Chapitre 1

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TERESA


Au mois d’octobre.

   — Oui, tu es belle Teresa ! s’impatiente ma meilleure amie, assise sur le bord de son lit.

   Face au miroir plein pied que Cassandra a dans sa chambre, je me tortille dans tous les sens pour vérifier que mon déguisement d’ange de la mort est parfait avant de partir pour la soirée organisée par une connaissance de mes amis, dans un appartement de la capitale française.

            — Je n’en ai rien à foutre d’être belle, je veux être bonne, la corrigé-je en réajustant ma robe en similicuir noir.

            Cassandra ricane puis se lève pour se poster derrière moi.

            — Tu es super bonne dans cette robe. Je te jure, elle te fait des fesses d’enfer !

            Je frôle le torticolis pour vérifier ses dires et faut dire qu’elle a raison : j’ai un super cul. Le tissu épouse les courbes de mon corps à la perfection, s’arrête à mi-cuisse pour laisser des bas-résilles à grosses mailles s’enrouler autour de mes jambes.

            — Et ma tête, ça passe ou je change de rouge-à-lèvres ? demandé-je en passant la main dans mes cheveux pour leur donner un peu de volume. Carmin, ça fait peut-être trop, non ?

            Ma meilleure amie m’attrape par les épaules puis me retourne pour observer mon visage avec attention. Du bout des doigts, elle le meut pour le voir sous toutes les coutures et se permet même de replacer quelques mèches de mon carré blanc, coupé au-dessus de mes épaules.

            — C’est très bien Terrie, ne change plus rien, acte Cassandra en laissant retomber sa main le long de son corps. Maintenant, je t’en supplie, on y va.

            — Ok, c’est bon, capitulé-je en roulant des yeux.

            Je pars m’asseoir sur la chaise de bureau pour enfiler la paire de cuissardes à plateforme que Cassie me prête pour la soirée et je suis enfin prête. Dix minutes plus tard, nous sommes toutes les deux dans l’entrée de l’appartement du quinzième arrondissement de ses parents.

            — Faites attention et amusez-vous bien, les filles, nous souhaite la mère de Cassandra de son accent antillais avant de déposer un baiser sur la joue de sa fille.

            Le chauffeur d'Uber qui nous attend, garé en double-file devant l’entrée de l’immeuble, nous regarde d’un drôle d’œil lorsqu’il nous voit arriver vers lui. Faut dire que même un soir d’Halloween, croiser deux anges aux couleurs opposées peut être troublant. Nous rangeons nos ailes dans le coffre avant de monter à l’arrière, direction le septième arrondissement, près du Champ-de-Mars.

   — Les garçons sont déjà là-bas, me glisse Cassie en milieu de chemin alors qu’elle tient son portable entre ses mains. Aaron dit que la musique n’est pas dingue mais qu’il y a pas mal d’alcool.

   — T’façon, si ce n’est pas du rap, il n’est jamais content.

   Elle se contente de hausser les épaules car elle sait que j’ai raison. Son mec n’a pas les goûts musicaux les plus éclectiques au monde.

   Quand on se retrouve enfin devant la lourde porte faite de fer et de verre, la musique résonne dans la rue sans qu’on ne puisse distinguer clairement sa source. Mais aucun doute possible, c’est bien là où nous allons. Je tape le code envoyé par sms sur le digicode et entre dans le hall. Cette fois, je dois sonner à l’interphone et je n’ai même pas besoin de me présenter pour entendre le bruit signifiant que la porte a été ouverte.

   Quatrième étage, pas d’ascenseur. Monnaie courante dans les vieux immeubles parisiens, j’aurais néanmoins espéré qu’il y en aurait dans un endroit où les loyers sont exorbitants.

   — Argh, ces ailes n’arrêtent pas de me gratter le dos, se plaint Cassandra en gigotant alors que nous montons les escaliers.

   Moi aussi, elles me démangent mais je le garde pour moi.

   Guidées par la musique, nous nous arrêtons devant une porte entrouverte et avant de la pousser, je revêts mon masque de pétasse frivole.

   Celui que tout le monde adore et déteste à la fois.

   Celui pour lequel on désire passer la nuit avec moi ou me pousser du haut d’un pont.

   Mon habituel regard blasé est remplacé par un sourire aussi faux que les fesses sur Instagram et j’entre sans m’annoncer. On ne nous aurait pas entendu de toute façon.

   — Faut qu’on trouve les autres, je crie dans l’oreille de Cassie et elle acquiesce.

