CHAPITRE X : LARS - TOUT CE QUI BRILLE N'EST PAS D'OR... SAUF ICI ! (2/2)
Tout en continuant ses explications, l'Incarnation s'allongea sur le sol, mains derrière la tête, son attention toujours rivée sur le voile clair.
— Quand elles vous... "dévorent", comme tu dis... Ça ne vous fait pas mal ? s'enquit Lars d'une voix curieuse. Il se souvenait que Leïv ne s'était pas tortillé de douleur ce matin, alors que le trou offrait quand même une vue imprenable sur son coeur !
— Non. On ne sent rien du tout. Si elles devaient nous infliger une blessure mortelle, ou nous tuer sur le champ... On ne s'en rendrait pas compte.
Il reprit très rapidement, voire trop rapidement, son expression taquine fétiche tout en agitant ses jambes sur le sol :
— Mais comme je suis le meilleur dans mon domaine, je n'ai pas de soucis à me faire ! Je ne suis touché que rarement, et jamais gravement !
Oui... En excluant cette fois-ci...
— Et donc, tu dois aller les combattre toutes les nuits ?
— Toutes les nuits, sans exception. Autrement, eh bien... Ce serait risquer la fin de toute vie dans l'Univers, haha ! déclara Leïv dans un grand sourire étincelant malgré la crispation visible de ses membres.
Il était donc ce genre d'homme... Le genre à faire le pitre pour oublier la peur.
— Et justement, ton fameux Univers, il ne fait rien pour vous aider ? demanda Lars sur un ton sarcastique avant de se faire fusiller du regard par son compagnon. Enfin, fusiller, c'était un bien grand mot : disons plutôt qu'il le regarda pendant quelques secondes silencieuses sans cligner une seule fois des yeux...
— Je vais oublier ton manque de respect flagrant - parce que je suis quelqu'un de très généreux - en te répondant que ce n'est pas un être comme toi et moi. C'est parce qu'il ne peut pas se défendre seul qu'il nous a permis de vivre. Donc, en nous laissant respirer, il nous aide déjà grandement.
Petite note à soi-même : ne jamais se moquer de l'Univers, apparemment un sujet aussi sensible pour Leïv que la mère de Leo pour celui-ci... Ah zut, voilà que son moral se retrouvait à nouveau au plus bas, déjà que ce n'était pas la joie avec le véritable fiasco que fut l'entraînement d'aujourd'hui. Sans même s'en rendre compte, Lars s'allongea à côté de lui en poussant un soupir à fendre l'âme.
— Allons, ce n'est pas la peine de t'en faire pour ça ! Ça fait six décennies, j'ai l'habitude ! Bien que j'aimerais vraiment que ça s'arrête un jour. J'en ai assez d'être obligé de sacrifier mes nuits au combat alors qu'il y a des choses infiniment plus agréables à faire !
— Et si tu te taisais un peu ? rétorqua Lars en esquissant un rictus mi-agacé, mi-moqueur. L'autre n'avait clairement pas besoin de faire un dessin pour lui faire comprendre ce qu'il entendait par "choses agréables". Tout ne tourne pas autour de ta divine personne.
Leïv lui répondit par un sourire éclatant qui lui fit hausser un sourcil amusé.
Le magicien repassa ensuite très rapidement la totalité de la conversation en boucle dans sa tête, histoire de bien assimiler toutes les informations que l'énergumène lui avait dévoilées. Il se sentait loin d'avoir entendu toute l'histoire, mais rien qu'avec ça, ce n'était clairement pas la belle vie pour le dieu et sa famille ! Et en parlant de famille...
— Tu as mentionné des prédécesseurs... Comment ça se passe, de ce côté là ? Si les étoiles peuvent aussi se reproduire, je n'ose même pas imaginer les horreurs génétiques que vous devez vous trimballer !
— Non, ce n'est pas comme ça qu'on fonctionne ! répliqua Leïv en riant.
Sur ces paroles, il se releva d'un bond et lui tendit la main :
— Viens, si tu veux, je vais te montrer !
Lars fixa la paume d'un air ennuyé. Il était fatigué, il avait encore envie de profiter de ce petit coin de fraîcheur. Mais d'un côté, il était curieux. Et puis il avait faim. Le jeune homme finit par se redresser en soupirant, saisissant la main de son hôte d'un geste hésitant.
— Tu ne vas pas aimer ça ! le prévint le rouquin sur un ton taquin.
Oh non... Ça signifiait que... Non... Non... Non !
— Pas ques..
Il n'eut même pas le temps de terminer sa phrase ou de lever les yeux au ciel que les voilà ENCORE repartis pour un tour infernal. Heureusement que son estomac était vide, sinon, il aurait tout rendu cette fois-ci. Quoique... finalement c'était bien dommage, ce foutu Chat se retiendrait peut-être de le trimballer comme un vulgaire sac s'il lui vomissait dessus ne serait-ce qu'une fois.
Ça n'aura duré qu'une trentaine de secondes, mais c'était toujours aussi désagréable. En fait, Lars ne pouvait dire ce qui était pire : la sensation d'être tiraillé de part en part, prêt à s'envoler, ou bien l'horrible chaleur revenant l'écraser impitoyablement une fois les deux hommes stoppés.
