Milia et Furet (8)
- Madame l'éditrice !
- Qu'il y a-t-il Rose ?
Ma secrétaire accourt verts moi, rouge et essouflée. Son chignon d'ordinaire parfaitement ordonné est à moitié défait.
- Que vous arrive-il donc ? Vous avez couru ? Cela ne vous ressemble pas.
- Je ... C'est que ...
- Prenez le temps de respirer, je vous écoute. Le ciel nous tombe sur la tête ?
La jeune femme prend une grand inspiration.
- Un client important s'est présenté. Il a insisté pour être conduit à vous. Il nous a donné sa carte et ...
- Vous l'avez conduit à mon bureau et vous avez bien fait. Je ne vais pas le faire attendre plus longtemps, j'y vais de ce pas.
- Madame ...
- Tout ira bien, Rose.
Je me dirige sans plus tarder vers la pièce dans laquelle je reçois ceux que je vois en personne. Je fronce les sourciles, irritée : la porte est restée légèrement entr'ouverte et je déteste cela.
Un sentiment étrange m'envahit, comme un pressentiment ou un déjà-vu. Quelque chose me pousse à entrer tandis que mon instinct m'avertit de faire demi-tour.
Je serre le poing pour me reprendre. Je suis tout de même chez moi. Pourquoi serais-je intimidée ? Cela n'a vraiment aucun sens.
- Ah, Madame l'éditrice. Je vous attendais.
- Toi !
Je retiens un juron exaspéré. Que vient-il encore faire ici ? D'abord mes rêves, puis ma vie privée, et maintenant mon travail ? Cet homme ne connaît pas la discrétion.
- Tu dégages. Je n'ai rien à te dire. Et enlève tes pieds de mon bureau !
Rapide, il se lève et se dirige vers moi. Je ne peux m'empêcher d'admirer sa silhouette digne d'un mannequin mise en valeur par un élégant costume vert de bonne coupe.
- Non.
Je croise les bras de façon à mettre de la distance entre nous. Les mains dans les poches, l'air narquois, il m'observe, l'air de croire que je ne suis pas sérieuse.
- Pars maintentant.
- Tu ne mettrais tout de même pas un VIP dehors, non ?
- Ceci est une conversation privée. Je suis là pour travailler.
- Moi de même.
Je soupire. Je m'asseois et me compose une attitude sérieuse. D'un geste, je lui indique le fauteuil qui me fait face.
- Je t'écoute.
Il croise les jambes et laisse planer un silence. Son sourire disparaît pour laisser place au visage de l'homme d'affaire.
- Je souhaite parrainer une de tes autrices.
- Oui ?
- Tu a publié le premier tome de son roman il y a peu.
- C'est hors de question.
- Pourquoi ?
- Nous en avons déjà parlé ! Tu peux parrainer qui tu veux mais pas elle. Je refuse que tu l'entraînes dans le bordel qu'est ta vie, d'accord ? C'est assez de moi. Et puis, je te connais, tu ne fais ça qu'à cause de moi. Maitenant que je t'ai écouté, quitte mon entreprise.
- Je souhaite que nous ayons une conversation, celle que tu refuses d'avoir depuis plusieurs semaines.
- Non.
Je me lève et tend un doigt menaçant vers le bouton qui appelle directement la sécurité.
- J'aimerais bien ne pas avoir à passer à l'acte.
Je n'ai pas le temps d'achever mon geste. Il se déplace rapidement et me plaque contre le mur. Son visage se trouve à quelques centimètres du mien. J'avale avec difficulté.
- Explique-moi pourquoi tu m'évites. Tu ne réponds pas à mes appels, tu refuses de m'ouvrir quand je viens chez toi. Dis-moi ce qui se passe.
Je baisse le visage pour cacher mon trouble. Je savais que ce jour allait venir où je devrais affronter la réalité. C'est aujourd'hui.
Je serre les mains tellement fort que je sens mes ongles s'enfoncer dans mes paumes. Je sens l'anxiété monter, vite remplacée par une intense colère.
- Je n'en peux plus ! explosé-je. Depuis que tu es arrivé dans ma vie, je ne contrôle plus rien ! Tu apparaîs dans mes rêves, je vois ton visage à tout les coins de rue ! Et ce n'est pas tout !
Je prend une rapide respiration et enchaîne :
- Je suis addict à ta présence ! Quand tu es là, j'en veux plus. Quand tu es absent, j'ai envie de te voir.
Je me calme et continue plus doucement :
- J'ai décidé de prendre un peu de distance pour reprendre ma vie en main, retrouver ma stabilité. Je voulais aussi m'assurer que mes sentiments pour toi étaient réels et pas le fruit de mon imagination. J'en suis certaine maintenant : je suis folle amoureuse de toi, murmuré-je.
Je ferme les yeux, effrayée soudain du poids de mes mots. Ils n'avaient pas autant de sens dans ma tête. Inquiète de son silence, je lève les yeux vers lui.
Les lèvres serrées, il retient à grand peine un fou rire incompréhensible. Se moque-t-il de ma confession ?
- Quoi ?
- Hahaha ! Excuse-moi, je ne me moque pas de toi, au contraire. Je suis tellement soulagé. Tu n'imagines pas à quel point je me suis inquiété. Je croyais que tu ne m'aimais plus, que je t'avais blessée, ou pire, perdue pour toujours.
Il reprend son sérieux et plante son regard ardent où flotte encore une étincelle de malice dans le mien.
- Si j' ai bien compris, tu as cessé de me voir parce que tu m'aimes ?
Je rougis, gênée. Cet homme a le don de me déstabiliser en me forçant à l'honnêté. Je perds mes moyens et pique du nez vers le sol.
- Regarde-moi.
Il soulève mon menton de deux doigts.
- Tu m'aimes ?
- Oui.
- Alors, je peux faire ça ?
Il tire de sa poche les bagues de couple que j'avais admirées lors de notre visite à la bijouterie et en glisse une à mon doigt et la seconde au sien.
Je ris et pleure tout à la fois et enlace son cou avec force. Il vient de faire disparaître mes peurs. Je vis enfin dans l'instant présent.
Il passe ses bras autour de ma taille pour me soulever et m'asseoit sur le bureau. Je rougis de plus belle. Ces yeux si clairs d'ordinaire se sont assombris.
- Puis-je t'embrasser ?
- Tu demandes vraiment la permission, idiot ?
Il pose ses lèvres contre les miennes et m'embrasse à me couper le souffle, scellant dans l'infini notre amour.
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