A notre Source

3 minutes de lecture

Je suis née
Il y a bien longtemps,
Au-delà de mémoire humaine.
Dans une grotte sombre,
Près d’une source claire,
Mon berceau y fut installé.
Les ombres dansantes du feu sacré
Berçaient mes premiers sommeils,
Le doux clapotis de l'onde
Apaisait mes peurs nouvelles,
Le souffle tiède de la brise
Caressait mes rêves naissants.

Je suis née
D’un père solitaire,
Immense et tendre comme l’infini.
Cachée dans les entrailles souterraines,
Je grandissais sans nulle autre peine.
La chaleur de la flamme,
La protection de la roche,
L’entrain de la rivière,
Le chant du vent,
L’amour de mon père.
J’étais comblée,
Ne désirant rien de plus.
Je n’avais ni frère, ni sœur, ni semblable,
Ne voyais nulle âme qui vive,
J’étais l’unique création de mon artiste.

Un jour, il advint
Que la grotte fut trop petite,
Que le feu chauffa trop,
Que la rivière ne fut pas fleuve,
Et que le vent ne chanta plus si juste.


Mon berceau devint lit.
Mon père devint triste et soucieux.
Il revint un matin le poing serré,
Il l’ouvrit sur une pierre sèche et charbonneuse.
Cela contenait la vie :
Dans le sol, je la plantais,
De la source, je l’arrosais,
Du feu, je la chauffais,
Du vent, je la berçais.
Et miracle, une plante naquit !
Devant ma joie retrouvée,
Chaque moment qu’il fit
Mon père m’apporta une graine nouvelle.
Peu à peu chacune mourrait,
Peut-être de chagrin ?
Étais-je une plante moi aussi ?

Par un jour levant, je fus éveillée
Par une chaleur et une lumière
Différentes de celles de notre foyer.
Elles provenaient d’un trou béant :
Notre grotte s’était éboulée.
Par l'ouverture, je vis une étendue démesurée :
En dessous, une sombre plaine,
Au-dessus, un bleu sans nom,
En son centre, une boule de feu éblouissante
Courrait dans cette mer azure.
Mon père m’apporta les plants mourants,
Nous les mîmes en terre sans attendre,
Elles revinrent à la vie.
Je passais ainsi tout mon temps
À rempoter chaque bouture,
Une à une.


Il advint que le jardin fut empli,
Alors chaque plante fleurit
L’une après l’autre.
Au fil de la course du soleil,
À l’harmonie des couleurs
S’ajouta la symphonie des parfums.
Chacun s’évertuait à me distraire,
Mais les fleurs se fanent à la morte saison.
Mon ennui revint.

Un soir, il advint
Que l’enclos ne fut plus assez grand,
Que les arbres furent trop immobiles,
Que les buissons furent trop silencieux,
Que l’herbe ne fut plus assez douce.

Mon jardin devint prairie.
Mon père redevint triste et soucieux.
Il revint un soir le poing serré,
Il l’ouvrit sur une pierre ovale et laiteuse.
Elle contenait la vie :
De la terre, je lui fis un nid,
De la source, je la lavais,
Du feu, je la réchauffais,
Du vent, je lui fredonnais une chanson.
Et miracle, l’œuf se fendit !
Un oisillon en sortit
Aussi frêle que l’herbe délicate,
Aussi fragile qu’une plantule.

J’éprouvais pour lui
Une tendresse maternelle sans limite.
Je souriais de ses joies,
Je m’inquiétais de ses chagrins.
Il grandit tout doucement,
Quitta un jour la prairie.
Mon désarroi faisait peine.
Alors chaque jour qu’il fit,
Mon père m’apporta un œuf nouveau,
Chacun était original.
Il en sortait des animaux différents,
Que j’aimais pareillement.

Chacun me quittait tour à tour.
Quand la créativité de mon père se fut épuisée,
Il avait pris bien des années.
Le front bas, la larme à l’œil,
Nous souffrions tous les deux.
Au désespoir, je m’allongeais,
Sur mon lit, dans ma chère grotte,
Les ombres dansantes du feu sacré
Bercèrent mes tumultueux sommeils,
Le doux clapotis de l'onde
Apaisa mes peurs éternelles,
Le souffle tiède de la brise
Caressa mes rêves mourants.

Je m’éveillais soulagée,
J’étais légère comme une plume
Et incomplète comme la lune.
Une partie de moi avait disparu,
Une moitié, je n’avais plus.

Il était né
Du moi divisé.
Dans la grotte sombre,
Près de la source claire,
Son berceau y était installé.
Les ombres dansantes du feu sacré
Berçaient ses premiers sommeils,
Le doux clapotis de l'onde
Apaisaient ses peurs nouvelles,
Le souffle tiède de la brise
Caressait ses rêves naissants.

Il était né,
D’une sœur solitaire,
D’un père aimant et protecteur,
Caché dans les entrailles souterraines
Il vivait sans nulle autre peine.
Il était né
Le compagnon, l’amant,
Et sans nul doute le pire de mes tourments.


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