IV — Discussion entre copines

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Le lendemain matin, Sakina fut réveillée par le chant des oiseaux perchés à sa fenêtre, alors que le soleil n’avait pas encore percé l’horizon. En attendant que Kanie se lève, elle commença par accomplir sa prière de l’aube, puis consacra une bonne heure à diverses lectures. Elle se lança ensuite dans les tâches ménagères en veillant à ne pas troubler le silence paisible de l’appartement avant de sortir faire quelques courses. Ces derniers jours, le temps était clément, alors elle en profita pour se promener, s’aventurant dans des rues inconnues et savourant l’air frais presque épargné de la pollution des voitures. Soudain, le vent se leva, et de légères brises automnales la firent frissonner. Étant peu vêtue, elle hâta le pas pour terminer sa balade et ses emplettes.

De retour à la maison, après avoir rangé ses achats et s’être préparé un délicieux petit déjeuner, elle s’installa sur le canapé du salon et se mit à regarder un film d’animation. L’un de ses préférés, qu’elle visionnait pour la troisième fois. L’histoire se déroulait au Japon et tournait autour d’une jeune fille qui s’ennuyait à la campagne comme elle et d’un bel homme menant une vie trépidante à la ville. D’ailleurs, ce n’était pas le meilleur moyen d’oublier ce charmant jeune homme qu’elle avait croisé la veille. Ce fameux garçon, qui l’avait surtout ignorée et lui avait à peine adressé la parole. « Ah ! Cette famille me met vraiment mal à l’aise ! » souffla-t-elle en s’effondrant sur le sofa.

Kanie se réveilla en fin de matinée, ce qui n’était pas dans ses habitudes. Revêtue d’un simple tee-shirt et d’une culotte, elle se dirigea directement vers la cuisine en saluant brièvement son amie. Elle fut ravie de trouver de quoi se repaitre. Après s’être préparé de quoi faire taire son estomac, elle rejoignit Sakina au salon. Elle s’affala sur le canapé et l’écouta raconter sa rencontre avec Nina et sa petite-fille. Elle se montra concernée, très attentive, ce qui surprit sa colocataire qui craignait de l’ennuyer avec ses histoires.

— Très intéressant, la partie avec les sensations là, tu ne trouves pas ? fit-elle remarquer en gesticulant sa cuillère.

— Euh… moi, j’ai trouvé ça bizarre ! Ce n’est pas la première fois que ça m’arrive, mais jamais avec une telle intensité. J’ai eu l’impression d’absorber tous ses malheurs… et, apparemment, elle s’est sentie apaisée quand je l’ai touchée. C’est ce qu’elle m’a dit. Tant mieux, non ?

— Tu as peut-être la capacité d’absorber la douleur des gens et de leur envoyer un peu de réconfort.

— Genre, j’aurais des pouvoirs ? la regarda-t-elle d’un air railleur.

— Toujours dans l’excès cette fille ! lança Kanie en roulant des yeux.

— C’est toi qui me sors un truc pareil et là tu te moques de moi ? s’agaça Sakina qui croisa les bras et prit une mine boudeuse.

— Oui bon, raconte-moi la suite, je veux savoir pourquoi madame était si fatiguée la veille, il s’est passé autre chose ?

Sakina reprit. Kanie, assise en tailleur et appuyée contre le dossier du canapé, se redressa, soudain plus attentive et curieuse de comprendre pourquoi son amie s’impliquait autant auprès de cette famille. Elle l’observa avec audience tout en terminant de déguster son fromage blanc parsemé de fruits secs, de banane et d’une datte mixée. Sakina lui expliqua comment s’étaient déroulés ses entretiens d’embauche et les détails des postes, ajoutant qu’elle aurait un retour de l’hôpital dès lundi pour débuter le jour suivant.

— T’as vu c’est rapide, et je commencerai la veille de mon anniversaire.

— Ce serait un beau cadeau… En tout cas, je suis sûre que tu seras prise.

— C’est gentil de croire en moi.

— J’te connais, tu sais te vendre, tu sais te montrer persuasive, hein ?

— Je sais pas comment le prendre…

— Comme tu le veux, mais continues, je veux savoir la suite, j’ai des attentes, je veux des rebondissements !

— Tu rigoles ?

— Oui, c’est bon, vas-y poursuis !

— Mouais, enfin bref la suite c’est qu’en plus de l’entretien ils m’ont fait passer des tests, finalement je suis sortie de leur service vers 14 h, j’avais trop faim !

