Chapitre 9 (2)
Je perds la notion du temps à mesure que j'enquille verre de whisky sur verre de whisky. L'alcool coule dans mes veines et les basses de la musique hip-hop pulsent dans mes tympans. Les lumières éteintes, seules les guirlandes colorées nous illuminent. Je me laisse porter par le rythme, mon verre à la main que je sirote trop rapidement pour que ça ne me monte pas au crâne. Les bouteilles d'alcools se vident à mesure que les verres se remplissent et les musiques défilent. Autour de moi, tout le monde danse et se déhanche, même Maxime fait un effort. Naïm et Cameron sautent partout en hurlant les paroles des chansons, Esther se dandine un peu avec son copain, Alexia bouge timidement avec Cassie et Teresa. Les sons varient du morceau de rap au reggaeton, au hip-hop et même des sonorités caribéennes par moment. C'est ça d'avoir une grande bande aux goûts musicaux variés.
Sur une musique aux consonnances hip-hop, Cassandra vient se frotter, dos à moi, dans une danse qui se veut lascive mais elle manque d'assurance. Je ne lui en veux pas, ce n'est pas son genre. Puis ça m'excite quand même. Je porte mon verre à mes lèvres et avale une énième gorgée de liqueur alors que mon autre main vient se poser sur sa hanche pour calquer mes mouvements de reins aux siens. Doucement, je conduis mes doigts sur sa colonne vertébrale, l'invitant tacitement à se pencher davantage, à lui mettre presque la tête à l'envers. Mais je n'aurais peut-être pas dû.
La vision de Teresa en train de danser, encouragée par son camarade de beuverie préféré Cameron qui filme son cul, se reflète sur ma rétine. Perchée sur sa paire de haut-talons, en position squat et les mains sur les cuisses, elle secoue ses fesses, ondule des hanches. Toutes les vingt secondes, la blonde tire sur sa robe moulante en sequin vert qui menace de laisser entrevoir ses sous-vêtements, si elle en porte. Elle affiche ce sourire aguicheur qu'elle a toujours lorsqu'elle est saoule et tire même la langue de manière provocante. Elle ressemble à ces filles en boite qu'on traiterait facilement de salope. Certains diraient même que c'en est une. Mais je la connais suffisamment pour savoir que ce n'est pas le cas. Ou peut-être que j'en ai rien à foutre.
— Arrête Aaron ! Tu sais que j'aime pas quand tu fais ça, se plaint Cassandra en me frappant le torse lorsqu'elle se redresse, les sourcils froncés.
Ça me fait lever les yeux au ciel alors que je défais les deux premiers boutons de ma chemise blanche, soudain en proie à une vague de chaleur. J'ai l'impression qu'elle n'aime jamais rien que je fais. Je n'ai pas le temps de lui faire la remarque, la musique change et Teresa me coupe la parole, s'exclamant.
— Oh putain, ma musique préférée !
Elle dit ça à chaque fois que c'est à sonorité latino et en espagnol. Au final, on ne sait même pas laquelle est vraiment sa musique préférée.
— Tu dis tout le temps ça, lui fait remarquer Maxime qui s'est assis sur un des bancs, le téléphone à la main pour immortaliser la soirée.
Amusée, Teresa lui adresse son troisième doigt sans même le regarder alors qu'elle se dirige vers sa meilleure amie pour danser. A l'oreille, je crois reconnaître une bachata, une musique aux sonorités bien plus sensuelles que toutes celles passées ce soir. Je ne connais pas le titre, ni le chanteur mais je l'ai déjà entendu au pub où je travaille.
La piste de danse improvisée s'est vidée au changement d'ambiance et seules Esther et Alexia dansent dans un coin en riant. Les garçons se sont assis sur les bancs ou sont partis se resservir un verre, ce que je pars faire à mon tour.
— Mais je ne sais pas danser ça, Terrie ! j'entends ronchonner Cassandra derrière moi. Demande à quelqu'un d'autre.
La Terre tourne autour de moi, maintenant que j'ai arrêté de bouger et je dois me concentrer pour ne pas mettre de whisky à côté de mon verre, posé sur le comptoir de la cuisine.
— Allez ! Les autres ne veulent pas danser. C'est facile, tu verras, insiste Teresa.
— Aaron sait danser, vois avec lui. Je suis certaine qu'il ne refusera pas. Moi, j'ai besoin d'une pause.
Entendre mon nom me fait lever les pupilles de mon verre et je renverse un peu de mon précieux alcool à côté. Je discerne les filles de l'autre côté du comptoir avec difficultés, un voile flou perturbant ma vision. Teresa me tend sa main manucurée, comme une invitation à aller danser.
— Merci mais je passe mon tour, je refuse en secouant la tête.
A force de danser, j'ai trop chaud et je sens une fine pellicule de sueur recouvrir mon épiderme. Aller fumer une cigarette sur le balcon et prendre une bouffée d'air frais me ferait le plus grand bien mais ce n'est pas le plan de ma petite-amie, qui me supplie du regard.
— S'il te plait, juste une danse. Comme ça, elle nous laisse tranquille.
— Mais oui, Aaron, juste une danse, pouffe la peroxydée en face de moi, la main toujours tendue.
Mon regard alterne entre Cassandra qui m'implore d'accepter et Teresa qui s'amuse de la situation comme à son habitude. Je réfléchis un instant, ma langue caressant ma lèvre inférieure d'une lenteur exagérée.
