Chapitre 3
A la fin de la journée, direction l’Apocalypse, je travaillais là-bas tous les soirs de 19h à minuit en semaine, je venais également souvent le week-end. Ce n’était pas très loin de chez moi, 20 minutes à pied en marchant bien. C'était bien pratique quand Cara ne voulait pas démarrer, comme c'était le cas ce soir.
— Salut Elena, gronda le patron
— Bonsoir Bill. Je pourrais te parler en vitesse ?
Ce n’était pas le type le plus communicatif qui soit, il n’avait pas l’air souvent heureux. Pour tout dire, je ne l’avais jamais vu sourire. En même temps, pour avoir un bar avec un nom pareil, il ne fallait pas être de nature très optimiste.
Je fis le tour pour saluer tout le monde puis j’avalais un steak haché frites en vitesse avant de commencer le service. Le repas était compris dans mon contrat, ça me faisait ça de moins à cuisiner chez moi. Quand j’avais le temps j’aimais bien me préparer des bons petits plats, mais toute seule ce n’était pas motivant, puis toute la vaisselle derrière… autant en profiter ici.
C’était encore calme à cette heure-ci, j’en profitais pour aider Max, un autre serveur, pour finir la plonge de la journée et pour renettoyer les tables. Celles-ci étaient tellement vieilles qu’on avait beau les nettoyer, elles collaient toujours un peu. Le bar en lui-même était vieux, et pas dans le quartier le plus reluisant non plus, nous étions dans les bas-fonds de la ville, je me méfiais toujours en arrivant et partant, on ne savait jamais sur quoi on pouvait tomber et des histoires bizarres courraient sur ce coin. J’avais commencé à prendre des cours de self défense, mais j’avais vite arrêté. Le coach passait son temps à essayer de nous tripoter, et en faisant passer ça pour un exercice le salaud. Depuis je possédais une bombe lacrymo dans mon sac à main.
L’Apocalypse était sombre, pourtant il était moins sinistre avec cette lumière tamisée qu’en pleine lumière, là, il était glauque. Je l’aimais bien quand même cet endroit. Ça faisait plus de trois ans que je travaillais ici, c’était mon deuxième chez moi, je m’y sentais en sécurité. Puis nous étions une équipe d’habitués, toujours les mêmes depuis le début. Nous savions que nous pouvions compter les uns sur les autres. On ne parlait jamais de son passé, ni de comment nous en étions arrivés là. C’est aussi cela qui rendait cet endroit si attrayant. Nous étions tous un peu paumés, avec l’objectif de s’en sortir. On se serrait les coudes sans pour autant avoir besoin de tout connaitre des autres. Le passé restait où il était et nous allions tous vers le futur comme nous pouvions.
Ding. Voilà les premiers clients qui arrivaient. Ce devait être une soirée calme, il n’y avait aucun match en cours, par contre le lendemain, tout le monde serait sur le pont.
Je pris mon carnet et mon stylo pour aller prendre la commande de nos nouveaux arrivants. Je ne distinguais pas bien leur visage dans le coin où ils s’étaient mis. Je voyais juste leurs carrures impressionnantes.
Ils s’étaient installés à l'endroit le plus sombre, côte à côte. Ils donnaient l’impression d’avoir l’habitude de surveiller leurs arrières. De là où ils étaient, ils pouvaient avoir une vision de l’ensemble de la salle. Encore aurait-il fallu qu’ils soient nyctalopes pour voir dans tous les recoins.
Oh, mais je reconnaissais ces muscles sous ce t-shirt noir, à croire que ma rétine avait imprimé ces courbes dangereusement sensuelles. Emma n'en reviendrait pas.
— Bonjour monsieur, rebonjour monsieur Heron, puis-je vous servir quelque chose ?
— Mademoiselle Erine, quelle surprise de vous revoir ici, me dit-il avec l’air de celui qui savait parfaitement que je serais là.
Il n’avait pourtant pas l’air enchanté d’être là, on aurait dit qu'il avait croqué dans un citron. Comme s’il préférerait être partout ailleurs plutôt qu’assis à cette table.
— Axel tu m’as caché que tu avais rencontré une demoiselle aussi charmante, tu pourrais nous présenter. Mademoiselle pardonnez mon ami, Théodore Dumont. Mais vous pouvez m’appeler Théo bien entendu, souligna-t-il d'un sourire charmeur.
Je n’aimais pas les flatteurs, les mensonges sortaient de leurs bouches beaucoup trop facilement, ici par exemple je n’étais pas charmante et vu la façon dont Heron le regardais, j’avais de sérieux doutes sur leur amitié.
