Chapitre 11
AARON
Vous êtes-vous déjà dit que vous étiez dans la merde, vraiment dans la merde ? Moi, plusieurs fois. Une fois, quand mon père m’a mis à la rue une nuit alors que j’étais encore au lycée. Une autre fois, lorsque j’ai cru avoir mis une fille enceinte. Et ce soir, quand j’ai réalisé que je passais ma soirée à attendre après Teresa. Depuis que j’ai senti son petit corps remuer sur et devant moi.
D’une pichenette, j’éjecte mon troisième mégot par-dessus la balustrade du balcon de ma chambre puis enfonce ma main dans la poche de mon jogging pour attraper mon paquet de cigarettes. Mes poumons auront du mal à se remettre de cette soirée, ma gorge me gratte déjà. Mais j’y peux rien, c’est plus fort que moi.
En tête à tête avec la Lune, j’essaie d’ordonner mes pensées chaotiques mais l’alcool qui coule dans mes veines ne m’aide pas des masses. Les voix des filles qui résonnent un étage plus bas non plus. Trop loin pour que je discerne ce qu’elles se disent, elles sont suffisamment proches pour faire cogner mon cœur dans ma cage thoracique.
Je pourrais aller me coucher. Après tout, je baille toutes les deux minutes trente environ et j’en ai marre de réfléchir mais les savoir réunies ne me rassurent pas. Ce n’est un secret pour personne, l’alcool délie les langues et les esprits. J’essaie de me rassurer en me disant que tout va bien tant que j’entends leurs voix s’élever dans le silence nocturne mais les écouter parler sans savoir de quoi me rend fou. Tous les scénarios se mêlent dans ma tête, même les pires et je finis par retourner dans ma chambre, avant de péter les plombs, tout seul dans mon coin.
Je m’allonge sur mon lit sans prendre la peine de me glisser sous les couvertures, au milieu de la pièce tout juste illuminée par la lumière de la Lune. Les yeux rivés sur un point invisible du plafond, j’essaie de faire le vide, de trouver le sommeil. Mais j’abandonne vite quand l’envie me prend d’aller dans la chambre de Teresa, juste à côté de la mienne. Je sais qu’elle y est, je l’ai entendu remonter comme un troupeau d’éléphants. La retrouver serait la pire idée du siècle, pourtant, putain ce qu’elle est tentante.
Pour sentir de nouveau la chaleur de sa peau sous la pulpe de mes doigts, savoir son rythme cardiaque s’accélérer à cause de mes caresses, goûter encore à l’humidité de sa bouche.
J’ai l’impression qu’elle m’a lancé un sortilège. Seule réponse possible pour expliquer le désir que je ressens pour la blonde depuis qu’on s’est retrouvés dans le chalet, perdus au milieu des montagnes. Il me faut de l’eau froide, congelée. Pour me la foutre sur le visage et me remettre les idées en place.
Je suis avec Cassandra depuis un an et j’ai été fidèle pendant presque autant de temps. Alors pourquoi cela me paraît-il impossible depuis que je me suis retrouvé dans cette piaule chez le pote de Cameron ? Peut-être parce que c’est la dernière fois que tu as baisé.
La porte de la chambre s’ouvre, claque contre le mur. Cassandra chancelle et s’appuie dessus pour ne pas s’étaler. Un petit ricanement résonne avant qu’elle ne se mette à chuchoter pour elle-même.
— Shh, il ne faut pas réveiller Aaron, mon bébé.
J’esquisse un petit sourire attendri, même si elle ne peut pas le voir, puis allume la lampe de chevet d’une main.
— Je ne dormais pas encore, je t’attendais.
Pas vraiment un mensonge, ni une vérité. Je ne suis pas certain que j’aurais réussi à trouver le sommeil sans la savoir couchée à côté de moi.
Son regard rouge et vitreux se pose sur mon corps habillé d’un sweatshirt et d’un jogging, alors qu’elle referme la porte derrière elle. Une idée semble lui traverser l’esprit car son visage s’illumine, ses dents capturant sa lèvre inférieure.
— Alors ça, c’est vraiment parfait.