— Comme d’habitude tu me diras…

— Chut ! En sortant, j’ai allumé mon téléphone et j’ai vu un message de Nina qui me disait qu’elle était à l’hôpital et qu’elle y resterait quelques jours. Donc au lieu d’aller manger, je me suis rendue à l’accueil et j’ai demandé où était sa chambre. Je suis montée la voir et bien sûr elle n’était pas seule, elle était avec sa petite fille et son petit-fils.

— La fameuse Adela c’est ça ? demanda Kanie, intriguée.

— Ouais, laisse tomber, à côté d’elle, on ne ressemble à rien.

— TU ne ressembles à rien.

— Je suis sûre qu’elle te ferait peur à toi aussi, elle a un regard intimidant…

— Je pense pas qu’on aura l’occasion de se voir, avec mes journées chargées, j’ai pas le temps de rencontrer du monde, en tout cas en dehors des cours et du taf c’est mort.

— C’est vrai, sauf si un jour tu m’accompagnes.

— Non, j’crois pas non plus que ça arrivera.

— En tout cas, elle dégage une aura spéciale que je n’arrive pas vraiment à définir…

— Parce que maintenant tu perçois les auras des gens ?

— Non, mais tu vois ce que je veux dire. Mon instinct ne me trompe pas en général, je sens que cette une bonne personne, mais elle fait un peu peur.

— Un peu comme moi quoi ?

— Et c’est moi qui suis dans l’excès ? Franchement ? Toi, tu m’fais pas peur, tu m’agaces plutôt, rétorqua-t-elle en souriant et en levant les yeux au ciel.

— C’est rien, c’est réciproque ma chérie, dit Kanie tout sourire en lui faisant un clin d’œil.

— Pfff, je reprends ! souffla-t-elle amusée par ses fausses attaques. Donc, quand elle m’a vue, Nina était super contente, elle m’a fait un grand sourire et m’a présenté ses petits-enfants. Bon, avant ça… quand j’ai vu qu’elle n’était pas seule, j’ai fait demi-tour, mais Adela m’a rattrapée et m’a demandé de rester près de sa grand-mère. Je me suis exécutée parce que je l’ai pris comme un ordre… C’était gênant, j’osais pas trop parler. Et… son frère, lui, ne m’a même pas calculée quand je l’ai saluée. Ils sont sortis quelques minutes après pour me laisser discuter avec Nina.

Sakina lui raconta ce qu’elle avait appris sur la famille Lenne et l’état de Nina. À l’aube de ses soixante-dix ans, la grand-mère s’était confiée à elle, partageant la douleur de la perte de ses enfants et le poids de la maladie qui la rongeait depuis plusieurs années. Elle avait vaincu un cancer des poumons par le passé, mais celui-ci avait récidivé et s’était propagé à ses os, progressant jusqu’à atteindre un stade terminal. En l’écoutant, Kanie sembla émue ; elle éprouva de la compassion et de la tristesse pour cette dame qui lui était pourtant inconnue. Curieuse de savoir comment allaient les petits enfants, Kanie attendit qu’elle finisse avant de l’interroger. Elle déposa son bol vide et sa cuillère sur la table basse.

— On a parlé longtemps, je crois… pendant une demi-heure. Elle m’a demandé de passer la voir dès que j’en aurai l’occasion. Je pense que si je suis embauchée, j’irai la voir tous les jours pendant ma pause ou après le boulot.

— Et comment ils vont ?

— Ses petits-enfants ?

Kanie hocha la tête en signe de confirmation.

— Pas top, hein. En sortant, je les ai aperçus en train de discuter, ils étaient assis près de l’entrée du service. Je les sentais tristes et même en colère. Mais bon… Adela m’a demandé si j’allais bien. Elle m’a posé des questions, j’ai compris qu’elle voulait savoir ce qu’on s’était dit avec Nina. En revanche, Thomas, lui là, il ne m’a même pas adressé la parole. Il est resté à peine deux minutes avec nous. Ensuite, il est parti rejoindre Nina. Ah si ! Il m’a remerciée et souhaité une bonne journée, voilà c’est tout !

— Sa grand-mère va mourir très bientôt. Je peux comprendre qu’il n’ait pas envie de voir du monde et de sourire et même de parler. Et puis, c’est peut-être sa façon d’être, ça n’a rien à voir avec toi ! Alors, ne le prends pas pour toi.

