12.
« Nikita ! Gabriel ! A table ! Votre parrain est là ! » Le gâteau au chocolat trône sur la nappe vichy jaune et blanche. Les deux garçons s’assoient sur les chaises beaucoup trop hautes, le sourire aux lèvres, le même que celui de leur mère. « Aaah ! Marko ! Enfin ! »
***
Le loup vert citron se roula dans la boue. Son pelage désormais souillé ne se fondait toujours pas dans le paysage certes verdoyant d’Irlande. Non loin de là, une falaise surplombait une mer calme d’un gris bleuté. L’air iodée chatouillait les narines du fauve l’empêchant de flairer sa proie. Il baissa le museau au niveau du sol et se concentra sur les odeurs qui s’y trouvaient. Deux lièvres et un cerf, voilà qui ferait un bon repas. La bête s’élança gracieusement, optant pour le cerf. Après quelques foulées, elle l’aperçut. Elle se tapit dans l’herbe et avança avec précaution. L’oreille gauche du cerf se plaqua en arrière, en direction d’un bruit suspect, puis l’animal détala au galop. A ses trousses, le petit loup au pelage fluo, courait ventre à terre. Au bout de quelques minutes, le cerf était acculé à la falaise. Pris au piège, il regardait dans tous les sens à la recherche d’une issue de secours. Le prédateur de délecta de ce regard de détresse. Pas à pas, il se rapprocha de sa proie terrifiée, se léchant les babines. Deux jours qu’il n’avait pas mangé ! Deux jours qu’il errait dans la campagne sans réussir à chasser une seule proie, même pas un vulgaire rongeur ! Parfois, c'était dur de ne pas avoir de meute... Il fut tout de même content d'être un loup solitaire car cela signifiait qu'il n'aurait pas à partager son festin. Il salivait d’impatience de sentir la viande encore chaude sous ses crocs, le sang de sa proie dégoulinant le long de ses babines lorsqu’il viendrait arracher les muscles charnus des cuisses… Quel délice ! Mais avant, le fauve voulait s’offrir un dernier petit plaisir. D’un seul coup, sous les yeux ébahis du cerf, le loup disparut. Se croyant hors de danger, l’animal pris son élan et bondit. Il fut stoppé net par une masse invisible qui le déséquilibra. Se retrouvant à terre, la pauvre bête avait beau se débattre, elle ne put empêcher une mâchoire puissante se refermer sur sa jugulaire, qui fut sectionnée dans une gerbe de sang.
Du haut de son phare, l’homme sentait l’excitation remplir ses veines. Devant lui venait de se produire un combat magnifique. Il contemplait désormais, un museau lupin, éclaboussé de sang, qui semblait flotter dans le vide, privé de corps. L’homme ajusta le viseur de son fusil. Le loup réapparaissait petit à petit. Il vit tout d’abord la queue se matérialiser de nulle part, puis les pattes et enfin le reste du corps. Ce loup avait une couleur bien étrange… Son contact lui avait assuré qu’il était de couleur violette, mais ce fauve-là arborait une toison d’un vert flashy, désagréable à l’œil. Etrange… Mais peu importait, vert ou violet, ce loup serait son prochain trophée. Il tira.
Occupée à dévorer son repas, la bête ne remarqua pas tout de suite la seringue tranquillisante plantée dans la terre à quelques centimètres de son museau. En revanche, l’odeur âcre de la drogue irrita ses narines et la fit éternuer. Paniquée, elle recula d’un bond et abandonna son festin sans hésitation. Ses pattes se mettaient en mouvement d’elles-mêmes dans un galop éreintant. Fuir. Encore fuir. Toujours fuir. C’était son quotidien. C’était ce qu’elle faisait de mieux. C'est ce qu'elle avait fait toute sa vie.
L’homme n’y croyait pas. Il avait raté sa cible ! Lui ! Rater ce spécimen unique ! Impossible. Il dévalait les marches du phare à s’en donner le tournis. Il fallait faire vite, sinon le loup allait lui échapper ! Heureusement, cela faisait une semaine qu’il le traquait, et il avait déjà une petite idée de là où il comptait aller se terrer. Sa respiration devenue saccadée, il continua sa course une fois sur la terre ferme, le fusil à l’épaule. Il dépassa le cadavre encore chaud du cerf et continua en sprintant en direction du petit bosquet de feuillus. Arrivé à la lisière, il s’arrêta pour reprendre son souffle.
Proie. De prédateur, il était devenu proie et il détestait cette sensation si familière. Le loup était tapi derrière un gros rocher couvert de mousse. Son invisibilité lui assurait un moment de répit et lui permettait surtout d’observer son agresseur. C’était un homme assez grand, de carrure imposante. Il portait une veste de cuir déchirée par endroits et un pantalon kaki aux multiples poches. Ses bottes avaient laissées de profondes empreintes dans le sol humide et des traces de boue décoraient ses mollets. Il était immobile, son fusil bien calé contre son épaule. Il semblait réfléchir. Le loup n’osait pas bouger de peur de trahir sa présence. L’homme farfouilla dans l’une de ses poches et en sorti une paire de lunette. Une fois posée sur son nez, il regarda les alentours, serein. Le loup avait un mauvais pressentiment. Il avait déjà vu ce genre de lunettes et il portait encore la cicatrice de la balle d’argent qui l’avait effleuré le jour où un chasseur lui avait tiré dessus. Ce jour-là, il s’était rendu invisible, mais le chasseur avait réussi à viser correctement. Le loup n’avait échappé à la mort que par un heureux hasard – un lapin avait surgit d’un buisson, faisant sursauter le tireur qui avait alors manqué sa cible. Ce jour-là, le chasseur portait lui aussi ce genre de lunettes et le loup ne voulait pas miser sa survie sur un deuxième coup de chance. Ainsi, il cessa d’être invisible et bondit sur l’homme.
La vision polarisée imposée par les lunettes était désagréable, mais l’homme était prêt à tout pour atteindre son but. Il inspecta les environs d’un regard circulaire, mais rien. C’est alors qu’il la vit, cette légère ondulation dans l’air, comme un grésillement visuel. D’un seul coup, le loup vert réapparu, les griffes aiguisées sorties, prêtes à déchiqueter, griffer, tuer. L’homme effectua une roulade sur le côté et évita l’assaut du fauve. La bête, surprise que son attaque n’ait pas eu raison de son agresseur, atterrit lourdement dans un tas de feuilles en décomposition. Le temps de reprendre ses esprits, l’homme l’avait déjà en joue. Cette fois, le tir fit mouche, et l’animal d’écroula dans l’humus. Emerveillé, le chasseur observa la transformation de sa victime. Petit à petit, le loup laissa place à une jeune fille chétive, les cheveux décolorés couleur vert citron, le corps couvert de cicatrices : scarifications et piqûres ainsi qu'une trace circulaire, comme un impact de balle. L’homme s’approcha et caressa avec convoitise les cheveux ébouriffés de son otage. Il sortit un carnet de son blouson et pris le stylo qui dépassait de sa poche gauche. Il barra avec soin le dernier nom de la liste.
David Serian
Mattia Azzuro
Lou McField
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