Curieux, j’hausse un sourcil alors qu’elle commence à se déchausser, balançant ses talons dans un coin, puis vient se placer au pied du lit. Ses cheveux défrisés se rebellent après qu’elle se soit amusée avec toute la soirée, son maquillage coule mais j’ai déjà vu pire. A l’aveugle, elle dézippe la fermeture éclair de sa robe bustier mauve, ses prunelles plongées dans les miennes. Silencieux, j’attends qu’elle m’explique ce qu’elle est en train de faire. A la place, Cassie fait glisser le tissu le long de sa poitrine, sa taille, ses hanches, puis ses jambes avant qu’il ne s’écrase sur le sol, découvrant ses sous-vêtements en coton noir. Ses mouvements sont un peu désordonnés et hésitants alors qu’elle essaie d’être sexy. Lentement, elle grimpe sur le matelas à quatre pattes avant de ramper jusqu’à moi.
Ah, j’ai compris ce qu’elle est en train de faire. Je me demande pourquoi elle le fait. Cassandra n’est pas le genre de fille pleine de libido, qui prend les devants et me grimpe dessus, prise d’une soudaine pulsion sexuelle. Elle est du genre qu’on doit travailler au corps, qu’on baise en missionnaire ou en levrette les soirs de fêtes et qu’on câline pendant des heures après. Non pas que je m’en plaigne, mais le changement est remarquable.
—Attends, qu’est-ce que tu fais ? je ne peux m’empêcher de lui demander lorsqu’elle arrive au niveau de mon torse.
— Bah, on va faire l’amour, Bébé.
Une synapse pète quand j’assimile ses paroles et mes deux sourcils se haussent sous la surprise. Alors c’est bien vrai ? Je vais enfin pouvoir niquer après des semaines d’abstinence ? Ce n’est pas une blague ? C’est exactement ce dont j’ai besoin pour me remettre les idées au clair.
Mes mains se posent sur sa taille fine pour la ramener jusqu’à mon visage alors qu’elle lâche un petit bruit surpris. Nos lèvres s’entrechoquent avec force et un gémissement quitte sa bouche lorsque ma langue force le passage mais elle se laisse faire. Ses doigts fins se glissent dans mes cheveux qu’elle tire au passage et ça me fait grogner. Teresa fait la même chose.
Putain, c’est vraiment pas le moment de penser à elle. D’ailleurs, de tous les moments, celui où je suis sur le point de coucher avec ma copine est certainement le pire.
Complètement en manque, je laisse sillonner mes mains le long de son corps, comme si c’était la première fois que je le découvrais. Mon érection grossit peu à peu et vient se coller aux fesses de Cassandra, qui se frotte dessus. Ça fait tellement longtemps que je serais capable de finir dans mon caleçon.
Mes lèvres courent de sa bouche à son cou puis sa poitrine et je profite du fait qu’elle se redresse pour glisser ma main entre ses cuisses fermes. Elle est trempée. Trempée et chaude. Je la pénètre d’un doigt et elle gémit alors qu’un râle satisfait s’échappe de ma gorge.
— Attends, attends Aaron, geint la métisse après quelques allers-retours.
Je l’observe, sans rien dire mais la respiration erratique. Comme si laisser les mots sortir feraient éclater la bulle dans laquelle je me trouve. Dans laquelle Cassie et moi, on se trouve.
Elle s’agenouille à ma droite et lorsqu’elle commence à descendre mon jogging gris et mon caleçon, je me contente de lever les bras et les hanches en symbole de reddition. Pantalon aux chevilles, je gaine pour faire passer mon t-shirt par-dessus ma tête. Elle profite du moment pour dégrafer son soutien-gorge rembourré et retirer sa petite culotte. Je bloque un instant sur la vision qui s’offre à moi. Ça faisait tellement longtemps…
Cassandra se passe les mains dans les cheveux alors qu’elle détaille mon corps nu et tendu pour elle. Ses petits seins ronds montent et descendent au rythme de ses inspirations et expirations saccadées. Si elle ne se dépêche pas de faire quelque chose, je risque de perdre le contrôle et de la prendre plus violemment que jamais.
Sans plus attendre, Cassie me chevauche de nouveau et guide ma queue pour l’enfoncer en elle.
— Oh putain de sa mère, grogné-je alors que mes doigts s’accrochèrent avec force à ses hanches.
