CHAPITRE VIII : LARS - ZÉRO ABSOLU
"Ton amant". Les derniers mots lui firent l'effet d'un coup poignard dans le cœur. Leo n'était pas juste... C'était bien plus que ça... Pendant un bref instant, Lars revit son sourire espiègle, presque insolent, alors qu'il s'allumait une cigarette. Il entendit sa voix moqueuse le charrier sur son sale caractère, alors qu'au final, le sien ne valait pas mieux...
Tous ces souvenirs... l'idée que c'était peut-être tout ce qui lui resterait désormais de Leo... Lars en eut la gorge sèche. Dans une tentative désespérée de se changer les idées, il posa les yeux sur son reflet. Très mauvaise idée, car il n'aima pas du tout ce qu'il y vit : ses cheveux en bataille, ses vêtements froissés, mais surtout son regard hanté... Il avait l'air d'une pauvre loque. Pour un peu et il briserait aussi ce fichu miroir !
Mais Leïv avait raison, ce n'était pas correct.
Jusqu'à présent, son hôte s'était montré patient et complaisant, supportant ses "crises" sans trop rechigner. Dont celle de tout à l'heure... qui était quand même justifiée : Lars avait détesté chaque seconde passée dans ce placard. Pendant des heures l'ont tourmenté l'angoisse, le désespoir, mais surtout la peur. Cette peur pernicieuse qui le prenait à la gorge et l'étouffait à chaque fois qu'il se retrouvait dans un espace étroit et renfermé.
Il porta une main tremblante à son visage, ses iris continuaient de luire faiblement, signe qu'il avait encore beaucoup de mal à contrôler ses pouvoirs. Ses nerfs à vif n'aidaient pas à améliorer les choses... Si ça continuait, il allait finir par devoir emménager définitivement dans ce musée des horreurs ! À moins que la famille de fous de Leïv ne le retrouve avant...
Mais pourquoi ce genre de choses n'arrivait qu'à lui ?!
— Je... je m'excuse, finit-il par soupirer avec raideur en se tournant vers Leïv.
Ce dernier, toujours avachi sur le lit, le fixait avec une petite moue qu'il aurait peut-être trouvée adorable en d'autres circonstances, mais là, c'était juste affligeant.
— Je n'aurais pas dû me comporter aussi violemment à ton égard... J'ai, hum, perdu la tête. Mais la prochaine fois, pas de placard. S'il te plaît, ajouta-t-il avec mauvaise grâce, tout en essayant d'arranger un peu sa tenue et ses cheveux.
L'autre lui adressa aussitôt un grand sourire, celui qui allait jusqu'aux oreilles et qui l'exaspérait tant ! Cette expression taquine lui rappelait trop... Lars en vint presque à souhaiter retrouver cet air menaçant qu'il arborait un peu plus tôt. Au moins, ça lui rappelait que le dieu n'était pas un ami, un allié temporaire tout au plus.
— Excuses acceptées ! T'en fais pas, il faut plus que ça pour me fâcher ! lança-t-il gaiement en se redressant. Alors, es-tu enfin calmé ? Si oui, je connais un endroit parfait pour t'exercer avec tes pouvoirs ! Qu'en dis-tu ?
— Tout plutôt que de rester dans cette chambre une minute de plus, grommela Lars. Alors, comment nous allons nous y...
Le dernier mot s'étrangla dans sa gorge lorsque Leïv le saisit par la taille et le jeta sur son épaule comme un vulgaire sac, avant de filer telle une fusée. Le décor se brouilla autour de Lars durant plusieurs secondes, mais il n'eut même pas le temps d'avoir mal au coeur que le supplice cessa tout aussi brusquement. Leïv le redéposa à terre comme si de rien n'était, toujours avec ce sourire niais collé sur sa tête de Chat.
— Je déteste quand tu fais ça ! s'écria Lars en se retenant à grand-peine de ne pas lui donner une claque à l'arrière du crâne.
Son indésirable compagnon tourna vers lui un regard des plus innocents, les mains nonchalamment nouées derrière sa nuque. Il respirait une telle insouciance !
Lars mourrait d'envie de lui faire avaler cette espèce de parure qu'il avait sur la tête, tellement son attitude l'exaspérait. Et puis d'abord, c'était quoi toutes ces breloques en or qu'il portait en permanence ? Un collier, des bracelets sur les bras et les chevilles, des bagues partout et même des boucles d'oreilles, tiens ! Cléopâtre n'avait qu'à bien se tenir, ce type était aussi chargé qu'un sapin de Noël ! Ceci dit, Lars devait admettre que tout ce bling bling lui allait à ravir...
