Le chant des oiseaux s’est soudain arrêté. La tension est palpable. Les deux garçons marchent côte à côte sans se parler. Celui aux boucles brunes se retourne comme s’il allait dire quelque chose, puis se ravise. Encore quelques pas. Le silence commence à peser. Le poing vole, le nez craque, le sang gicle.

***

Aurore faisait les cent pas. Elle se trouvait dans la clairière, face à la souche qu’elle avait vu en rêve, le cerveau en ébullition. Elle avait fait le tour des environs et avait pu récolter une touffe de poils dorés, accrochés à l’écorce d’un arbre. Ce ne sont que des poils de lapin, calme-toi, s’intima-t-elle intérieurement. Mais la découverte des traces de pattes dans l’humus avait fait vaciller ses certitudes. Les empreintes étaient certes effacées, mais on distinguait clairement les orteils griffus. Pas de doute, il s’agissait bien d’une patte de loup, malgré le fait que la taille ne corresponde pas. En effet, la patte avait presque les dimensions de sa paume, attestant de la taille colossale de son propriétaire. Aucun loup ne pouvait être si gros…

Elle revint sur ses pas, pour rejoindre sa voiture car la nuit commençait à tomber. Elle entendit un hurlement au loin, ce qui lui fit accélérer le pas. Tous ses poils s’étaient hérissés et elle eut soudain une peur tordante au ventre. Son échine se raidit lorsqu’elle aperçut enfin sa Fiat 500. Elle parcourut les derniers mètres en courant et s’enferma dans l’habitacle. Un deuxième hurlement résonna dans la nuit. Depuis quand il y a des loups dans cette putain de forêt ? Aurore était au bord de la panique. Elle serra instinctivement son collier entre ses doigts moites, jusqu’à s’en faire blanchir les phalanges. Tout son corps lui ordonnait de fuir au plus vite, sans qu’elle sache ce qui la menaçait. Ses sens lui envoyaient des signaux confus et elle avait du mal à faire le tri dans toutes ses informations.

Soudain, un énorme loup sorti des bois, juste en face d’elle. Elle senti sa vessie se contracter et les parois de la voiture lui parurent tout à coup très fragiles. Son cœur tapait fort dans sa poitrine, au point de l’empêcher d’entendre quoique ce soit d’autre. Le loup gigantesque huma l’air de son museau brun et tourna la tête dans sa direction. Lorsque leur regard se croisèrent, Aurore eut le souffle coupé tant les yeux rouge sang du fauve étaient perçants et remplis d’une rage meurtrière. Elle tremblait comme une feuille et ne savait pas quoi faire, car son cerveau était aux abonnés absents. Le loup s’approcha de la voiture d’une démarche fluide, faisant rouler ses muscles compacts sous sa fourrure dense. Aurore cru s’évanouir lorsqu’il s’arrêta au niveau de la portière conducteur, regardant toujours droit devant lui, en direction de l’arrière de la voiture. La jeune fille avait désormais les mains crispées sur le volant, murmurant une prière silencieuse, les yeux fixés sur le parebrise. Le loup tourna lentement la tête, qui se retrouva à hauteur de la vitre, son souffle formant de la buée sur celle-ci. Un couinement échappa de la gorge d’Aurore. Dans une secousse violente, le loup posa sa patte sur la vitre et la jeune fille cru son heure arrivée. Le fauve laissa cependant lentement glisser sa patte monstrueuse, formant une trainée effrayante dans la buée, avant de repartir par-là d’où il était venu.

Aurore resta interdite pendant dix bonnes minutes avant que la tension dans ses muscles ne se relâche. Elle s’était mordu la lèvre jusqu’au sang et essuya d’un revers de manche le liquide visqueux, ne s’étonnant plus de la guérison instantanée de la blessure. Elle tourna la tête vers la vitre et observa la trace laissée par le monstre. Elle posa sa paume dessus et compara les tailles. Celle-ci était plus grosse que l’empreinte retrouvée dans la forêt. Aurore fut pris d’un frisson et eut soudain envie de vomir. Elle ouvrit la portière et relâcha le contenu de son estomac sur le goudron. Il y en a deux, pensa-t-elle horrifiée.