— Je sais, mais… il était tellement froid que j’avais l’impression qu’il était fâché contre moi. Il dégageait un truc sombre, tu vois ce que je veux dire ?

— Non, mais il n’a aucune raison d’être énervé contre toi, bien au contraire ! Alors, n’y pense plus.

— C’est que… euh… ça n’a rien à voir… mais… rigole pas, d’accord ?

Elle marqua une pause, prenant une profonde inspiration avant de poursuivre :

— Mais… il est beau, vraiment beau.

Sakina, gênée par sa confession, tourna la tête vers le côté opposé de son amie, cachant son visage derrière ses longues boucles brunes qui tombaient en cascade.

— Ah ben tout s’explique ! S’il n’avait pas été à ton goût, aurais-tu relevé ce côté distant ? se moqua Kanie.

— Bien sûr, j’ai cru congeler à côté de lui ! rétorqua-t-elle, les joues rosies.

— Bon, finalement t’es partie de l’hôpital vers quelle heure ?

Sakina fut ravie que son amie n’insiste pas sur ce point-là. Elle ne voulait pas lui avouer qu’un simple échange de regard avec Thomas l’avait chamboulée au point de s’être déjà imaginé toute la soirée, marié avec lui.

— Tard… pour te dire franchement, j’ai fait un peu l’espionne, je les ai surveillés…

— QUOI ? Mais pourquoi, t’es folle !

Kanie bondit de sa place et lui jeta un coussin. Sakina le réceptionna en riant.

— Peut-être, mais j’avais envie de comprendre un truc, donc j’ai fait semblant de partir. Ensuite, j’ai attendu qu’Adela retourne dans la chambre et j’ai fait demi-tour. J’ai essayé d’écouter à la porte en toute discrétion. Il n’y avait personne dans les couloirs.

— Et donc ? demanda Kanie les bras croisés.

— J’entendais super mal !

— Quel scoop ! ironisa-t-elle le visage sévère.

— Oui bon… j’ai entendu parler de réunion familiale. Apparemment, elle aura lieu demain. Et… Thomas a parlé d’une malédiction qui le gonflait, j’ai pas trop bien compris, mais je pense qu’avec tous ses proches qui décèdent autour de lui, il doit voir ça comme une punition, une malédiction.

— Dans ce cas je te conseille de pas trop les approcher.

— Pourquoi ? C’est pas contagieux.

— Non, mais, t’es plutôt joyeuse comme fille, j’ai pas trop envie que tu traînes avec des gens qui ont l’air d’accumuler les épreuves, surtout si tu peux rien y faire.

— C’est gentil, mais ça m’dérange pas au contraire, j’aimerais les aider.

— Et comment ? T’as des solutions contre la mort toi maintenant ?

— Non c’est pas ça ! Mais… si je peux apporter un peu de réconfort…

— Apporte-le à Nina, oui ! Mais tu n’as pas besoin de t’impliquer avec les enfants.

Sakina fronça les sourcils, elle prit conscience qu’elle en faisait peut-être un peu trop.

— Ouais… t’as pas tort… répondit-elle soucieuse.

— Sinon, Saki… je dois te parler d’un sujet important, je crois que c’est le moment. Par contre, c’est un peu long.

— On a le temps, tu commences à quelle heure ce soir ?

— 18 h 30.

— Alors ça va.

Kanie se releva rapidement et alla se rafraichir. Elle revint après avoir enfilé un pantalon et s’installa à côté de son amie. Sakina remarqua son air angoissé, Kanie ne cessait de replacer sa tresse derrière son oreille et de fuir son regard. Ce qui ne fit qu’attiser sa curiosité.

— Si tu te sens pas prête, je peux attendre.

— C’est surtout que je sais pas trop par où commencer.

— Tu veux pas repartir chez toi ? Hein ?

— Non, non ! Pas du tout ! Rassure-toi !

— Ouf ! Mais pourquoi alors t’es stressée comme ça ? J’ai l’impression que tu vas m’annoncer une mauvaise nouvelle.

— Excuse-moi, c’est un sujet délicat. Je me suis entraînée à t’en parler, mais c’était plus facile devant mon miroir.

— Tu m’fais peur là, racontes !

— D’accord, sache que je ne blague pas et si tu as des questions, attends que je termine !

Kanie prit une profonde inspiration. Sourire chaleureux aux lèvres, elle fixa Sakina de ses grands yeux ambrés et se livra.

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