Traque-sang
de "Hallbresses "
Sous une lune gibbeuse, tremblotante dans une nuit morbide, un mouvement vif passait comme une ombre. Dans un craquement de verre, un vitrail vola en éclats, projetant un ouragan d’échardes en tous sens. Une forme drapée de brocart et d’hémoglobine en jaillit, flottant dans le ciel noir avant d’atterrir brutalement sur un sol pavé réfléchissant l’éclat blanchâtre de la lune.
Dans un éclair, le vampire dégoulinant de sang se retourna pour voir pleuvoir sur lui des traits d’arbalètes, fusants dans l’air si vite que le regard ne pouvait les suivre, mais la créature renifla de mépris, et comme dans une danse se mit à virevolter pour laisser les carreaux le frôler. Un rire énorme et provocateur jaillit de sa gorge inhumaine, puis en un bond il reprit sa course, talonné par une vingtaine de bottes déterminées claquant sur le pavé avec virulence. Le vampire courait sans s’arrêter, sinon pour sauter par dessus quelques obstacles qui se trouvaient là.
Son visage blanchâtre juvénile était barbouillé de sang, encore vermeil des vies qu’il avait sauvagement arrachées, ruisselant à grosses gouttes sur son visage, aspergeant l’élégant jabot de dentelle qui parait son cou et sa veste de brocart noire rendue pourpre par les restes sanglants des humains qu’il avait écharpés. Au détour d’une ruelle. Trois formes surgirent sur sa droite et se ruèrent sur lui, brandissant des lames robustes de kukris qui fusèrent vers son poitrail de trois directions différentes. Les chasseurs avaient exercés leur synchronisation pour laisser le moins de marge possible à leur proie sauvage, mais le vampire dément se rit de leurs attaques, volant entre les lames d’acier comme un serpent. L’éclat lunaire du métal ne rencontra que le vide, et une patte griffue de plonger en avant pour empoigner le visage d’un chasseur qui n’eut pas le temps de hurler avant qu’une force surnaturelle lui arrache peau et muscles pour les brandir triomphalement.
Le vampire, fier de son trophée visqueux, s’éleva dans les airs d’un bond prodigieux tandis que les chasseurs, désemparés, s’étaient figés dans l’appréhension, mais seulement pour un instant, Le vampire s’était agrippé au mur d’un bâtiment et déjà les silhouettes blanchâtres des chasseurs prenaient position dans un brouhaha d’ordres et d’instructions. Certains contournaient le bâtiment, d’autres filaient à l’intérieur, et certains enfin armèrent leurs arbalètes et criblèrent la forme noire qui grimpait comme une araignée sur le mur d’une auberge.
Le jeune vampire fit des cabrioles, mais n’évita pas nombre de carreaux qui percèrent avec la violence du juste le tissu de sa veste et s’enfoncèrent profondément dans ses chairs mutées par la nécrose. Il ne serra pas les dents, car la douleur vibrait pour lui comme une clochette lointaine, si négligeable qu’elle en devenait cocasse.
Agrippé finalement au bord du toit de la bâtisse, il fit un grand mouvement de cabriole à la force de ses bras et en un salto bondit les deux pieds en avant sur le toit. Il s’épousseta, dans un geste qu’il ne devait qu’à l’arrogance, sans aucune préoccupation pour les restes de sang et de chair éclatée qui le maculaient. Il s’avança par quelques pas assurés, la démarche gaillarde, le buste penché en avant et le mufle suintant.
Et aussitôt un projectile transperça son champs de vision et ne manqua de lui percer un œil que par quelques centimètres. Ce n’était pas un simple carreau, car ce projectile luisait comme une étoile filante Il était enduit de poix enflammée, et fut bientôt suivi d’une rafale d’autres projectiles semblables. Le buveur de sang eut un râle de frustration. Il comprenait très bien, comme les carreaux plantés dans le toit de la bâtisse brulaient de mille feu, que c’était un dispositif éclairant pour les chasseurs. Bientôt, des carreaux conventionnels le visèrent de chaque direction, sans trêve ni repos.
En un claquement de langue agacé, le monstre décida de changer la donne. Il se pencha et arracha sans ménagement les tuiles qui couvraient le toit, avec une force si absurde que des monceaux du bâtiment volèrent sous ses griffes, puis il plongea entre les charpentes dans le trou ainsi foré.
