CHAPITRE II : LARS - LE DANDY ET LE CHAT
La lumière était non seulement aveuglante, mais aussi brûlante lorsque Lars fut éjecté hors du portail. À mesure qu'il se rapprochait du sol, la chaleur devenait insoutenable. Il eut juste le temps de jeter un sort pour ne pas terminer en rôti lorsqu'il s'écrasa brutalement contre quelqu'un.
Lui et son amortisseur inattendu roulèrent brièvement dans la poussière, puis Lars se retrouva plaqué au sol par... un gros chat ? Il sentit un début de panique poindre en lui.
— Qu'est ce que... Un humain ? Vivant ? murmura la créature avec étonnement.
Elle portait un espèce de masque doré couvrant une bonne partie de son visage. Lars croisa ses grands yeux chocolat qui le dévisageaient avec curiosité. Puis elle se pencha légèrement vers lui et... serait-elle en train de le humer ?
Il appuya alors ses deux paumes sur le torse de son agresseur et sa peau entra en contact avec un métal chaud.
— Utvis ! cracha-t-il pour se débarrasser de l'indésirable qui fut projeté au loin pour sa plus grande satisfaction.
Lars se redressa ensuite et essaya d'arranger ses cheveux et sa tenue sans un regard pour l'autre. Du coin de l'œil, il le vit quand même se redresser avec une grâce féline. Il s'agissait en fait d'un homme qui portait ce qui semblait être une armure dorée. Mais on aurait vraiment dit un fauve avec sa silhouette musclée et sa tignasse rousse qui contrastait superbement avec son teint hâlé. Pas mal du tout, dommage que Lars ait horreur des chats.
L'inconnu ne prononça pas un seul mot. Il se contentait de le fixer depuis sa place, jetant parfois d'insistants coups d'œil autour de lui. Lars le jaugea d'un air méfiant tout en observant furtivement cet étrange monde dans lequel il venait d'arriver : un pan de forêt et de plaine où l'odeur du printemps régnait dans l'air, cependant presque toute la verdure était desséchée. Au loin, il distinguait la façade d'une immense bâtisse, toutefois il était difficile d'y voir clair avec le ciel noir d'encre au dessus de leurs têtes. La seule source de lumière provenait d'un minuscule trou qui déchirait les ténèbres et laissait timidement passer les rayons de lune.
— Mais où suis-je donc tombé, murmura-t-il pour lui-même, une boule d'angoisse commençant à se former dans sa poitrine.
Il sentait, il savait que cet endroit n'était pas... normal. Il n'avait pas atterri dans un autre pays... mais vraiment ailleurs. Mais où ? Pour la première fois de sa vie, Lars eut envie de jurer, de débiter un tas d'insanités comme le faisait Leo pour évacuer sa frustration.
Mon dieu, Leo ! Songea-t-il avec effroi. Il devait retourner l'aider et vite !
— Qui es-tu ? demanda brusquement l'inconnu en armure, le tirant de ses sombres pensées.
Il s'avançait vers lui de sa démarche féline et Lars leva aussitôt une main à la hauteur de son visage, prêt à lui jeter un sort.
— N'approche surtout pas, prévint-il d'une voix égale, alors qu'en vérité, il n'avait jamais été aussi stressé et nerveux de toute sa vie. Je déteste les chats !
— Un chat ? Un... chat ?? Hahaha, quelle amusante plaisanterie ! Allons, maintenant, incline toi devant ton Dieu et réponds à ma question.
Lars resta un instant interdit. L'autre avait une voix délicieusement grave, avec un timbre sensuel qui, en d'autres lieux et circonstances, ne l'aurait pas laissé indifférent. Mais là, il devait se débarrasser de ce déséquilibré au plus vite et retourner auprès de Leo.
— Ved Brann, murmura-t-il.
Un immense cercle de feu apparut derrière lui, flottant au-dessus du sol. Il déversa un torrent de flammes sur son adversaire... qui éclata à nouveau de rire.
— Tu dois être bien ignare... Comment un signe de Feu pourrait-il craindre son propre élément ? le nargua ce dernier en continuant de s'approcher.
Il n'avait aucune égratignure, au contraire, il semblait davantage en pleine forme, les bras grands ouverts dans une attitude conquérante et provocatrice. Et sa voix virile ! Pendant un bref moment d'égarement, Lars ressentit une furieuse envie de découvrir le visage qui se cachait derrière le masque d'or, mais il reprit vivement ses esprits. Il plissa les yeux de mécontentement, personne ne se moquait aussi impunément de lui.
Et puis de quel signe il parlait ? Peu importe... Il ne craignait pas le feu, c'est ça ? Très bien. Les chats avaient une sainte horreur de l'eau...
— Ved Vann, cracha Lars, et le cercle enflammé derrière lui disparut aussitôt.
Un gigantesque anneau bleu et ondoyant le remplaça, juste au-dessus de l'impertinent. Celui-ci n'eut même pas le temps de réagir qu'un véritable raz de marée se déversa impitoyablement sur lui.
Il poussa un petit cri de surprise au contact de l'eau bien glacée. Puis, sous le regard extrêmement satisfait de Lars, il s'ébroua frénétiquement. On aurait vraiment dit un gros chat avec sa crinière ardente qui volait dans tous les sens.
— Aaaaah, tu n'es décidément pas drôle, étranger ! Regarde, je suis tout trempé !