Les voilà arrivés à une sorte de village... On se croirait dans Kirikou, version riche. Plus exactement, ils se tenaient au sein d'une grande place circulaire pavée de pierres grises, que Lars hésitait à baptiser ''Avenue du Bling-Bling'' ou ''Boulevard du Cauchemar''. La raison ? Si les statuettes à l'image du Chat étaient dérangeantes à regarder... L'effet s'en trouvait quadruplé, quintuplé, ou même davantage avec leur version géante ! Bon... sang...
— Je suis censé capter un message, ou... demanda-t-il avec une gêne des plus ambiguës alors que son regard s'arrêtait sur le plus proche des titans d'or, posté sur l'une des maisons, tel un roi du monde.
Lars n'était pas du genre prude, mais là, quand même ! Entièrement nu, la virilité à peine dissimulée par la position de son bras... Ses jambes formaient même un pont, que dire, une arche avec la case d'à côté ! Partout, on ne voyait que ça, on ne voyait que lui... lui et son sourire à la fois si naïf et sexy, si insupportable !
Dans un petit ''hmm'' faussement bourré d'innocence, enfin, c'était de l'avis de Lars, Leïv se tourna vers lui et suivit son regard, puis éclata de rire en s'éventant gracieusement.
— Non, voyons, si j'avais ce genre d'intentions, je ne prendrais pas la peine de passer par un tel procédé, il y a bien plus simple ! Non, voilà ce que je veux te montrer.
Il tendit le bras pour s'emparer avec délicatesse du menton du magicien, puis tourna tout aussi délicatement sa tête vers le centre de la place. Lars essaya de ne pas s'attarder sur la sensualité de son geste et porta son attention sur trois autres statues (mais cette fois habillées, Dieu merci), debout sur un grand socle finement gravé. Chacune avait un visage bien différent de celui de Leïv, et leur expression digne et mature tranchait complètement avec les siennes. Cependant, toutes portaient les mêmes vêtements et arboraient les mêmes tatouages que lui. Lars en conclut que ça devait être un genre d'uniforme, de signe distinctif pour les gens de son espèce.
— Ce sont eux, mes prédécesseurs. Celui-ci, tout à gauche, c'est Sinha, l'Incarnation du Lion de la Première Génération. Lui, là, c'est Shishi-Za, de la Deuxième Génération. Et celui plus à droite, c'est Leijo, de la Troisième.
Seulement trois générations ? Ces dieux ne devaient pas exister depuis très longtemps, alors... À moins que... Depuis combien de temps il disait combattre ces néatrucs, déjà ? Et maintenant qu'il y songeait... ''Tu es sans conteste la chose la plus excitante qui me soit arrivée depuis...''
Pourquoi ça ne l'avait pas frappé tout de suite ?
— Tu as quel âge, si ce n'est pas trop indiscret ?
Mouais, vu l'endroit, ce n'était peut-être pas nécessaire d'employer ce mot... À sa question, Leïv se tourna vers lui, encore et toujours avec cet infatigable sourire candide :
— 819 ans ! Et je fêterai mon anniversaire dans tout juste deux mois !
Ah oui, quand même... Il ne les faisait certainement pas. Mais pour une fois, Lars pouvait sourire : enfin un autre point sur lequel il lui était supérieur!
— 819 ans, hein ? Et pourtant, tu te comportes encore comme un gamin, le toisa-t-il avec suffisance.
— C'est pour ça que je suis si merveilleux !
Lars leva lourdement les yeux au ciel, même si, il fallait l'avouer, sa réponse l'avait amusé.
— Je suis surpris que tu n'aies pas érigé une énième statue à ton image parmi eux, reprit-il avec une pointe de sarcasme.
— Oh, un jour, il y en aura une. Dans très longtemps, je l'espère.
Le ton dans la voix de Leïv avait changé à ces mots... Mais le sorcier ne le remarqua pas, bien que surpris par ce que le Chat venait de lui dire. Encore une étrangeté parmi toutes les autres.
— Vraiment ? Je ne te pensais pas capable de résister à l'envie d'ajouter un nouveau toi à chaque coin de rue ! insista-t-il alors en ricanant.
— Disons qu'elle sera assez différente... En fait, de toutes celles que tu peux voir...
Le divin s'avança jusqu'au socle, les lèvres légèrement frémissantes et les yeux totalement concentrés sur les anciens Lions, comme hypnotisé. Il semblait incapable de dévier le regard.
— ... C'est la seule que l'on retiendra. La seule qui comptera vraiment.
— Et en quoi ça t'empêche de la construire, si tu y tiens autant ? Je donnerais cher pour te voir avec un air sérieux, pour une fois.
Étrangement, Leïv ne lui répondit rien. Il souriait toujours, bien sûr, mais il y avait quelque chose de changé. Lars pouvait cette fois-ci le remarquer à la façon dont les coins de ses lèvres se soulevaient, et en l'occurrence, ils étaient plus bas que d'habitude.
— Ce ne sera pas à moi de la faire, se contenta-t-il finalement de murmurer.
Le dandy le dévisagea quelques instants, hésitant à lui demander ce qu'il voulait dire par là, quand un élément nouveau attira son attention. Plus exactement, un homme, surgi tout droit d'une ruelle adjacente. Ses grands iris clairs allaient et venaient d'un protagoniste à l'autre, une lueur de curiosité et d'inquiétude mêlées y brillant de plus en plus intensément.
— Seigneur Leïv...? Qui est-ce...?
Lars expira profondément. Ce n'était pas bon du tout...
Annotations