La couleur des bijoux offrait en effet un très beau contraste avec son teint hâlé... Et puis ça ne faisait qu'accentuer sa prestance, son charisme. Le jeune homme était vraiment beau. Et il aurait pu être encore plus impressionnant s'il n'avait pas constamment son grand rictus tout en joie. À se demander s'il n'en faisait pas un peu exprès.
Enfin, bref, Lars se détourna de lui et promena son regard améthyste sur son nouvel environnement. Il s'agissait de toute évidence d'un cratère. Un volcan ? C'était ça son idée miraculeuse ? Au moins, il semblait éteint. L'ombre des parois offrait même une certaine fraîcheur, enfin, façon de parler. Bon c'était mieux que rien, il aura beaucoup d'espace pour s'entraîner, surtout s'il parvenait à faire apparaître Fenris...
— Fais comme chez toi, je reviens tout de suite ! lança soudain Leïv avant de filer dans un bref courant d'air qui ébouriffa les cheveux déjà mal coiffés de Lars.
Mais où est-ce qu'il allait encore ?! Ce type était... juste... pas croyable ! Le temps de pousser un long, très long soupir d'exaspération et le magicien sentit de nouveau l'éphémère morsure du vent dans son dos.
— Mais à quoi est-ce que tu joues ? rouspéta-t-il en se retournant vers... personne.
Ce sale Chat était reparti ! Lars leva les yeux au ciel et son regard fut alors attiré par... une statue ? Tiens, mais elle n'était pas là il y a encore une minute ! Haute d'environ trois mètres, elle semblait représenter une sorte de fleur qu'il n'avait encore jamais vue auparavant. Curieux, il s'en approcha, et constata qu'elle scintillait comme de la glace. Il posa sa main dessus... oui, c'était bien de la glace. Ah, quelle fraîcheur bienvenue dans cette horrible fournaise ! Lars ne put s'empêcher de fermer les yeux pour savourer cette divine sensation qui ne lui avait jamais autant manquée qu'au cours des dernières heures.
Il resta ainsi un petit moment, appréciant le froid sur sa peau. Il sentait la glace pulser sous sa paume, réveillant sa nature profonde, la véritable source de pouvoir en lui. Le sentiment de puissance grandit peu à peu à mesure que la fraîcheur augmentait autour de lui.
Entre temps, il entendait Leïv faire plusieurs aller-retours. C'est comme s'il déposait quelque chose, avant de repartir en coup de vent. Encore et encore. Au bout de cinq minutes, Lars finit par rouvrir les yeux pour voir ce que le divin fricotait. Il constata alors avec surprise que la presque totalité du cratère était désormais entourée de statues scintillantes. La plupart représentaient une très belle jeune femme, dont le corps et le visage étaient sculptés avec tant de minutie que le résultat semblait presque... vivant. Magnifique.
Leïv revint une dernière fois avec une énorme sculpture de forme peu conventionnelle, assez abstraite, qu'il déposa au dernier emplacement libre. Il le rejoignit ensuite, toujours avec cet éternel sourire jusqu'aux oreilles :
— Tu dois déjà te sentir mieux, maintenant, non ?
— Quoi ? demanda Lars, un peu perdu par sa question.
— Comme tu n'as pas l'air d'apprécier la température ambiante, je me suis dit que tu serais plus à l'aise pour t'entrainer dans un environnement plus... frais. Alors, je suis allé chercher ces quelques petites babioles pour toi ! Et de la haute qualité, faites avec la glace du Verseau, autant te dire que ça va durer !
Lars resta interdit face à cette réponse donnée avec tant de candeur. L'attitude de son hôte commençait sérieusement à le déstabiliser. Il était si... prévenant envers sa personne. Bien sûr, ce n'était pas la première fois que des gens le traitaient avec attention, mais c'était parce qu'ils attendaient quelque chose en retour. Avec Leïv, c'était différent. Lars n'avait rien à marchander, rien qui pourrait l'intéresser. D'ailleurs, il ne comprenait pas pourquoi le dieu ne le livrait tout simplement pas à sa famille. Surtout qu'il ne s'était pas du tout montré de charmante compagnie depuis leur rencontre.
— Merci, finit-il par murmurer. Puis sans même s'en rendre compte, ses lèvres s'étirèrent en un petit sourire hésitant. C'est... parfait. Exactement ce qu'il me faut.
— Que vois-je ? Je savais que ta bouche n'était pas uniquement capable de maussaderie ! Voilà qui fait plaisir !
Le rictus de Lars se transforma aussitôt en une moue contrariée, ce qui ne fit qu'accentuer la tête joyeuse de l'autre. Mais franchement, quel être insupportable ! Même si avec la fraîcheur ambiante et tout, sa bonne humeur menaçait dangereusement de le contaminer.