   L’appartement est plongé dans le noir et des éclairages colorés roulent et bougent dans tous les sens, illuminant les visages des invités de manière aléatoire. On se retrouve rapidement dans la pièce principale qui est aussi moderne que sophistiquée. Le coin salon se compose d’un canapé d’angle en cuir blanc capable d’accueillir une dizaine de personnes sans hésitation et de deux tables basses rondes en verre, où s’empilent gobelets en plastique et coupes de champagne. De l’autre côté de la pièce, un coin bar aux tons aussi sombres que mon déguisement offre tout le luxe qu’un établissement spécialisé pourrait offrir. Et je ne vous parle même pas du comptoir en marbre. Tout ici respire l’opulence : du plus petit meuble au plus gros tableau accroché au-dessus du canapé.

   Au bout du comptoir, un ordinateur branché à des enceintes balancent une playlist de son pop et je comprends qu’Aaron n’aime pas. Moi non plus. Le son résonne dans la pièce et s’échappe par les fenêtres grandes ouvertes.

   Hissées sur la pointe de nos pieds, Cassandra et moi cherchons l’une des têtes de nos amis. Tout ce que je trouve sont des regards tantôt intéressés, tantôt condescendants mais je n’y prête pas grande attention. Je me contente d’une analyse rapide des physiques masculins pour plus tard dans la soirée.

   — Tu crois qu’ils nous regardent comme ça à cause de nos déguisements ? s’inquiète mon amie.

   — Je n’en sais rien, et on s’en fout, lui rappelé-je en cherchant du regard le reste de notre bande.

   Ils nous dévisagent surtout parce qu’ils ne nous connaissent pas. Peut-être aussi pour mon déguisement que certains jugeront vulgaire, voire de « pute » pour les plus frustrés. Même si je trouverais ça vachement culotté venant de certaines.

   Cassie n’a rien à se reprocher avec sa robe fluide blanche qui se termine sous les genoux et son trench qu’elle porte sous ses ailes pour le moment. La couleur ressort à la perfection sur sa peau chocolat et ses cheveux lisses noirs. Elle porte un maquillage discret, le même qu’elle porte au quotidien : un trait fin de liner, du mascara et un peu de gloss. Pas plus, pas moins. Et je me rends compte qu’elle n’aurait pas pu trouver meilleur déguisement que celui d’ange, ça lui colle carrément à la peau tellement il lui sied.

   Ils ne sont pas dans cette pièce alors nous longeons le couloir de l’entrée. Au fond, une lumière s’échappe du pas de la porte et j’avance sans me poser de questions.

   — Ah bah enfin ! s’exclame Maxime lorsque nous entrons dans ce qui s’avère être la cuisine.

   Un sourire sincère déchire mon visage lorsque je reconnais les têtes maquillées de mes amis. Tous les quatre, plus la copine de l’un d’entre eux, entassés dans un coin près d’une fenêtre à l’écart d’un autre groupe, ils nous accueillent gaiement alors qu’on vient les saluer.

   Le premier à qui je dis bonjour est Naïm, mon meilleur ami depuis le lycée. Habillé en survêtement de foot de l’équipe d’Algérie, il n’a pas fait beaucoup d’efforts quand on sait que c’est sa passion et qu’il est joueur professionnel de futsal. Son bras musclé s’enroule avec difficulté autour de ma taille à cause de mes ailes pour me serrer contre son torse alors qu’il dépose ses lèvres contre ma tempe, dans un geste affectif, juste avant de me murmurer à l’oreille.

   — Si j’aperçois une seule fois un de tes sous-vêtements dans cette robe, je t’étrangle de mes propres mains.

   — Ça ne risque pas, je n’en ai pas mis, le provoqué-je en levant les yeux vers lui.

   Naïm mesure une petite quinzaine de centimètres de plus que moi mais grâce aux chaussures que je porte, je fais presque sa taille. De là où je suis, je peux apercevoir les boucles de ses cheveux noirs retomber sur son front et ses prunelles bleues, si claires qu’elles en deviennent presque translucides, prendre une teinte encore plus froide alors que Naïm me fusille du regard. Sa mâchoire bien dessinée se serre et je joue avec les poils de son bouc, qui s’étale un peu sur le bas de ses joues, pour le décoincer.

   — C’est bon, je rigole, me sentis-je obligée de préciser. Arrête de me regarder comme ça.

   Ses doigts s’enfoncent dans mes côtes pour me punir de ma mauvaise blague et je me tortille sur place comme une enfant. Il finit par me relâcher, non sans jurer en arabe dans sa barbe.