Il atterrit au milieu d’une pièce haute de plafond, sombre si n’étaient les torches de quelques chasseurs qui le virent se ruer sur eux en un instant. Un carreau d’arbalète partit à bout portant, mais le vampire, affichant un sourire carnassier, esquissa un geste brutal, si vif que l’œil humain ne pouvait le suivre, et il attrapa le projectile en plein vol. Les autres avaient dégainés leurs kukris et prenaient des positions défensives pour retenir la bête le temps que leurs camarades viennent leur prêter main forte. Le vampire les jaugea en moins d’un battement de cœur. Ils étaient quatre en tout, un qui rechargeait en panique son arbalète, deux qui s’apprêtaient à l’encercler avec leurs kukris, et un qui hésitait avec sa torche, sans doute pris par l’idée de mettre le feu au bâtiment pour piéger le vampire. Ce dernier se lécha les babines.
Il plongea, comme une flèche il passa devant le chasseur à l’arbalète en frappant au passage son arme d’un coup de griffe qui trancha la corde, mais avant que le chasseur puisse faire quoi que ce soit, le vampire avait filé vers son camarade à la torche et avait empoigné la flamme à pleine main pour l’étouffer avant de plonger une griffe dans la gorge de l’humain.
Celui-ci déglutit, mais eut la force de poignarder son agresseur, ou du moins de tenter. Le vampire vola en arrière pour esquiver l’attaque, et comme son humain venait de s’avancer en avant, il tourna sur lui même et donna un coup de pied dans le crâne vacillant du chasseur qui s’effondra et ne se releva pas.
Puis le vampire sentit deux lames d’acier lui percer le dos, une se glissant avec méthode derrière l’omoplate, l’autre dans le bas du dos, au flanc gauche.
Il se retourna en un éclair, agrippa l’un de ses agresseurs par le visage et le tira à lui pour planter des crocs suintants dans sa carotide, puis il poussa l’humain déchiqueté qui serrait les dents de douleur en tenant sa blessure. L’autre chasseur eut droit aussitôt à un coup de poing en pleine tête, mais tint bon et contre attaqua pendant que son collègue à l’arbalète approchait par derrière avec une autre torche.
Les yeux rouges du vampire parurent s’allumer comme un mélange de joie candide et de colère venait de s’éveiller en lui. Ses mouvements furent trop rapides, faisant passer les chasseurs professionnels pour des enfants inexpérimentés. Il frappa en avant d’une griffe qui feinta d’abord vers le plastron blanc du chasseur avant de se rediriger vers sa cuisse derrière les tassettes de l’armure et de pratiquer une large plaie là où la chair est la plus tendre et la moins protégée. Instantanément, dans un mouvement si rapide que les humains le croyaient simultané, il se retourna vers l’autre chasseur, lui arracha sa torche des mains, lui frappa le visage avec, puis la jeta au sol et la piétina avant de lui sauter à la gorge. Le chasseur tenta vainement de repousser la mâchoire avec ses mains gantées de fer, mais dans le noir, le vampire lui broya les doigts avec une force crocodilienne, puis lui éclata furieusement le crâne à coups de poings pendant que l’autre chasseur rallumait une dernière torche tout en trainant sa jambe lacérée. La flamme allumée, il put voir la porte de l’auberge s’ouvrir sur le reste des chasseurs qui allaient pénétrer dans la bâtisse en même temps que le vampire fondait sur lui.
La dernière torche s’éteignit, et le vampire sentit tout son corps lacéré et perforé être parcouru d’un frisson de bonheur inégalé. Une exaltation comme jamais il n’en avait connu. Par la porte de l’auberge, des chasseurs se ruèrent, pensant encore pouvoir aider leurs camarades, mais ils arrivèrent juste à temps pour voir la dernière clarté s’éteindre, et réaliser leur monumentale erreur.
Ne restait qu’un vague éclat de lune qui perçait par le trou béant du toit, ne faisant qu’entourer les silhouettes d’encre qui se découpaient sur ce fond lunaire de cauchemar surréaliste. Les chasseurs conclurent que s’ils relâchaient la pression un seul instant, leur vampire leur échapperait, alors ils dégainèrent et foncèrent sur lui. Dans la moite noirceur de la bâtisse ensanglantée, le vampire les accueillit par vagues de deux ou trois.