Pour toute réponse, j'attrape la fine main de la blonde et fais le tour du comptoir, laissant mon verre derrière moi. Cassie me remercie en m'adressant un grand sourire et ses deux pouces pointent le ciel avec engouement.
De retour sur la piste de danse, je garde les doigts de Teresa dans les miens et vient placer la seconde main dans son dos, pour rapprocher son corps du mien. Elle se laisse faire et dépose la sienne sur mon omoplate.
Nous trouvons rapidement notre rythme. En même temps, pas besoin d'être un danseur professionnel. Il suffit de faire deux pas à gauche, deux pas à droite et de bouger un peu ses hanches. Si j'ai du mal à me laisser aller dans un premier temps, je finis par y parvenir et mes mouvements se font plus fluides, moins robotiques. Je la fais même tourner quelques fois avec une facilité qui m'étonne moi-même, pour toujours la reprendre dans mes bras. Comme si nos corps savaient ce qu'ils faisaient sans avoir besoin d'être guidés.
— Pas trop mal pour un débutant, me complimente ma partenaire en souriant.
Un de ces sourires aussi sincères qu'alcoolisés. Qui dévoilent ses dents blanches et creusent ses joues. Mais qu'elle n'accorde que trop rarement.
Merci aux innombrables clientes qui ont désiré danser avec moi pendant mes services et qui m'ont permis d'atteindre un niveau pas trop dégueulasse en bachata au fil des soirées.
Même avec ses talons hauts, Teresa reste plus petite que moi de quelques centimètres et elle doit lever la tête pour me regarder dans les yeux. Je lui fais un clin d'œil, qui la fait rire, puis j'approche mon visage de son oreille, son odeur de mangue s'infiltrant dans mes narines.
— Aussi bien que Cameron ou j'ai encore des progrès à faire ?
— Hum... Encore quelques progrès à faire en termes de sensualité pour ce genre de danse, je dirais.
— Alors tu n'as encore rien vu.
Son souffle se bloque dans sa gorge et j'en profite pour la rapprocher encore plus de moi. Ses seins frottent mon torse, nos jambes s'entremêlent et ma main glisse jusqu'à la chute de ses reins. L'autre va se cacher dans sa chevelure décolorée alors que mon front se repose contre le sien. Je ne sais pas si c'est dû à l'alcool, à cette envie de lui montrer mes talents de danseur ou à une autre raison mais je ressens le besoin soudain de la sentir contre moi. J'en oublie même que nous ne sommes pas seuls dans la pièce.
Teresa se laisse faire, comme dans un état second, mais reprend vite contenance et ses doigts fins viennent caresser ma nuque et la naissance de mes cheveux. Je la sens se frotter contre ma cuisse, coincée entre les siennes, et frotter mon intimité. Une décharge électrique me traverse le corps avant que je n'éloigne mon visage pour plonger mon regard vitreux dans le sien, alors que nous continuons toujours de danser. La canine coincée dans la lèvre pour réprimer un rictus, Teresa m'observe comme si elle voulait que je la prenne sur le champ. Ou alors, je pars en couille et c'est moi qui en ait envie ?
Je n'en sais rien, je n'arrive plus à me concentrer.
— Tu vas finir par me faire vriller si tu continues, m'entends-je lui souffler, la voix rauque.
— Peut-être que c'est ce que je veux, rétorque-t-elle alors en souriant.
Un grognement sourd quitte mon corps alors que je balance ma tête vers l'arrière. Qu'elle continue à agir de la sorte et ça risque de vraiment partir en couilles.
Attendez, ça part déjà en couilles. Qu'est-ce que je suis en train de faire ? De te frotter à Teresa, sous les yeux de vos meilleurs amis et de ta petite-amie. Faut que je mette un terme à tout ce cirque.
— Ferme-la et profite, gronde la petite voix dans ma tête et, pour une fois, je l'écoute sans rechigner.
Mais la musique change pour un son afro, de ceux où les filles secouent leurs fesses dessus, et Teresa me repousse en poussant une exclamation de joie. A deux doigts de crier que c'est sa musique préférée. Je l'observe néanmoins bouger pendant un instant avant de lui donner une petite fessée d'encouragement.
— Allez, danse pour moi, femelle. Je te regarde, lui murmuré-je à l'oreille puis je pars récupérer mon verre qui m'attend toujours à la même place.
Cassandra aussi m'attend. Juste derrière ma boisson. Ses lèvres forment une ligne fine et son regard se retrouve voilé d'une émotion que je ne discerne pas dans l'obscurité. Mais plus je m'approche, plus je prends conscience du geste que je viens d'avoir devant tout le monde et du fait que je l'ai sûrement blessée, peut-être même humiliée.
— Ce n'était qu'une fessée amicale, c'était pour déconner, la rassuré-je en passant un bras autour de ses épaules et en la ramenant vers moi.
La métisse hoche la tête doucement et se blottit contre moi, enroulant son bras dans mon dos.
— Ne t'inquiète pas, je sais que c'est que de l'amitié. Puis je vous fais confiance, m'assure-t-elle en forçant un petit sourire alors que j'avale cul-sec mon verre, les prunelles rivées sur Teresa qui se déhanche pour moi.
Mais je sens bien que son ton a changé.
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