Nos gémissements se mêlent au bruit de nos peaux qui s’entrechoquent dans une mélodie obscène. Le lit tremble et cogne contre le mur derrière moi sous les à-coups de ma copine. Si quelqu’un est réveillé, il nous entend à coup sûr mais je m’en bats la race. Cassandra est plus bruyante que d’habitude, ce n’est pas désagréable, juste différent. Et je n’ai même pas l’impression que c’est ma copine qui me chevauche lorsqu’elle m’attrape les mains pour que je me mette à la peloter.
— Oh oui, continue Aaron, m’encourage-t-elle avec un peu trop d’entrain.
Mes lèvres se pincent alors que mes mains agrippent ses fesses. Mes mouvements s’amplifient, s’accélèrent. Une chaleur s’immisce dans mes veines, dans mes muscles. Même dans mon crâne. Je kiffe tellement ce qu’il se passe que j’en ferme les yeux pour profiter pleinement des sensations.
Je n’arrive même plus à me souvenir de ce qui me prenait la tête plus tôt. Tout ce qui m’importe désormais est de la prendre, dos à moi, et de tirer sur sa chevelure peroxydée pour qu’elle se cambre. Hein ?
Mes ongles s’enfoncent dans la chair trop ferme de ses fesses pour être celles que j’imagine et j’ouvre les paupières lorsque j’entends un gémissement plus fort que les autres. La déception traverse mon esprit un quart de seconde avant que je ne me mette à regretter. Putain, j’étais en train d’imaginer Teresa.
Cassandra ne remarque rien, continue ses mouvements malgré ses cuisses qui doivent commencer à brûler. Faut que je me reconcentre sur ce qui est en train de se passer. Mais c’est trop tard et quelques allers-retours plus tard, ma queue redevenue à moitié molle est inutilisable. La métisse ne perd pas espoir et après s’être retirée, tente de me branler.
— Arrête, Cass’. Ça sert à rien, la repoussé-je, aussi frustré qu’énervé contre moi.
C’est quoi ça ? Comment ça, je ne suis même pas capable de bander alors que je baise ma meuf ?!
Mâchoire serrée, je me lève du lit, attrape mon caleçon qui gît sur le sol puis me rhabille. Je renfile mon jogging et mon sweatshirt alors que je sens le regard confus de la brune me brûler le dos. Je dois aller fumer pour étouffer ses putains de pensées qui se bousculent dans mon crâne.
Sur le balcon, le froid me mord la peau mais je le ressens à peine. J’ai trop la haine pour en prendre conscience. La haine de penser à Teresa dans un moment pareil, la haine d’avoir été déçu que ce ne soit pas vraiment elle, la haine d’avoir même pas été capable de finir après un putain de mois d’abstinence.
J’étouffe ma colère dans la nicotine que j’inhale. J’enchaine les taffes et ma première clope se termine.
Je ne sais pas ce que fait Cassandra dans la chambre mais elle a au moins l’intelligence de ne pas venir me rassurer sur mes performances avec ces phrases toutes faites pour essayer de remonter mon égo. Je crois que ça m’aurait rendu encore plus fou.
Mes doigts viennent frotter la peau de mon visage, s’enfouissent dans mes cheveux pour les tirer vers l’arrière.
— Tout va bien, bébé ? résonne la petite voix de Cassandra derrière moi.
A la dernière seconde, je retiens un lourd soupir. Un mélange d’agacement et de frustration.
— Ouais. Va dormir, je ne vais pas tarder.
Ses bras minces s’enroulent autour de mon ventre malgré tout et elle cale sa tête entre mes omoplates. J’ai envie de la faire dégager, mais elle ne le mérite pas. Tout est ma faute, pas la sienne.
Je ne sais pas combien de temps on reste ainsi, sans bouger, sans prononcer le moindre mot, mais Cass’ reprend la parole après ce qu’il me semble être une éternité. Éternité durant laquelle elle réfléchissait si fort que j’avais l’impression de l’entendre penser.