J’en profitais pour jeter lui coup d’œil, il n’était pas mal non plus, il était moins massif que son collègue, les cheveux d’un blond qui tirait sur le roux, des yeux verts, je ne distinguais pas toutes les nuances avec le peu de lumière. On sentait la force tranquille qui se dégageait de lui. Plutôt pas mal, même s’il faut dire qu’il n’atteignait pas le niveau d’Heron.
Je reportais mon regard vers celui-ci, après tout pourquoi m’en priver. Ce n’est pas parce que je n’allais pas consommer que je ne pouvais pas regarder ce qu’il y avait au menu.
Bon bah en fait j’aurais mieux fait de ne pas regarder, si ses yeux pouvaient tuer je serais morte sur place. Sa mâchoire était crispée et on aurait dit qu’il allait tuer quelqu’un d’une minute à l’autre. Et puis c’était quoi ce bruit ? Il grognait ? Nan mais qu’est-ce que c’était que cette histoire ? On était plus à la préhistoire, s’il avait quelque chose à me reprocher qu’il le dise.
— Elena, enchantée. Puis-je prendre votre commande ?
— Très joli prénom. Une bière s’il vous plait. Heron, la même ?
— Oui, grogna-t-il.
Bon apparemment lui la politesse il l’avait oublié chez lui ou alors il s’était assis dessus. Mais je réussis ; oh miracle ; à me taire. Même si je ne pus totalement retenir un haussement de sourcil.
— Je vous amène ça de suite messieurs, répondis-je avec mon plus beau sourire. Je n’allais certainement pas entrer dans son jeu.
Je tournais les talons pour me diriger vers le bar mais ça ne m’empêcha pas d’entendre Dumont parler à voix basse à Heron.
— Nan mais tu ne trouves pas qu’elle est vraiment mignonne ? Ah oui à ta réaction je vois bien qu’elle ne te laisse pas indifférent.
Je me sentis devenir rouge écarlate.
— Mais oui c’est ça, tu veux bien arrêter de draguer tout ce qui bouge ?
Pour redevenir blanche aussi vite, aussi efficace qu’une douche froide.
— Merde mec tu grognes ! Calme-toi c’est bon je la laisse tranquille.
— Ferme là.
Théodore éclata de rire.
— C'est la meilleure celle-là !
Oui oui, de vrais potes ça se voit. Bon ce n’était pas tout ça, j’avais d’autres clients qui attendaient, je leur apportai leurs bières sans accorder un regard à Heron mais adressant un grand sourire à Dumont. Non ce n’était pas vrai, je ne voulais pas le faire enrager. Je n’avais jamais été d’un naturel dominant mais ce n’était pas pour autant que je m’écrasais facilement.
Le reste de la soirée se passa tranquillement. J’avais parfois l’impression de sentir le regard d'Heron ou de Dumont, vu le début de la soirée ce devait être mon imagination. Et dire que lundi matin on commençait par son cours ça allait être génial.
Toujours est-il qu'ils laissèrent un bon pourboire que je mis dans le pot commun.
1 heure du matin, enfin la fin de mon poste. Comme je l’avais prévu, c’était une soirée calme mais qui passa vite. Quand j’étais dedans je n'avais pas ressenti de fatigue mais là, tout retomba d’un coup. Une bonne nuit de sommeil ferait du bien, histoire d’être en forme pour enchaîner le service du midi et du soir demain. Une grosse journée s’annonçait.
— Bill, c’est bon tout est ok je peux y aller ?
— Oui vas-y. Demain 11 heures ici.
— Elena attend ! J’ai fini, je te reconduis si tu veux.
— Ah je veux bien, tu es un amour Max.
Il s’esclaffa, et m'adressa un clin d’œil.
— Tu sais bien que ce n’est pas un acte gratuit, j’espère toujours que tu m’invites à finir la soirée chez toi !
— Désolé de te décevoir mon chou, mais tu peux toujours courir.
— On ne sait jamais, sur un malentendu…
Je ne pus m’empêcher de rire avec lui. Souvent il me ramenait, car il savait que je n’aimais pas rentrer seule à pied. Ce n’était pas loin, mais je me méfiais toujours. Et vu le prix de l’essence en plus des caprices de Cara, le plus souvent j’utilisais mes jambes.
Je le remerciai d'un bisou sur la joue.
Arrivée chez moi je pris une douche rapide puis m’affalais sur mon lit. Je laissais mon esprit vagabonder et revenir à ce cher Axel Heron. Je ne pus m’empêcher d’imaginer mes mains courir sur son torse, suivre du bout des doigts la courbe de ses muscles, puis pourquoi pas suivre ensuite ce même chemin de la pointe de la langue. Sur ces belles images, je m’endormis, sachant très bien où m’emmènerait la suite de mes rêves.
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