Chapitre 15 (partie 3)
Trois heures. Cela faisait déjà trois longues heures que Jenson endurait l'interrogatoire. Plusieurs sujets avaient été abordés. Ces gens voulaient des réponses ? Pas de problème il les donnait. Aider Edyson équivalait à disperser des épines sur le chemin de son père, l'adolescent l'avait bien compris et comptait poursuivre ainsi au maximum. Il jubilait à l'idée d'enfin donner une véritable raison à son père d'être furieux envers lui.
Évidemment ce côté plaisant comprenait ses limites. Le plus dur était de supporter le mal qu'exprimait son corps ; quoique Angelo, l'homme brutal qui lui avait tenu compagnie dans le camion, se révélait être d'autant plus infernal. Les réflexions acides glissées ici et là par le soldat transformaient ce moment en un étau délétère.
Tout avait dégénéré quand l'entrevue avait dévié sur sa mère. Jenson refusait de parler d'elle. Qu'aurait-il pu avouer de toute manière ? Profitant de cette crevasse dans le cœur de son adversaire, Angelo ne se priva pas d'éclabousser le prisonnier de son venin.
— Je vais te dire ce que j'en pense : ta mère ne vous a pas quitté, toi et ton père. Elle vous a fui, présuma Angelo en fixant droit dans les yeux son rival.
— Arrête, s'énerva ce dernier en se crispant.
Angelo envisageait de mettre un terme à cette discussion, mais l’idée de se montrer supérieur au fils du tyran était bien plus alléchante.
— Sans doute qu'elle ne pouvait pas supporter vos sales tronches de merdeux, s'amusa perfidement le soldat d'Edyson.
— Arrête.
Jenson tentait de garder son calme en contrôlant les mouvements irréguliers de sa respiration. Sa situation n'était déjà pas au mieux alors mettre un pas dans une pente encore plus glissante devenait de l'inconscience. Seulement il ne pouvait pas supporter l'attitude insolente de cet Angelo. De quel droit osait-il parler ainsi de ce qui ne le regardait pas ? Le pire dans tout cela était le sourire narquois qu'affichait fièrement l'homme.
— Ou peut-être bien qu'elle a préféré voir un autre homme. Avoir une autre famille.
— Arrête !
L'adolescent refusait d'écouter un seul mot de plus. De quel droit parlait-il ainsi ?! La douleur physique ne suffisait-elle pas à cet homme ? Jenson avait la sensation qu'il prenait un plaisir vicieux à le détruire, enfonçant toujours plus loin une dague dans le cœur. Au fond, le plus douloureux était d'entendre qu'Angelo avait probablement raison, sinon pourquoi sa mère ne serait-elle pas avec lui ?
— Angelo ça suffit ! intervint Edyson sans pour autant parvenir à apaiser la tension entre les deux.
— Une famille ou elle est présente chaque jour pour eux, continua l'homme tout en ignorant son Général.
— ARRÊTE !
Un regain de violence amère incendiait Jenson. Le soldat avait usé de la phrase de trop. Brutalement l'adolescent s'embrasa. En un effort inhumain il se releva tout en parvenant à repousser les obstacles et assena un poing à Angelo. Durant l'acte on put entendre un craquement inquiétant. L'un de ses genoux venait définitivement de l'abandonner. Son corps bien trop lourd pour sa dernière rotule l’entraîna immédiatement au sol.
— Ça fait du bien ! s'exclama-t-il avant de tourner de l’œil à cause de la douleur submergente.
Perplexe au vu de cette situation, Edyson fut tenté durant quelques secondes de donner à son tour une gifle à son homme. Inspirant profondément histoire de calmer son agacement, le militaire s'adressa tout d'abord au second gars présent.
— Appelle un médecin, précise que c'est une urgence ensuite occupe-toi de Jenson en attendant qu'il vienne sur place.
Maintenant Edyson se devait de mettre les points sur les "i" avec Angelo.
— Une chance. On t'avait laissé une chance ! Et toi tout ce que tu trouves à faire c'est de la gâcher. Tu n'as pas déjà assez reçu d'avertissements pour ton comportement ?!
— C'est bon ce n'est rien, pas la peine de t'énerver, formula Angelo sur un ton ennuyé.
— Non mais tu rigoles ?! Franchement tu te rends compte de ce que tu viens de faire ? C'est le fils de Theoden Sartirog ! Notre meilleure chance d'atteindre l'usurpateur. Avoir réussi à l'emmener jusqu'ici relève du miracle. Penses-tu sincèrement qu'il nous donnera la moindre information désormais ?
— Et alors ? Des méthodes pour arracher les aveux il en existe beaucoup, je suis certain que tu en trouveras une qui te conviendra.
— Angelo, malgré ton attitude tu restes un soldat plutôt doué. Toutefois, comprend bien que cette fois-ci tu as été trop loin. C'est vraiment dommage mais je me vois dans l'obligation de te renvoyer de l'équipe. Tu n'as plus ta place à nos côtés. Je veux que tu sortes maintenant.
— Très bien, lâcha de manière acerbe l'individu en rendant son équipement. Sache que tu viens de commettre une lourde erreur en me virant de l'équipe. Quant à ce merdeux il regrettera son geste un jour.
Sur ces mots emplis de dédains, il quitta la cellule non sans un dernier regard amer. Ce n'était pas la première fois qu'Edyson virait quelqu'un de son groupe. Bien évidemment cela n'avait jamais été une partie de plaisir. Cependant, quand la personne manquait à son devoir il n'avait d'autre choix que de l'abandonner afin de ne pas reproduire certains évènements.
N'oubliant pas sa priorité actuelle, le Général commença à grogner auprès de ce médecin toujours pas arrivé.
— Quelle journée de merde. J'ai un prisonnier très abîmé qui va maintenant refuser de coopérer, un soldat en moins dans mon équipe et il faut en plus que le médecin prenne tout son temps.
— Le médecin a fait du mieux qu'il pouvait, s'indigna la nouvelle arrivante en blouse blanche. Laissez-moi observer cette urgence pour laquelle vous m'avez appelé.
Le Général et son soldat se décalèrent pour permettre à la soignante d'effectuer son boulot. Plusieurs grimaces vinrent se plaquer contre le visage concentré du médecin. Non pas parce qu'il s'agissait du fils de l'usurpateur mais parce que certaines blessures l'inquiétaient sérieusement.
— On le transporte à l'infirmerie tout de suite. Des soignants sont prêts à le recevoir.
Sans attendre plus longtemps la femme sortit de son sac une sphère à l'aspect métallique. Par on-ne-sait-quel mécanisme, la sphère se transforma en un lit flottant. Les trois personnes déplacèrent précautionneusement Jenson sur le lit, un grognement gagna tout de même l'adolescent.
Ils parvinrent au centre de soins en attirant les regards sur eux. Les personnes présentes avaient bien remarqué que le blessé amené était un Sartirog. Les chuchotements se multipliaient entre les patients et le personnel. Bientôt, l'entière capitale ainsi que le reste du royaume d'Héllibore seraient au courant de la présence du jeune homme. Un sentiment de joie inespéré se propageait aussi rapidement que les messes-basses. Si le garçon ennemi se trouvait là alors tout n'était pas perdu et ils allaient gagner la guerre.
- Fin de la partie 1 -
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