à ses fins.

Tant pis, elle agirait d'instinct, il aimait les femmes-objets, il avait certainement apprécié sa capacité à endurer les pires humiliations, il lui fallait compter là-dessus.

Alors qu'elle se dirigeait vers leur lieu de rencontre habituel, son escorte la poussa subitement dans une salle latérale, un vestibule flanqué de deux portes en acajou.

— Il est là, il t'attend ! indiqua l'homme de main à mi-voix avant de tourner les talons.

La jeune fille était désormais au pied du mur. Machinalement, sa main se porta au collier que le Boss lui avait imposé. C'était évident pourtant, la réponse était là sous son nez. Une chienne, un être servile, voilà ce qu'il attendait d'elle. Et c'est ce qu'il aurait.

Il était là, trônant à son habitude dans un luxueux fauteuil club, installé dans la pénombre d'une pièce qu'elle ne connaissait pas. Un grand lit en tenait le centre, faiblement éclairé par une suspension minimaliste.

Le tout était d'une froideur et d'un dénuement d'hôpital. Sans réellement discerner les yeux du maître des lieux, enfoncés dans les cavités du masque, Flavia pressentit l'examen impitoyable dont elle faisait l'objet.

Le regard fixé au sol, Flavia prit une grande inspiration et s'agenouilla sans attendre, dans la posture qu'elle voulut la plus servile possible.

— Tu es encore habillée ? fut tout l'accueil qu'elle reçut.

L'ordre était clair, elle obtempéra promptement, se défaisant avec rapidité du trench qui constituait tout son vêtement. Un ricanement moqueur s'arracha du masque blanc.

— Tu avais devancé mes désirs ? J'aime ça. concéda-t-il sur le même ton railleur. Voyons de quelle manière tu pourras me contenter.

Viens ici, petite chienne, intima-t-il en esquissant un geste d'invite vers elle. Un geste élégant, ne put s'empêcher de remarquer Flavia, malgré le stress intense qu'elle ressentait au contact de ce dangereux prédateur.

Cela la frappait maintenant, la distinction dont faisait preuve le Boss. Comment cela avait-il pu lui échapper ? Son écrasante arrogance et ses manières empreintes de dédain confirmaient qu'il provenait d'une classe élevée de la société, ou tout du moins qu'il avait des prétentions à y appartenir. Il fallait à tout prix qu'elle approche la haute société romaine, elle en avait le pressentiment... non la certitude. C'était là où il gravitait, c'était là où elle le trouverait. Démasqué.

Mais pour l'heure, il lui fallait monter à l'assaut du monstre qui lui faisait face, ou tout du moins l'amadouer. Peut-être juste survivre à cette soirée-là... la sombre lueur qui sourdait des trous du masque n'augurait rien de bon. Un sifflement mauvais en fusa.

— Je t'ai préparé un harnachement, tu seras peut-être ma jument de selle, ce soir, je vais te dompter jusqu'à ce que tu chérisses le mors que je vais te poser. À toi de jouer, ma chienne.

Un éclat métallique attira l'attention de Flavia sur sa gauche. Sur un plateau argenté étaient disposés divers instruments, avec un soin presque chirurgical. Des chaînes emboutées de pinces, une longue roulette hérissée de piquants, et même des aiguilles

Cette sordide mise en scène infusa en elle un malaise, comme si elle sentait la froidure de l'acier sur sa peau. Cependant, elle ne laisserait rien filtrer, avait-elle décidé.

D'un geste résolu, elle se saisit des chaînes. Le cuisant souvenir de la précédente soirée passée avec son cruel maître s'était imprimé dans sa mémoire d'une manière trop précise pour qu'elle en ait oublié l'usage.

Pour le reste, elle ne voulait pas en découvrir l'utilisation. Elle épuiserait l'imagination sadique du Boss avant même qu'il ne songe à s'en servir.

La pression impitoyable des dents ciselées sur ses tétons ramena son attention vers ce qu'elle faisait, cela lui coupa presque le souffle, mais la douleur devint rapidement tolérable, cependant, sur le clitoris, elle mit beaucoup plus de temps à s'estomper.

C'en était presque agréable, d'ailleurs, et sa peau se para d'une fine soie de sueur. Elle se tortilla pour ne plus y penser, c'en était quand même inconfortable, même passé l'éclair qui la traversa jusqu'aux entrailles lorsqu'elle posa la pince.

Un ricanement sourd se fit entendre. Il était satisfait ? Bien, c'était à elle de jouer, avant qu'il ne pense à étrenner les aiguilles sur elle.

Elle s'avança vers l'impassible masque, tentant de se faire féline pour l'envoûter, au son du cliquetis des chaînes. L'opération de séduction avait commencé.

Le charme opérait-il ? Elle n'aurait su le dire, mais les paupières s'étaient plissées imperceptiblement.

— À genoux ! trancha pourtant la voix, alors qu'une main peu amène attrapait les chaînes pour la tirer à lui.

La peau se tendit à en craquer, lui sembla-t-il, réveillant la morsure des pinces. Une décharge brûlante électrisa ses pointes sensibles mais elle ne broncha pas. Il aurait été hors de question de concéder à son ennemi la moindre velléité de victoire. Et puis, peut-être que la douleur n'était plus insoutenable, qu'elle en devenait presque délectable. Elle ne hâta donc pas sa pavane, se mordant la lèvre en fixant les prunelles flamboyantes.

Le zip d'une fermeture éclair annonça la suite, et un sexe long et noueux comme un serpent se déroula sous ses yeux, pendant, à demi flasque. La comparaison la fit frémir mais c'était le moment de faire ses preuves. Le masque se penchait d'ailleurs vers elle, l'examinant, circonspect.