   A ma gauche vient Maxime, un grand brun squelettique aux traits du visage anguleux et harmonieux. Accompagné de sa copine Esther avec qui il est depuis l’été dernier, ils ont tous les deux de fausses blessures au cou et sur le visage alors qu’ils sont habillés comme le commun des mortels. Si j’offre une accolade enjouée au brun, je me contente d’un signe de tête pour celle qui l’accompagne.

   Depuis la première fois où j’ai rencontré la rouquine qui lui sert de petite-amie, le courant ne passe pas entre nous alors on se contente du strict minimum en termes de politesse et cela me va parfaitement.

   Le suivant sur la liste à saluer est Aaron et lorsque je me tourne vers lui, je le retrouve en train d’embrasser Cassandra, qui se tient à son cou comme à une bouée de sauvetage. Mal-à-l’aise, je me retourne directement vers le quatrième garçon de la bande, Cameron. Ou celui grâce à qui nous sommes là ce soir.

   Torse nu et recouvert de tatouages faits au liner, le jeune homme se tient devant la fenêtre grande ouverte qui laisse entrer une légère brise automnale. Ses cheveux colorés à la bombe verte et coiffés vers l’arrière, son teint cadavérique et ses lèvres rouges ne laissent aucun doute quant à son déguisement.

   — Le Joker portait une chemise dans le film, il me semble, non ? le titillé-je en me penchant pour lui faire la bise.

   D’un geste désinvolte, il crache la fumée de son joint vers l’extérieur.

   — Je trouvais dommage de cacher mon magnifique torse derrière un morceau de tissu. Puis les faux tatouages, ça fait partie intégrante du costume, se justifie-t-il en souriant.

   Un point pour lui. Avec Naïm et Aaron, ils passent une partie de leur temps libre à la salle de sport à soulever de la fonte et à courir sur des tapis. Si pour Naïm, il y a des raisons professionnelles qui le poussent à faire ça, les deux autres ne sont motivés que par l’esthétisme.

   Cameron est un franco-anglais dont la peau lisse et le sourire rayonnant qu’il offre lui donne un air enfantin. Son nez camard, ses lèvres fines, ses yeux marrons en amande. Le tout reflète toujours une joie communicative. C’est un peu notre petit soleil à nous.

   Malgré tout, il ne faut pas non plus se fier à son visage d’ange car ce qu’il fait de son temps n’a rien de catholique. Bien au contraire, vous pouvez me croire.

   — Et toi alors ? Azrael n’est pas censé être aussi sexy, et il doit avoir autant de langues et de yeux qu’il y a d’humains sur Terre, me taquine-t-il en désignant mon costume d’un geste de main las.

   — Tu me connais, je ne sais pas faire autrement, répliqué-je d’un haussement d’épaules faussement nonchalant.

   Je force un rire alors que je sais que le sien est sincère.

   Du coin de l’œil, je regarde Aaron et m’assure que la séance de bécotage est terminée avant de retenter une approche. Dieu merci, chacun à sa langue dans sa bouche. Cassie est en train de faire la bise au reste du groupe et je me glisse à côté du dernier garçon.

   De loin le plus grand et le plus imposant de la bande, Aaron m’a toujours impressionné. Encore plus ce soir, quand je le vois dans son costume de diable. 0 pour l’originalité (encore pire quand on regarde le costume de sa copine) mais 20 sur 20 pour l’exécution : il fait carrément flipper.

   Vêtu d’un jean déchiré noir, d’une chemise de la même couleur et d’une cravate rouge, il porte de fausses cornes ensanglantées, directement collés sur le haut de son front. Ses vêtements moulent les muscles de ses bras, de ses abdos, de ses fesses. C’est presque de la torture de voir un corps aussi bien bâti et de savoir qu’on ne peut pas y toucher. Ses cheveux bruns dégradés sur le côté sont coiffés vers l’arrière et ses yeux sont totalement noirs, autant ses iris recouverts de larges lentilles de contact que ses paupières maquillées de fard qui dégoulinent pour plus de réalisme. La couleur de ses lèvres est identique au reste : sombre, angoissante.

   J’ai toujours trouvé Aaron incroyablement attirant mais ce soir, c’est bien au-dessus. Ce qu’il dégage est sexy, puissant, érotique. Mais surtout, hors-de-portée.

   Son regard se pose sur moi, sa bouche s’entrouvre alors que j’entends nos amis discuter juste à côté de nous et toute mon attention est focalisée sur ce qu’il va dire.

   — Waouh, Teresa ! Tu es … Super belle… Dans cette robe…

   Ses prunelles dévalent le long de ma silhouette et je ne peux m’empêcher de tourner sur moi-même d’un air suffisant pour cacher ma gêne.

   — Et toi, tu me fais grave peur, répondis-je avec enthousiasme. Tu vas m’envoyer en enfer si je te fais la bise ?