Des clignotements de l’acier dans l’éclat lunaire indiquaient les vagues mouvements frustes des humains qui tentaient de braver la puissance du vampire. L’être démoniaque dansait comme une ombre onirique au milieu des singes, frappant par tous côtés, tuant et esquivant simultanément. Mais les chasseurs l’attaquaient avec technique, synchronisant leurs assauts péniblement malgré l’obscurité qui les empêchait de se voir les uns les autres. C’était comme une danse où tout était calculé et chorégraphié en vain pour qu’au final dans le dernier mouvement du ballet, dans ce qui devait parachever un tonnerre de feintes d’attaques désespérées et de coups millimétrés, le vampire, d'un seul geste stupéfiant qui défiait toutes les limites de l’appréhension humaine, fasse voler en éclat toute l’harmonie de l’assaut et tue sans pitié ni mesure les chasseurs qui osaient espérer l’abattre. En quelques instants, des cadavres s’empilèrent dans les ombres, et des gerbes de sang que l’on ne distinguait plus dans la pénombre volaient ci et là et maculaient des murs noirs d’encre.
Riant de ses victoires, le vampire ignorait les lames qui mordaient sa chair, les traits que, par inadvertance sans doute, il ne parvenait pas à esquiver et qui s’enfonçaient dans son corps, et les rares coups de poings et prises sur ses vêtements ou ses cheveux qui parvenaient à l’atteindre ou à le tirer à un endroit pour qu’il reçoive un violent coup de kukris. Au final, la douleur était trop lointaine pour qu’il s’attarde dessus. Il était extatique, et ne voyait pas que son corps si résistant soit-il sombrait petit à petit, qu’il était en train de se dissoudre sous les coups, et que des morceaux de sa chair blanche, comme des larves de mouche, rampaient au sol au milieu des flaques du sang de ses ennemis.
Et puis un coup sectionna une de ses mains. C’était une hache courte qui l’avait frappée, maniée par un chasseur large d’épaules et vigoureux dont chaque coup avait la force de tuer un humain normal. Le vampire ne comprit pas de suite ce qui venait de lui arriver, mais sa main décharnée venait de disparaitre, ne laissant qu’un moignon desséché à son poignet. Ses yeux fusèrent vers le coupable comme deux flèches ardentes dirigées vers son cœur, et dans un accès de rage, le vampire montra des crocs comme un serpent brandit ses crochets. Ce fut pour mieux être saisi à la gorge par derrière et sentir la lame épaisse d’un kukris attaquer et inciser lentement son cou. Il réalisa en retard ce qui arrivait et dans un mouvement vif il poussa de la paume le responsable avant de se tourner vers le chasseur à la hache qui venait de le frapper derechef en visant la tête, mais cette fois la lame ne trouva pas sa cible et ne fit que caresser ses cheveux.
Le vampire, pendant un laps de temps plus court qu’un battement de cœur avait pris la posture d’un animal bondissant, comme un serpent se repliant sur lui même pour mieux projeter en avant en un éclair sa tête armée comme un fléau d’arme empoisonné. Puis il se lança. L’humain tenta de contrer, et sa hache se planta involontairement dans l’épaule du vampire qui n’en fut pas ralenti. D’un coup de griffe il déchira un œil à l’humain, puis il planta quatre crocs dégoulinants en plein milieu du visage de sa victime, le faisant ressembler pendant un instant à un python s’apprêtant à avaler une proie.
Ce meurtre devait être son dernier. Un kukris fila vers sa nuque, avec une méthode digne de celle d’un boucher, la personne qui maniait cette lame continua le travail entamé juste avant, glissant avec vigueur sa lame entre les os, et sans même l’occasion de pousser un cri ou de plaidoyer sur l’injustice de sa mise à mort, le vampire, comme un animal à l’abattoir, fut mis en pièce, décapité méthodiquement avec une brutalité dosée et une force mise au service de la technique. Le craquement répugnant de la moëlle qui rompait sous la lame fut le seul son rassurant pour les chasseurs depuis de longues minutes de pur calvaire, puis la tête du vampire fut définitivement séparée du reste du corps. On le détacha du visage de sa proie qui haletait et souffrait, puis rendit l’âme quelques instants plus tard. Sans plus attendre, le corps du vampire fut mis en pièces à coups de hache, pour être brulé. Sa tête serait ramenée aux seigneurs de ces terres pour témoigner de l’efficacité des chasseurs de vampires.
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