— J-J’ai fait quelque chose de mal ? Je ne t’excite plus ? m’interroge-t-elle
Cassandra n’a jamais été de ces filles pleines de confiance en elles, qui savent ce qu’elles valent et ce qu’elles veulent. Au contraire, Cassie a constamment besoin d’être cajolée, protégée, rassurée. Elle a besoin qu’on lui dise qu’elle est belle, qu’elle est intelligente, qu’elle va y arriver. Je ne m’en suis jamais plaint, au contraire, c’est quelque chose que je trouvais mignon et qui me plaisait chez elle. Mais ce soir, je n’ai pas la force de le faire. Ou alors je n’en ai pas envie.
Un silence passe. Écrasant, douloureux. J’en profite pour allumer une seconde cigarette. Entre chaque inhalation toxique, je mords l’intérieur de mes lèvres pour m’empêcher de penser à voix-haute, d’avouer des choses que je regretterais à coup-sûr.
— C’est sa faute, je n’aurais pas dû l’écouter, murmure la métisse dans mon dos.
Sa réflexion pique ma curiosité et je la zieute par-dessus mon épaule.
— La faute à qui ?
— Bah, à Teresa.
Mon cœur rate un battement, ma respiration se bloque. La clope arrêtée à mi-chemin jusqu’à mes lèvres, mon regard se fige sur un point invisible devant moi en attendant la suite. Les cris, les pleurs, la rupture.
Alors Teresa lui a tout raconté. Sans même m’en parler avant. Putain, ce qu’elle peut faire chier.
— Cassandra, je peux to-
— C’était débile de l’écouter… Jouer les chaudasses au lit, ce n’est pas mon truc…Ce n’est pas moi… Ce n’est même pas ton truc non plus, la preuve… me coupe-t-elle pour poursuivre le fil de ses pensées.
Sa prise se resserre autour de mon torse, comme si elle cherchait à se réconforter. Moi, je ne comprends plus rien mais au moins, je recommence à respirer à peu près correctement quand je comprends qu’elle n’est au courant de rien.
— Mais de quoi tu parles ?
Elle ne m’écoute pas et poursuit son monologue.
— Ou alors, c’est vraiment moi le problème. Peut-être qu’elle avait raison, que c’est des meufs qui font des pipes et qui mettent des trucs en dentelle qu’il te faut. Des meufs qui ne sont pas comme moi, des meufs avec qui tu peux coucher quand tu veux… Bien sûr qu’elle a raison, elle te connait depuis des années. Elle te connaît même mieux que moi, je suis sûre.
Quatre ans, c’est la durée de mon amitié avec Teresa. Et si elle n’est pas aussi longue que celle avec Cassandra, je suis certain qu’elle ne dirait jamais rien d’aussi méchant envers sa meilleure amie. Elle a beau être une garce par moment, elle n’en reste pas moins loyale et bienveillante envers ceux à qui elle tient. Enfin, la plupart du temps.
Je tire de nouveau sur ma clope, recrache un nuage de fumée blanche et lorsque je m’aperçois que Cassie ne parle plus, je me retourne pour lui faire face. Elle se blottit contre mon torse et du bout des doigts, je remonte son menton vers moi.
— Cassandra …
Ses yeux sont rouges mais je ne sais pas si c’est dû aux joints qu’elle a fumés avant de monter ou aux larmes qui lui brouillent la vue. Les deux, je crois bien.
La fragilité, la pureté et la faiblesse que je lis dans ses prunelles me vrille l’estomac. Je devrais tout lui avouer, lui expliquer que rien n’est sa faute, que ce n’est pas elle le problème mais au dernier moment, je me ravise. Finalement, je préfère lui mentir que trouver des excuses.
— Je suis juste fatigué. Plus que ça, je suis complètement fracassé. J’ai bu comme un trou, j’ai couru partout avec les gars pour tout préparer. J’ai juste besoin de dormir…
Comme si c’était plus fort que moi, je fais passer son mal-être avant le mien pour la rassurer. Peut-être parce que le mien serait encore plus grand si je perdais l’une des seules choses qui me permettent de garder la tête hors de l’eau.
— Tu ne veux pas me quitter, alors ?
— Quoi ? Mais bien sûr que non, je n’ai pas envie de te quitter Cassie, la rassuré-je avant de la serrer dans les bras, une main derrière son crâne.
Par contre, baiser une nouvelle fois ta meilleure pote, ça je ne suis pas contre. Et c’est bien ça le problème.
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