   Pitoyable tentative d’humour à laquelle il rit malgré tout.

   — Tu n’as pas besoin de moi pour y aller si tu veux mon avis.

   Sa remarque n’est pas méchante, je le sais. Et le sourire en coin qu’il arbore en est la preuve. Je lui assène un coup de poing dans l’épaule qui le fait à peine bouger, encore moins grimacer. Puis je me hisse sur la pointe des pieds pour déposer un baiser sur sa joue imberbe.

   — Tu as dû passer des heures pour te déguiser, je ne pensais pas que tu jouerais le jeu à ce point, relevé-je en m’asseyant sur le meuble de cuisine à côté de lui.

   — Je n’ai pas eu le choix. Cassie a parlé de la soirée à ma sœur et Ludivine a absolument voulu s’occuper de mon costume, soupire-t-il en croisant les bras contre son torse, un gobelet dans la main droite. Comme c’est une maquilleuse pro et tout, tu comprends…

   J’opine du chef, balançant mes jambes dans le vide, et un silence s’installe entre nous.

   — Tu la féliciteras de ma part, c’est très réussi, finis-je par dire.

   Il me remercie puis recentre son attention sur ma meilleure amie qui vient se blottir contre lui.

   — Oh la la ! Tu es vraiment trop beau, mon chat, s’extasie-t-elle avant de l’embrasser.

   Je tente de dissimuler la moue aussi dégoutée que mal-à-l’aise lorsque je tourne la tête vers le reste du groupe mais c’est trop tard, Maxime l’a vu.

   — Fais pas cette gueule, Terrie ! Si on devait faire la même à chaque fois qu’on te voit embrasser quelqu’un... sous-entend-t-il et tout le monde s’esclaffe.

   Encore une fois, je ne me braque pas. Je sais que je ne suis sûrement pas la pire du groupe, merci Cameron, et même si c’était le cas, je sais que mes amis ne me jugeraient jamais. Enfin, j’essaie de m’en convaincre. Néanmoins, cela ne m’empêche pas de lui adresser mon majeur manucuré, amusée.

   — Eh, Lucas ! s’exclame Cameron en levant son bras pour attirer l’attention.

   Un gars d’à peu près notre âge, soit vingt ans, déguisé en gladiateur s’approche de nous en souriant, deux bouteilles vides dans les mains. Il les pose dans un coin du plan de travail avant de nous rejoindre.

   — Les filles, je vous présente Lucas, un gars de mon école. Lucas, c’est Teresa et Cassandra, celles dont on te parlait tout à l’heure, nous présente le blond en tirant un latte de son joint. C’est chez lui qu’on est.

   — Bienvenue chez moi, lance l’hôte de la fête en se penchant pour faire la bise à mon amie.

   Puis vient mon tour et sa main se pose sur ma cuisse qu’il serre presque imperceptiblement. Je lui offre mon sourire le plus charmeur lorsqu’il s’éloigne. Il n’est pas vraiment mon style, mais il n’est pas laid non plus. Juste un peu trop petit.

   Nous échangeons quelques mondanités avant qu’il ne doive retourner dans le salon.

   — J’ai vu que vous aviez encore vos affaires. Il y a une chambre à l’étage, au fond du couloir où tout le monde dépose ses sacs et ses manteaux alors n’hésitez pas ! nous informe-t-il.

   Et c’est maintenant que je me souviens de l’escalier que j’ai vu dans l’entrée.

   Je n’ai rien à y déposer, sauf un petit sac à main en cuir. Je n’ai pas pris de veste ou de manteau, pour deux raisons. La première, les températures de fin octobre sont plutôt bonnes, merci le dérèglement climatique. La seconde, je compte sur l’alcool et peut-être un garçon pour me réchauffer. Sans parler du fait que ça dénaturait complètement ma tenue. Et je ne dépose pas mon sac car si je peux caler mon téléphone dans mon décolleté, je n’ai pas de poche pour mes clopes et mon briquet. Quoi que, je pourrais demander à Naïm de les garder ? Non, il serait capable de les balancer au fond des toilettes pour m’empêcher de fumer.

   — Bon, on boit ou on s’encule ? Personnellement, je n’ai pas très soif, je lance en claquant mes cuisses alors que je cherche une bouteille ou deux qui traîneraient dans le coin.

   — Oh si, moi j’ai soif ! On se fait un shot ? rebondit Cassandra avec excitation.

