30.
La seringue se brise après le deuxième rebond. Cette fois, c’est la bonne ! Des poils apparaissent sur son corps. Il sent sa peau changer de forme, les cellules se réarranger. Sa mâchoire se disloque, s’allonge. Des dents acérées poussent et viennent entailler ses lèvres encore humaines. Puis il s’évanouit. Sa tête heurte le sol dans un bruit sourd. Le loup prisonnier fonce une énième fois contre les barreaux, essayant en vain de les briser. Au moment de l’impact, il disparaît. Il réapparait quelque secondes plus tard, boitant, la patte antérieur plié dans un angle improbable. Il hurle à la lune alors que sa patte se soigne dans un craquement sinistre.
***
Marko s'approcha de la clairière où l'attendait déjà le fauve. Les souvenirs ressurgirent comme un ras de marée. Tant d'années qu'il attendait. Tant de souffrance, tant de haine, tant de dégoût. La vengeance était là, à porter de main, pourtant Marko semblait hésiter. Il n'osait pas y croire. Ce soir, il mettrait fin à son calvaire en accomplissant sa mission. Pour Elle, pour la vie qu'Elle n'avait pas pu vivre. L'animal patientait calmement, assis sur ses pattes arrières. Dans un instant suspendu interminable les deux adversaires se fixèrent du regard, leurs yeux rouges respectifs brillant de la même détermination.
Marko attaqua le premier, d'un bond preste et calculé. L'autre loup dont la fourrure brune se fondait dans le décors, campa sur ses positions, ses griffes plantées dans la terre meuble, attendant l'impact. Les deux masses de muscles se rencontrèrent dans une onde de choc qui fit trembler le sol. Les deux fauves roulèrent dans l'humus, se couvrant de boue et de feuilles. Leur roulade se prolongea sans qu'aucun des deux ne prennent le dessus. Puis le loup gris-bleu immobilisa son ennemi dans un craquement sinistre. La fracture ouverte laissa s'écouler du sang qui se mélangea à la terre en une bouillie visqueuse répugnante. On ne distingait plus les deux animaux tant ils étaient fusionnés dans un amas de poils et de sang. La plaie béante d'où l'os brisé s'échappait, commençait déjà à se refermer. Marko visa la jugulaire du loup brun, ses crocs brillant d'un blanc presque phosphorescent dans la pénombre de la nuit tombante. Dans un gargouillis écoeurant, ils s'enfoncèrent dans le cou de la victime immobilisée. Les veines et artères sectionnées firent gicler à grands jets le liquide vital du blessé, maculant le museau de son adversaire. Marko libéra sa mâchoire et lécha avec un plaisir carnassier le sang qui commençait coller ses poils. Ses puissantes pattes écrasaient toujours la corps du loup brun d'une pression qui tassait le sol humide dans un succion ignoble. L'issus du combat sembla évidente. Mais, d'un mouvement agile du bassin, le fauve brun en piteux état déarsonna son adversaire, se servant des muscles de ses énormes cuisses pour le faire voler contre un arbre. Le tronc se brisa dans une pluie d'écorce. Marko atterit lourdement au pied de l'arbe explosé, inerte. Le temps s'arrêta. Seule la pleine lune observait les deux masses immobiles. Le loup brun finit par se relever, la gorge encore en pleine hemorragie. D'un geste preste il replaça son épaule sortie de son axe. Une de ses pattes pendait mollement, tandis qu'une autre laissait toujours voir son os cassé comme une branche. Des éclats blanc jonchaient le sol, recouverts ça et là de sang et de poils. Le loup brun ferma les yeux et sous les rayons lunaires entama sa guérison. Silencieux, Marko profita de ce moment d'inattention pour s'éclipser, traînant son corps massif et endommâgé dans un coin plus discret mais lui aussi baigné de la lumière de l'astre. Son adversaire ouvrit les yeux et, remarquant l'absence de son adversaire, fit vibrer l'air d'un grondement féroce. Le combat n'était pas finit, la course à la guérison était lancée.
Un cri perçant déchira la nuit. Aurore et les autres entendirent ce rugissement redoutable comme un appel à se joindre au combat dont ils entendaient les fracas depuis une demie heure. Mattia, David et Lou se levèrent d'un coup, mus par un besoin viscéral de venir en aide à ce loup en détresse. Leurs crocs étaient sortis, ils étaient prêts à se jeter dans la bataille malgré leur épuisement. Tous se regardèrent, puis se placèrent naturellement aux côtés d'Aurore. La jeune fille s'étonna à peine de ce mouvement général, comme si prendre la tête de la troupe avait toujours été une évidence pour elle. Elle se tourna vers le loup ailé qui lui rendit son regard en hochant du museau pour lui signifier qu'il la savait capable de prendre le contrôle de la suite des évenements. Elle glissa affectueusement ses doigts dans les plumes du fauve, y puisant toute le courage qu'il lui manquait. Nikita et Gabriel comprirent ce qui était en train de se passer. Ils mirent fin à leur étreinte, non sans regret de délaisser ce refuge protecteur, et rejoignirent les autres loups. Ils adressèrent un sourire sincère à la jeune fille qui semblait émue. Ils posèrent chacun une main sur son épaule, le regard déterminé. Aurore sentit le poids des responsabilités sur ses épaules, mais loin d'être pesant, il la revigora : elle avait trouvé sa place parmis ces loups. Ces marginaux avaient mis leur sort entre ses mains et, galvanisée comme si tout son être avait attendu ce jour, elle guida sa meute vers la sortie.
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