Scène 4
Le bateau n’est plus qu’un souvenir. En s’enfonçant dans l’eau salée, il n’a laissé derrière lui que quelques bagages qui ne flotteront plus très longtemps et le poney du défunt grand-père. Tous les compagnons de naufrage tentent de se rejoindre pour ne pas boire la tasse, étreints d’une angoisse variable.
CARMEN. L’eau est moins froide que je ne le craignais !
MATEO. Maman, on va tous mourir !
CARMEN. Accroche-toi mon petit, viens près de moi. Je suis une très bonne nageuse.
ESTEBAN. Agrippez-vous au poney.
MARIA. Avec les fusées de détresse que tu as lancées, on va venir à notre secours rapidement.
CARMEN. Si seulement il avait réussi à les faire fonctionner !
JUAN. Elles étaient complètement humides. Ce n’est pas de sa faute.
MARIA. Et la caution, il va la garder le loueur, puisqu’on ne peut plus rendre le bateau !
CARMEN. Ma pauvre fille, un bateau qui coule aussi vite au milieu de la Méditerranée, tu trouves cela normal ? Essayons de faire monter Matéo sur le poney, qu’il ne prenne pas froid trop vite.
JUAN. Moi aussi, je commence à avoir froid.
ESTEBAN. Faites des mouvements, avec les jambes et les bras, comme si vous nagiez. Alma, tu ne bouges pas assez.
JUAN. Moi aussi je voudrais monter sur le poney.
CARMEN. On a tous une bonne raison de monter sur ce poney !
JUAN. Il y a tellement de bateaux là-bas, ils vont nous voir…
MATEO. Jamais plus je ne monterai sur un bateau. Papa, maman, vous m’entendez !
CARMEN. Dans les années quatre-vingt-dix avec pépé, nous avons embarqué sur un voilier avec des amis. En quittant la marina, la mer était plutôt calme, tout se passait à merveille. Plus tard dans l’après-midi, le vent s’est levé, une bourrasque a cassé net le mat. Plus de voile ! Nous étions la proie des vagues ! Il y avait un petit moteur, juste ce qu’il faut pour rentrer au port lorsque l’on est tout proche de la côte. Mais nous étions trop loin ! Nous avons eu de la chance, des plaisanciers avaient vu notre mat tomber à l’eau et sont arrivés près de nous.
MARIA. Je ne comprends pas, il avait l’air en bon état, pourquoi a-t-il coulé si vite ?
MATEO. Est-ce qu’il y a des requins ici ?
CARMEN. Au moins avec des fusées de détresse, nous serions déjà repérés…
ESTEBAN. J’ai fait ce que j’ai pu, c’était de la malchance.
CARMEN. Et rater le permis c’était de la malchance ?
ESTEBAN. Toujours à t’occuper de ce qui ne te regarde pas.
CARMEN. Je te rappelle que j’ai avancé l’argent.
ESTEBAN. Si j’avais pu payer moi-même je l’aurais fait.
MARIA. Vous n’allez pas vous disputer, ce n’est pas le moment !
JUAN. (Poussant de grands cris et agitant les bras). Un bateau ! Un bateau ! Eh oh ! Nous sommes là ! Aidez-nous !
Une vedette des garde-côtes s’approchait d’eux lentement, un homme sur le pont leur lançait des bouées de sauvetage. Quelques minutes plus tard, ils étaient tous à bords, enveloppés dans des couvertures de survie. Le poney dodelinait de la tête, posé sur le pont arrière.
CARMEN. Finalement tu ne t’en sors pas si mal, Esteban.
ESTEBAN. En un sens, oui, nous sommes tous sains et saufs.
CARMEN. C’est n’est pas ce que je voulais dire !
ESTEBAN. Quoi ?
CARMEN. Le loueur ne saura jamais ce que nous étions en train de faire. Toutefois, un bateau, ça ne coule pas de cette manière, à moins d’être un rafiot de troisième zone. Je ne m’explique pas ce qui s’est passé.
ESTEBAN. Je n’y suis pour rien.
MARIA. Merci maman.
CARMEN. Je ne comprends pas.
MARIA. Sans le poney de pépé, nous serions peut-être tous noyés.
CARMEN. Il est bon d’être têtue parfois !
MARIA. Surtout contre les autres…
Noir.
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