   Personne ne relève son manque grave de compréhension des métaphores et du symbolisme, on y est habitués. Si je le suis depuis beaucoup plus longtemps que les autres, les garçons ont eu un peu plus d’un an pour s’en rendre compte depuis le jour où j’ai amené Cassie à une de nos soirées. C’est ce soir-là qu’elle a eu le coup de foudre pour Aaron et quelques semaines plus tard, ils ont officialisé leur relation.

   — Ne nous en voulez pas mais on ne vous a pas attendu pour commencer, souligne Aaron en montrant son verre.

   Je lui lance une moue outrée, ma main posée théâtralement sur la poitrine, avant de sauter du meuble et d'entraîner Cassie vers le salon par le bras.

   — Alors on prendra ces shots sans vous, bande de traitres !

   — Eh, hors de question de faire ça sans moi !

   Cameron balance la fin de son joint d’une pichenette par la fenêtre, nous rattrape et prend ma main dans la sienne pour nous guider jusqu’à la pièce principale en riant.

   Dans le salon, la musique est toujours assourdissante mais, au moins, ce n’est plus de la pop américaine. Nous sommes passés à des sons plus urbains de rap US, ça plaira aux garçons, mais ce n’est toujours pas ma came.

   Les corps se déhanchent sur la mini-piste de danse et j’aperçois Lucas en train de danser -se frotter serait un terme plus approprié- avec une blonde déguisée en Harley Quinn. Bon, je ne terminerais pas la soirée avec lui.

   On se fraie un chemin jusqu’au comptoir de bar où le blond se charge de remplir six shots, Naïm ne buvant pas d’alcool, puis les place devant chacun d’entre nous. Nous faisons le décompte puis la brûlure caractéristique du rhum glisse dans ma gorge alors que je claque le cul de mon verre contre le marbre.

   — Argh, c’est vraiment dégueulasse ! s’exclame Cassandra en grimaçant.

   — T’es vraiment la seule guadeloupéenne à ne pas aimer le rhum, se moque son petit-ami.

   La voix d’Aya Nakamura chantant Copines s’échappent des enceintes et un cri d’excitation sort de la bouche de Cassie. Elle sautille sur place puis se met à dansoter. Je plaque mon sac contre le torse de Naïm pour qu’il me le garde, le temps que j’aille danser sur la piste. J’entraine le petit ange avec moi et Cam, mon partenaire de danse favori, nous suit de lui-même.

   — T’es la plus bonne-bonne-bonne de mes copines ! me chante-t-elle comme une déclaration d’amitié.

   Je me laisse porter par les mélodies qui défilent et les shots que j’enchaine alors que Cassandra est partie déposer ses affaires à l’étage. Je me déhanche et bouge mes fesses comme je le fais à mon habitude, Cameron juste derrière moi. Il me tient par les hanches, suit mes mouvements et s’amuse à me provoquer mais il n’y a aucune ambiguïté entre nous malgré nos gestes qui peuvent laisser penser le contraire. C’est comme ça qu’on fonctionne, on s’amuse du raisonnable sans pour autant jamais franchir les limites.

   Au milieu de la foule, je fais mon show. C’est tout ce que je sais faire.

   Un petit cercle se forme autour de nous et nous encourage. Ils pensent qu’on se chauffe et qu’on va finir la nuit ensemble. C’est ce qu’ils pensent toujours et ça nous amuse, Cameron et moi.

   — Calme-toi un peu ou la moitié des mecs vont cracher dans leur froc, me glisse Cameron à l’oreille.

   Depuis un moment, je bouge distraitement mes hanches pour reposer mes muscles endoloris —à l’inverse de ce qu’on pourrait penser, twerker fatigue— mais motivée par l’effet que je fais sur tous les garçons présents dans la salle, je me remets à danser avec plus d’entrain et j’entends Cameron suivre le rythme en éclatant de rire.

   Penchée vers l’avant et les mains en appui sur les cuisses, je secoue mes fesses alors que le blond frotte son bassin contre moi. Mes cheveux volent à gauche, puis à droite et ma langue est tirée avec provocation. Mes prunelles balaient la pièce et dans un petit espace inoccupé, je trouve Aaron appuyé contre le mur, en train de boire je ne sais quel breuvage. Son attention semble être centrée sur moi malgré Naïm en train de lui parler. Lorsqu’il abaisse son gobelet, il pourlèche sa lèvre et je me demande s’il cherche à récupérer une goutte de boisson baladeuse ou si c’est mon petit spectacle qui lui plait.

   Mais qu’est-ce que tu fous, Teresa ! Reprends-toi !

   Comme frappée par la foudre, je prétends devoir tirer sur ma robe qui remonte pour me redresser et faire face à Cameron. Puis j’enroule mes bras autour de son cou pour tourner le dos au diable qui joue avec mes pensées.

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