Tout en se plaignant, il leva les poings et des flammes rougeoyantes jaillirent de son gantelet. Alors que Lars se tenait prêt à parer une possible attaque, l'autre dirigea ses paumes de part et d'autre de sa propre tête... Cet idiot était en fait en train de se sécher les cheveux ! Non mais quel culot ! Puis il devint brusquement sérieux et pointa un doigt enflammé vers Lars :
— Fini de jouer ! Maintenant, je veux des réponses : qui es-tu, que fais-tu ici, et pourquoi es-tu toujours en vie ?
— Et toi, qui es-tu ? rétorqua Lars du tac au tac, tandis qu'ils se faisaient face.
Il ne put s'empêcher d'ajouter d'un air suffisant :
— Oui, je suis toujours en vie, ce n'est pas cette petite chute qui aura raison d'un magicien de ma trempe !
— Magicien ? Qu'est-ce donc ? demanda l'agaçant personnage en le dévisageant avec intérêt, la tête légèrement penchée sur le côté.
Lars se demanda s'il n'était pas en train de se moquer de lui. Son interlocuteur finit par pousser un petit soupir théâtral en levant des yeux excédés au ciel, non sans d'abord regarder à nouveau autour de lui : il devenait de plus en plus évident qu'il cherchait quelque chose. Mais quoi ?
— Soit, ''Magicien''. Un bien étrange titre, probablement une nouvelle création de l'Humanité... Et est ce que ce titre accompagne un joli petit nom ?
Le dandy ouvrit de grands yeux face à son regard charmeur. Rêvait-il, ou est ce que cet énergumène était en train de flirter ?! Il en aurait été flatté si la situation n'exigeait pas qu'il retourne au plus vite dans son monde.
— Mon nom est Lars, et maintenant laisse-moi tranquille si tu n'as pas l'intention de te battre ! Je dois rentrer chez moi !
Il tendit les mains devant lui dans l'intention d'ouvrir un portail, mais l'autre lui fonça brusquement dessus à une vitesse fulgurante, le poing levé. Il crut d'abord qu'il était en train de l'attaquer... avant de remarquer l'espèce de sphère noire juste à côté de sa tête, s'évaporant au contact du gantelet enflammé. Qu'est ce que c'était que cette chose ? Aurait-elle pu lui faire du mal ? Si oui, cet inconnu venait-il de lui sauver la vie ? Était-ce ça qu'il guettait depuis tout à l'heure ?
Au même moment, l'armure qui le recouvrait s'illumina avant de disparaître, laissant enfin apparaître son visage... qui était vraiment tout proche du sien. Pendant une fraction de seconde, Lars ne put s'empêcher de détailler, admirer les magnifiques et mystérieux tatouages qu'il avait sur les joues. Il était vraiment très beau... Surtout lorsque ses lèvres s'étiraient en un sourire éclatant.
L'étrange jeune homme se pencha davantage vers lui et chuchota à son oreille :
— Enchanté, Lars le Magicien. Je m'appelle Leïv, Incarnation de la constellation du Lion. Ou Dieu du Soleil, selon ce que tu préfères... Si tu veux rentrer chez toi, rien de plus simple : tu n'as qu'à franchir le portail du monde des humains. C'est de là que tu viens, n'est ce pas ?
Il se redressa ensuite avec un petit rire et ajouta sur un ton plus sombre :
— Si tel est le cas, je serais curieux de savoir comment tu as pu emprunter un passage scellé d'un côté... ton côté, en l'occurrence. Je ne sais pas quel type d'humain tu es, mais tu n'es pas normal, c'est évident. Et si tu restes ici, sans moi, tu finiras par te faire tuer, comme ça a bien failli arriver.
Lars ne comprenait absolument rien de ce qu'il racontait ! Ce Leïv disait être un dieu ? Mais bien sûr ! Et aussi la constellation du Lion ? Voilà pourquoi il avait parlé de signe de feu tout à l'heure... Ceci dit, il n'avait franchement pas une tête de caillou spatial. Quoi qu'il en soit, le sorcier avait au moins la confirmation qu'il était bel et bien ailleurs, sûrement dans une autre réalité, ou alors sur une autre planète !
— Très bien, répliqua-t-il sèchement en s'écartant d'une élégante pirouette. Je te remercie pour tes conseils, Le Chat, mais je peux très bien me débrouiller tout seul ! D'ailleurs, je vais ouvrir mon propre portail pour repartir d'ici !
Il tendit les bras, paumes en avant, et concentra toute son énergie pour lancer le sort. C'était étrange, mais il commençait à se sentir nauséeux et sa tête le tournait légèrement. Le malaise s'intensifia, puis ce fut comme si des milliers d'étoiles explosaient brusquement devant ses yeux. Et pour la deuxième fois de la nuit, Lars s'effondra contre Leïv qui eut au moins la décence de le rattraper. Il se retrouva enveloppé dans ses bras chauds et musclés, et c'était plutôt plaisant...
Brusquement à bout de forces, le jeune homme se sentait peu à peu partir dans ceux de Morphée. Non, non, non, il devait vraiment retourner chez lui... Aider Leo...
Dans une dernière tentative désespérée, il agrippa l'espèce d'écharpe que portait le soi-disant dieu et rapprocha leurs visages. Leurs lèvres s'effleurèrent doucement, et les iris de Lars brillèrent d'une lueur surnaturelle tandis qu'il murmurait tout contre sa bouche :
— Le portail... ramène-moi chez moi... s'il te plait...
Puis ce fut de nouveau le néant.
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