— Trêve de bavardages ! Je suis particulièrement impatient que tu me montres ce dont un humain doté de pouvoirs est capable !
Le magicien leva les yeux au ciel en voyant sa tête curieuse. Assis en tailleur par terre, les yeux grands ouverts et brillants d'excitation, on aurait dit un gamin à un spectacle de magie... même si techniquement, c'était ce qui allait plus ou moins se passer.
Pendant une fraction de seconde, Lars sentit cependant le doute l'envahir. Et s'il n'arrivait à rien, à part se ridiculiser ? Ses pouvoirs étaient tellement instables depuis qu'il avait atterri dans ce monde... Un comble pour lui, l'un des meilleurs magiciens qui soient.
Eh bien justement ! Il devait faire honneur à sa réputation et en mettre plein la vue à son hôte. Avec toute cette glace, ce sera facile... Et puis comme ça, ce crétin le prendra davantage au sérieux la prochaine fois qu'il le menacera de mort.
Lars ferma les paupières et tendit les deux bras en avant. Il inspira lentement et ressentit le picotement familier de son véritable pouvoir parcourir sa peau. Ce dernier vibrait au plus profond de son âme et n'attendait qu'à se déchaîner. Un vent glacial se mit à tourbillonner autour de lui, la morsure du froid était tout simplement délicieuse. La glace l'appelait, elle se languissait de lui. Elle voulait qu'il la possède, qu'il la façonne, qu'ils ne fassent plus qu'un.
Il rouvrit brusquement les yeux, galvanisé par cette force qui palpitait de nouveau en lui.
— Komme, murmura-t-il en tendant une main vers la sculpture en forme de fleur.
Cette dernière se liquéfia immédiatement sur place. Puis la glace se mouva lascivement vers Lars. Elle ondoya brièvement autour de lui, puis de son bras tendu, avant de prendre peu à peu l'apparence d'un loup au corps lisse et scintillant.
La bête se tourna vers Lars : sa gueule béante dévoilait des crocs immenses dont les pointes tranchantes luisaient comme des diamants. Ses iris violets brillaient d'une lueur froide et féroce, offrant un magnifique contraste avec son apparence immaculée. Le magicien laissa courir ses doigts sur la tête de sa création, d'un geste presque tendre.
— Gå, ordonna-t-il ensuite en désignant d'un vaste mouvement de bras les statues qui s'alignaient le long de la façade pierreuse du cratère. L'animal bondit aussitôt en avant et se mit à courir suivant la paroi. À chaque fois qu'il passait devant une sculpture, la glace fondait aussitôt pour le rejoindre et s'unir paresseusement à son corps.
Le loup continuait inlassablement sa course, suivant les ordres gestuels de Lars. Les paumes du jeune homme balayaient l'espace en cercle, d'un mouvement ample, presque sensuel. L'animal, quant à lui, devenait de plus en plus grand à mesure que les statues se mêlaient à lui. Une fois arrivé à la dernière, il était devenu si immense qu'il occupait désormais une bonne partie de l'espace pourtant très vaste.
La bête tourna à nouveau sa gueule vers son maître, ses narines soufflaient un vent glacial qui fouetta délicieusement les mèches corbeau de ce dernier. Lars ferma brièvement les yeux, avant de les rouvrir et lancer d'une voix aussi froide que la température ambiante :
— Stige, et le loup géant bondit dans le ciel comme s'il voulait sortir hors du cratère, sous le regard satisfait de Lars. Transporté par toute la force qui bouillonnait en lui, celui-ci leva alors les deux bras en l'air, les paumes tournées vers le firmament.
— Fenris ! appela-t-il enfin.
Un tourbillon de neige, auquel se mêlait un halo de la même couleur que ses yeux, se forma aussitôt entre ses mains. L'ensemble façonna lentement sa précieuse canne, celle qui lui permettait d'accéder à toute l'étendue de ses pouvoirs, dépasser les limites du possible... Le cœur battant, Lars savourait déjà l'idée de la retrouver, glisser ses doigts sur son pommeau finement ouvragé...
Mais alors qu'il refermait la main sur l'arme, cette dernière s'évapora brutalement.
Tout s'était passé en à peine quelques secondes. Lars ne put retenir un cri de dépit en ramenant rageusement ses bras le long de son corps.
Sa fureur était si intense que la créature encore dans les cieux explosa en des centaines de stalactites, qui allèrent se ficher violemment dans les parois du cratère. Puis tout l'endroit se recouvrit lentement d'une épaisse couche de givre, tandis que Lars se laissait tomber à quatre pattes sur le sol, le souffle court et envahi par un sentiment d'humiliation totale.
Il n'avait pas réussi à appeler Fenris. Il était encore trop faible...
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