L'Indomptable
La plage est difficile d’accès, coincée dans une crique entourée d’arbres plusieurs fois centenaires et d’une falaise de calcaire blanche, rongée par le vent marin.
Ici, pas d’escalier, ni même de chemin pour venir souiller cette plage. La descente se fait en rappel, alors que le corps est secoué par le vent de l’océan. Mais le jeu en vaut la chandelle et une fois que mes pieds touchent le sable doré, je peux enfin regarder ce que je suis venu chercher.
L’Indomptable n’est plus qu’un maigre reflet de ce qu’il était. Un pastiche d’un vaisseau autrefois magnifique.
Fleuron de son temps, le vaisseau fait grise mine, maintenant. Les trois mâts sont brisés et reposent sur la plage, à moitié recouvert d’eau de mer, lentement grignotés par les vagues.
La peinture s’écaille, le bois se gondole, le sel ronge tout. Les vagues détruisent patiemment les fondements du navire. Mais l’Indomptable reste rebout. La proue enfoncée dans le sable. Brisé, irrécupérable, mais toujours présent. Témoin de son époque.
Je m’en approche lentement, fasciné. Même à l’arrêt, même détruit, une impression de grandeur et de puissance s’en dégage. Que ce soit par sa taille, gigantesque pour son temps, ou par son histoire.
Tour à tour galion de combat, de commerce et de plaisance, l’Indomptable a traversé mille et une vie, chacune se lisant à travers son bois, subtiles traces de son passé.
Les enluminures sur le bastingage, les grandes voiles, déchirées et jaunies, ou encore les trous dans la coque, fenêtre de tir pour les trente-huit canons qui constituaient son artillerie.
Je finis par mettre un pied dans l’eau, puis deux, et j’avance vers l’épave. Un mât brisé me sert d’échelle pour grimper sur le pont. Le bois est glissant, mais maintenant que je suis dessus, je perçois encore mieux la grandeur de ce voilier. Le pont est immense, et en levant les yeux vers le ciel, j’essaye de me représenter ce que cela devait être de voguer sur les mers, à bords de ce bateau.
Sûrement que l’équipage de l’Indomptable devait en tirer une grande fierté.
Lampe torche à la main je me dirige vers les cales du navire, à la recherche du moindre indice qui pourrait me donner une idée du quotidien des marins.
Quelques tonneaux depuis longtemps percés reposent contre les murs, des bouteilles en verre polies par le temps roulent à un rythme régulier quand la mer entre et sort par un trou dans la coque. Les cartes sont depuis longtemps pourries, mais je retrouve les clous rouillés qui devaient les maintenir accrochés.
Le plancher craque sous mes pieds et je me fige. Peut-être que le bois était trop vieux pour supporter le poids d’un adulte.
Je saute à l’eau cette fois, et nage à contre-courant le temps de faire le tour de navire, et d’inspecter la poupe qui repose en grand partie dans l’eau. Le sable s’est affaissé sous le poids du navire et pourtant le bateau, bien que bancale, reste planter dans le sol. Peut-être que les deux mâts tombés à bâbord l’empêchent de chavirer. Mais tout de même.
C’est comme si, même à l’abandon, l’Indomptable restait aussi imprenable qu’il l’avait toujours été.
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