Faisant abstraction de l'odeur âcre qui se dégageait du reptile de chair, elle goba d'emblée le gland, l'aspirant goulûment, comme pour en extraire la sève, avant d'initier un lent mouvement de va-et-vient.

Un profond soupir lui indiqua que la première impression devait lui être favorable.

Après avoir longuement flatté toute la longueur du membre de ses baisers humide, sa langue entama le chemin tracé par les larges veines gonflées de plaisir.

Il lui sembla que le sexe grossissait encore au fur et à mesure de ses pérégrinations, il palpitait maintenant entre ses lèvres et la respiration qui émanait du masque se hachait. Elle était donc sur la bonne voie.

Subitement, elle l'avala d'un coup, en entier, jusqu'à la glotte, réprimant le reflux qui lui souleva le coeur. Une inspiration rauque faillit lui faire lever la tête mais elle poursuivit donc de plus en plus fort, de plus en plus loin, jusqu'à presque en vomir.

La bave inondait son menton, ruisselait le long de sa gorge mais elle ne s'en souciait pas car il lui semblait que le sexe dans sa bouche était pris de spasmes. Espacés d'abord, puis de plus en plus en rapprochés. Elle accéléra le mouvement, léchant, suçant, flattant les bourses velues de sa main libre.

Le membre cognait contre la glotte inexorablement, lui arrachant parfois des gargouillis étouffés. L'envie de vomir n'avait plus d'importance, le sexe se redressait à une cadence endiablée.

La délivrance était proche, et peut-être que la jouissance comblerait suffisamment son maître pour qu'il la laisse tranquille. En effet, dans une exultation bruyante, un flot de sperme gicla au fond de sa bouche, la noyant dans son goût amer.

Une dernière fois, elle parvint à se contraindre et en but jusqu'à la dernière goutte en feignant la savourer.

Pour dissimuler le discret hoquet qui l'avait prise, elle garda le membre dans sa bouche jusqu'à ce qu'il se ramollisse, le tétant doucement, nettoyant avec application les dernières traces de semence. En faisant cela, sacrilège ! elle priait que la cruauté du monstre mollisse aussi.

— Ha, c'était une pipe de professionnelle que tu m'as fait là, railla le masque, légèrement essoufflé.

Tu m'as satisfait, c'est bien... J'avais pourtant prévu autre chose pour toi, c'est dommage...

À ces mots, Flavia dissimula un soupir de soulagement : elle avait bien calculé son coup, elle pourrait s'en sortir sans trop de mal.

— Je crois que je vais quand même te montrer quelques-uns des instruments que j'ai préparés pour toi, reprit-il, d'un ton doucereux. À moi de m'occuper de toi.

Allez, allonge-toi sur le lit, asséna-t-il en tirant brutalement les chaînes pour qu'elle gagne le lit.

Assommée par la déclaration, Flavia s'exécuta assez maladroitement, mais s'en voulut immédiatement de cette faiblesse. Elle s'allongea donc en exagérant l'assurance.

Elle ne broncha donc pas quand, se penchant sur elle, il balaya son visage de son haleine tiède, avant d'emprisonner ses poignets dans des menottes fixées aux coins du lit.

La proximité du visage du Boss, qui la surplombait toujours si près... trop près, la flamme tranchante de deux prunelles d'obsidienne, et la rigide froidure de l'acier sur ses poignets lui impulsèrent un irrépressible mouvement de recul.

Étourdiment, elle tenta de se recroqueviller pour se protéger de la convoitise du prédateur mais une poigne de fer lui coupa le souffle, enfonçant de longs ongles dans sa gorge, faisant taire un flot de regrets d'avoir concédé ce bref moment de faiblesse.

— Qu'est-ce que tu crois faire, là ? tonna le mafieux.

— Rien, je... hasarda péniblement l'étudiante avec ce qui lui restait d'oxygène.

— Tu crois que je t'ai choisie pour quelle raison, à ton avis ? Ta beauté ? Ta brillante intelligence ? Tu es aussi plate et fade qu'une gamine ! Tu n'as même pas l'avantage d'être décorative comme Maddalena. D'ailleurs, tu n'hériteras d'aucun de ses avantages, tu ne mérites rien.

Flavia était aussi assommée de ces paroles humiliantes que du manque d'air qui lui faisait désormais bourdonner les oreilles.

La tenaille se desserra enfin sur son cou et elle inspira avidement pour retrouver ses esprits. Une question fusa, qu'elle regretta aussitôt. Après tout, que lui importait ?

— Mais pourquoi alors...

— Parce que tu es une putain de salope masochiste sous ton visage innocent, que tu as l'air d'encaisser comme personne et que je sais qu'avec toi, je vais pouvoir débrider mon imagination ! Et toi, tu vas aimer ça parce que je sais que la douleur te fait jouir, éructa l'homme.

À son corps défendant, Flavia sentit tout son corps se crisper sous le coup de cette effroyable annonce.

— Tu as peur ? Bien, ça ne me déplaît pas, j'ai toujours savouré la terreur que j'inspire. Mais ça aussi, tu vas l'adorer. Je te le garantis, c'est en toi. L'humiliation aussi, je parie que ça va te plaire... Tu vas être mon grand oeuvre. Oh je vais te souiller, l'ange, tu vas voir !

Puis retrouvant son calme, il conclut en ramenant à lui le plateau chirurgical.

Allez, on va s'y mettre. J'ai un emploi du temps chargé demain et ça ne va pas se faire tout seul.

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