Je n'avais pas reparlé à Fen depuis notre altercation. Bornée comme je l'étais, je m'étais échappée dès l'aube. Le grand air me ferait sans doute plus de bien que l'atmosphère pesante de la maison. Tout s'embrouillait dans ma tête. Une fois encore, je me sentais perdue. Comme à l'accoutumée, je me promenai dans la forêt, tantôt je me baissai pour regarder des empreintes d'animaux, tantôt je regardai des simples que Fendora m'avait enseignées. A la fin de la matinée, lassée d'être seule, j'allai flâner en ville afin de récolter quelques ragots intéressants. C'est ainsi que j'appris que mon frère avait refusé de participer au jugement d'une pauvresse qui aurait soi-disant maudit un baudet; cela m'étonna, j'étais persuadée qu'il s'était enrôlé dans cette brigade pour chasser toute forme de sorcellerie. Cette rumeur faisait polémique en ville. C'est alors que je décidais de me rendre au poste, espérant le trouver.

Je le trouvais en pleine conversation avec des camarades :

• Je te dis qu'elle est innocente de ce parjure qu'on lui attribue !
• Ah ça ! répondit un homme, je n'en suis pas si sûr ! L'animal appartient à un homme qui lui a refusé un travail ! penses-tu, la pauvresse a décidé de se venger en pactisant avec le Malin !
• Puisque je te dis que c'est faux !

C'est à ce moment que je me décidai à passer la porte. Les deux hommes se tournèrent vers moi, visiblement agacés par mon arrivée impromptue. Le regard de mon frère se fit vide subitement, comme si son âme avait quitté son corps à l'instant où il me vit.

• Nils, commençai-je, je passais dans le coin et je me suis dis que je pouvais bien m'arrêter te voir.
• Tu m'as manqué, petite sœur ! m'accueilla-t'il

Il est vrai que je ne l'avais pas vu depuis 2 mois au moins. Il avait changé. Je vis à la fois de la joie et de la torpeur dans son regard.

• Nils ? que t'arrive-t-il ?
• Tout va bien, ne t'en fais pas, me mentit-il en souriant
• Menteur. Je ne vais pas te poser la question trois fois. Réponds moi. Que t'arrive-t-il ?!

C'est à ce moment que son camarade bourru prit la parole :

• Laissez-le tranquille, ce n'est pas son jour.
• Comment cela !? pourriez-vous m'expliquer à la fin ?
• En fait, pas plus tard que ce matin une jeune damoiselle a été enfermée pour sorcellerie. Son jugement aura lieu ce soir. Votre frère est en colère car il la croit innocente.
• Car elle l'est. Bougonna Nils.
• Si tu le dis ! soupira l'homme. Bon, cesses de t'en faire pour elle. Prends ta journée pour profiter de la présence de ta sœur. Et vous, me dit-il, faites en sortes qu'il se calme d'ici ce soir !
• Ne vous en faites pas, lui répondis-je, je me charge de lui !

Nous partîmes donc tous deux, Nils et moi, afin de parler de nos vie respectives, et inventer des histoires comme nous aimions à le faire étant enfants.

Au bout de quelques heures, mon aîné me proposa d'aller au château des Langlois. Je refusais, mais comme il insista je fini par céder.